Quand les ultra-royalistes étaient démocrates.
Notre Histoire remonte à 1816, alors que la France se remet péniblement des longues guerres provoquées par Napoléon Ier. Au cœur d’une France restaurée, Louis XVIII a imposé la Charte de 1814 qui ne sera mis en application qu’en 1815, après les cent jours et le désastre Impérial de Waterloo.
Ce texte de 76 articles[1], d’une simplicité certaine et d’une efficacité rare, permet à Louis XVIII de maintenir son pouvoir. Le Roi, pièce maitresse de l’édifice, confirme un certain nombre des changements opérés durant la période révolutionnaire, sanctuarisant la liberté religieuse, l’égal accès aux offices civils et militaires ainsi que la liberté d’expression. Entre autres.
Le système politique lui-même est influencé par les expériences politiques révolutionnaires et européennes. Le Royaume se dote de deux chambres : la chambre des pairs et la chambre des députés des départements. Ce bicamérisme et loin d’être évident dans l’esprit d’un Louis XVIII plus habitué à un polycamérisme large, celui de l’ancien régime.
La chambre des députés est élu au suffrage censitaire. Il s’agit alors de payer 300 Fr (somme très importante pour l’époque) d’impôts direct pour avoir la qualité d’électeur, et payer 1000 Fr d’impôts directs pour être éligible.
Il n’est pas impossible que, dans l’esprit du Roi et des rédacteurs de la Charte, cette mesure visait à favoriser la noblesse.
A la chambre des députés, le courant dit « des ultras » est -théoriquement- majoritaire. Or le débat en vient sur cette question du vote censitaire ; il est alors très étonnant de constater que, contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’opinion des ultras en la matière serait aujourd’hui qualifiée de particulièrement « démocrate » voire même anticapitaliste !
En effet, à la surprise de nombre d’observateurs de l’époque, les ténors du royalisme le plus décomplexé, les « plus royalistes que le Roi » lui-même, défendaient un abaissement du cens à un point qui n’aurait exclu que les vagabonds. Alors que les députés s’étonnent de voir M. de Villèle, ultra-royaliste, demander l’abaissement du cens à 10 Fr, ceux-ci lui demandent « Vous voulez donc donner le pouvoir à la révolution ? »
« Je comprends que ma loi vous déplaise : avec ma loi nouvelle, pour vous faire élire députés, il vous faudrait vivre sur vos terres au milieu de vos fermiers, vous préoccuper de leurs intérêts et conquérir sur eux une certaine autorité, en exerçant dans vos cantons une magistrature de père de famille. Je sais que cela ne vous plaît guère : vous aimez mieux liarder dans vos départements et arracher le plus d’argent possible à vos fermiers pour venir le dépenser à Paris. Vous perdez ainsi en province toute l’influence qu’il vous serait si facile d’acquérir et de conserver, pour vivre à Paris, où vous ne pouvez jamais en exercer aucune. »[2]
Etrange prophétie des travers d’un système politique dont on croirait que c’est le nôtre, décrit par la langue acerbe de Joseph de Villèle. Mais pourquoi défendre ainsi le suffrage, est-ce seulement pour que les députés aient quelques pouvoirs ? Les ultras voient en fait dans cette position un moyen de consolider la monarchie par le soutien populaire, celui-ci étant honnête et facile à obtenir et conserver face à une bourgeoisie instable, sujette aux modes et sensible surtout à ses propres intérêts :
« Depuis que le monde existe, la dernière classe [le peuple] est sous l’influence de la première [l’aristocratie] qui la fait vivre, et la classe moyenne [la bourgeoisie], enviée de la dernière et ennemie de la première, compose la partie révolutionnaire de la société dans tous les Etats. Si vous voulez que la première classe arrive dans vos assemblées, faites-la nommer par les auxiliaires qu’elle a dans la dernière classe. »[3]
Un royalisme terrien et enraciné, fondé sur un peuple honnête et travailleur. Les ultras ne sont pas les infâmes aristocrates que les livres d’histoire sous-entendent, vivant en perruques poudrés et s’attachant aux vestiges d’un passé révolu.
- de la Bourdonnaye, autre député ultra-royaliste, ira même jusqu’à s’exclamer en s’adressant à la chambre des députés :
« Mais c’est un nouveau tiers que vous instituez. […] Ce sont tous les citoyens que vous dégradez ; c’est la population toute entière que vous courbez, que vous prosternez devant le veau d’or, devant l’aristocratie des richesses, la plus dure, la plus insolente des aristocraties[4]. »
De cette position des ultras sur le suffrage universel, que reste-t-il aujourd’hui ?
Souvent, dans des discussions, des propos de royalistes qui, hurlant plus fort que d’autres, n’ont de mots assez durs pour qualifier le suffrage universel.
Souvent, dans des débats, des royalistes affichent un mépris insolent pour le pauvre Français quand la vente de leurs yaourts leur permet d’entretenir un train de vie de déraciné dans un quartier où l’entre-soi est une sorte de règle.
Être royaliste n’est pas une position personnelle, ni une satisfaction d’être un dernier des mohicans ou le représentant d’un extrémités politiques outrancière.
Être royaliste c’est prendre le parti du bien commun.
Vive le Roi, quand même !
Roman Ungern.
[1] http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/la-constitution/les-constitutions-de-la-france/charte-constitutionnelle-du-4-juin-1814.5102.html
[2] Villèle à des députés réunis en toute discrétion chez lui, en 1823, selon Louis Véron, Mémoires d’un bourgeois de Paris : comprenant la fin de l’Empire, la Restauration, la Monarchie de Juillet, la République jusqu’au rétablissement de l’Empire, Paris, 1856.
[3] Lettre de Villèle à son père, décembre 1816.
[4] François-Régis de la Bourdonnaye, Opinion de M. le Comte de la Bourdonnaye, Député du Maine-et-Loire, Sur le Projet de loi relatif aux Elections. Séance publique du 28 Décembre 1816. Imprimerie Louis-Gabriel Michaud, Paris, 1823.