Les Reines oubliées
Chers amis, c’est en relisant la vie de nos rois depuis la mort de Henri V, à travers Les Princes cachés de Jacques Bernot, que j’ai décidé de vous parler de leurs épouses. Depuis 1883, la France a compté huit Reines !
Encore plus méconnues des Français que leurs maris, il est temps de les connaître davantage. Car de Jean III à notre Louis XX, se trouvent différentes femmes, qui ont autant de liens et de différences qu’ont entre eux leurs époux.
Arrière-petite-fille de François Ier, Empereur des Romains dès 1745, Marie-Béatrice de Modène est née le 13 février 1824 à Modène. Elle est bien une Princesse de son temps : issue de la branche italienne des Habsbourg, elle est considérée par son mariage comme la Reine d’Espagne mais aussi de France et de Navarre. Un temps désirée comme épouse par Henri V, qui se titre alors comte de Chambord, elle s’allie finalement le 6 février 1847 avec le fils du roi carliste, le futur Jean III. Elle devient Reine des Espagnes le 13 février 1867 à la mort de Charles VI, frère de Ferdinand VII, et Reine de France et de Navarre le 24 août 1883 à la mort de Henri V de France. Jean III demeure assez inactif dans la guerre carliste qui se déroule en Espagne et l’est encore plus pour ce qui concerne le trône de France, même s’il déclare officiellement assumer la charge que la Loi fondamentale lui donnait. De son union avec Jean de Bourbon naissent deux fils : Charles le 30 mars 1848 et Alphonse le 12 juin 1849.
Son mariage n’est pas heureux dans le sens où la Reine se montre bien plus intransigeante que son époux. La déchirure se fait autour de l’instruction des enfants, que Marie-Béatrice veut confier aux Jésuites… le Roi refuse, c’est la séparation. La politique est aussi domaine de tension puisque Jean III penche en faveur de l’unité italienne alors que sa femme, issue d’une lignée princière austro-italienne y est farouchement opposée.
Elle meurt à Graz, en Autriche, le 18 mars 1906. A cette date, l’Espagne est de nouveau en paix et la France s’est installée dans la république.
Celle qui lui succède au titre de Reine de France et de Navarre est Marguerite de Parme. Cette dernière est née le 1er janvier 1847 à Lucques et a la particularité d’être à la fois liée à la Maison de Bourbon par la branche aînée que par la branche parmesane. Elle est aussi une descendante directe de Charles X par sa mère, et de Victor-Emmanuel de Savoie par son père. Elle épouse Charles de Bourbon, fils aîné de Jean III, le 4 février 1867 au château de Frohsdorf qui est devenu l’âme des Rois en exil. Elle devient Reine des Espagnes le 3 octobre 1868, alors que Jean III a laissé ses droits à Charles. Cette même année débute la troisième guerre carliste à la suite de la mort d’Isabelle II. Charles publie un manifeste carliste qui défend une société fondée sur la Foi, sa personne de Roi, et les fueros (le droit coutumier), alors que les Cortès proclament roi Amédée de Savoie. En France, le mouvement carliste cherche à recruter des troupes ; le comte de Foudras est condamné pour cette entreprise, de plus entachée d’escroquerie, par un jugement du tribunal correctionnel d’Amiens en 1873.
Cependant, la guerre est un échec : les carlistes perdent leur capitale Estella le 19 février 1876, et le Roi Charles part vers la France, le 1er mars. Mais la royauté ne meurt pas ! L’époux de Marguerite devient roi de France et de Navarre à la mort de son père en 1887, et la Reine des Espagnes devient alors aussi Reine de France et de Navarre. Elle aura cinq enfants de lui : Blanche (1868-1949), Jacques (1870-1931) Elvire (1871-1929), Béatrice (1874-1961), Alice (1876-1975). Tous ces enfants sont titrés Infants mais aucun n’a de titres français… Preuve que le trône espagnol est plus à portée que celui de France, où la royauté semble déjà appartenir aux teintures magistrales du passé.
Marguerite de Parme meurt âgée de quarante-six ans, le 29 janvier 1893. Charles XI (VII en Espagne) se remarie. Son choix se porte sur Marie-Berthe de Rohan. Contrairement à ce que son nom peut laisser paraître, Marie-Berthe est autrichienne et est née le 21 mai 1868 dans le royaume de Bohême. Son père appartient à une branche de la maison de Rohan, même s’il est hongrois. Dans l’Espagne ravagée par la guerre civile qui voit la victoire des isabello-alphonsistes, comme dans la France impériale, personne ne songe à faire appel à ce Roi.
Marie-Berthe meurt le 19 janvier 1945 à Vienne sans n’avoir jamais régné que sur le cœur des bérets rouges de la cause carliste et sur quelques Français fidèles. Mais n’est-ce pas là le vrai règne ?
Après cette Reine exaltée, qui avait autant d’allure que son époux, l’Espagne et la France connaissent un Roi sans alliance ni postérité : Jacques.
Il faut donc attendre 1931 pour voir une Reine légitime remonter les trônes éclatants de ces deux royaumes ! En effet, puisque Jacques n’a pas de fils, c’est son oncle Alphonse-Charles qui devient le Roi carliste et le Roi de France et de Navarre. Déjà âgé, Alphonse-Charles décide de devenir Alphonse-Charles en Espagne (le choix d’Alphonse seul aurait posé le problème de la succession puisque les carlistes ne reconnaissent pas Alphonse XII et ne voient Alphonse XIII comme Roi qu’à partir de 1936, à la mort d’Alphonse-Charles… il se refuse donc à être un Alphonse XII souterrain !). En France, il se fait nommer Charles, douzième du nom. Le 26 avril 1871 il épouse, au château de Kleinheubach (Bavière), Marie-des-Neiges de Portugal, fille aînée du roi Michel de Portugal issue de la Maison de Bragance. Elle est proche d’Alphonse-Charles tant par les idées religieuses et politiques que leur histoire commune, car son père Michel a été forcé à l’exil et a échoué dans la restauration de la royauté légitime. L’on peut en effet rapprocher le carlisme espagnol du miguelisme portugais.
Marie-des-Neiges est née le 5 août 1852 à Kleinheubach. Durant la troisième guerre carliste, elle est engagée avec son mari et devient la figure de la résistance carliste. Leur mariage ne connaît cependant pas de postérité. Marie-des-Neiges meurt à Vienne le 15 février 1941 dans une grande simplicité, en Reine.
Depuis le 29 septembre 1936, c’est la femme d’Alphonse XIII qui l’a remplacée comme Reine. La mort d’Alphonse-Charles fait de l’ancien ennemi des carlistes le Roi légitime à leurs yeux ; les libéraux isabello-alphonsistes et les traditionalistes carlistes sont donc réunis pour la première fois depuis 1837 autour de la personne du Roi… Sa femme, une Princesse anglaise issue de Victoria d’Angleterre et convertie au catholicisme, est devenue la Reine des Espagnes et la Reine de France et de Navarre.
Il s’agit de Victoire-Eugénie de Battenberg. Née le 24 octobre 1887 à Bamoral, Victoire-Eugénie grandit à la cour anglaise. Son double prénom lui vient de ses marraines : sa grand-mère, Victoria, et Eugénie de Montijo, épouse de « Napoléon III ». Épouse du Roi des isabello-alphonsistes au pouvoir depuis 1837, son mariage ne correspond pas aux vues de sa belle-mère, Marie-Christine : Victoire-Eugénie dispose du titre d’Altesse sérénissime, inférieur à celui de Princesse de sang royal, et son anglicanisme est un frein à l’alliance qui se fait malgré tout le 31 mai 1906 au monastère royal Saint Jérôme de Madrid. La fête est marquée par un attentat. La naissance de leur premier enfant, Alphonse, renforce le couple dont les relations sont assez froides. Ils auront sept enfants : Alphonse (10 mai 1907 – 6 septembre 1938), prince des Asturies (considéré comme tel par les carlistes en 1936), Jacques-Henri (23 juin 1908 – 20 mars 1975), Béatrice (22 juin 1909 – 22 novembre 2002), Ferdinand (21 mai 1910, mort âgé de quelques heures), Marie-Christine (12 décembre 1911 – 23 décembre 1996), Jean (20 juin 1913 – 1er avril 1993), Gonzalve (24 octobre 1914 – 13 août 1934).
De ses sept enfants, Victoire-Eugénie a la douleur d’en perdre trois : l’aîné Alphonse est vite diagnostiqué hémophile, maladie courante chez les descendants de Victoria, il meurt d’un accident de voiture en 1938 alors qu’il avait renoncé au trône suite à son mariage morganatique. Jacques-Henri, futur Roi de France, est mal opéré et devient sourd. Lui aussi est forcé par son père à renoncer au trône. Le dernier, Gonzalve, est lui aussi hémophile et meurt en 1934, également en voiture. Ainsi, Jean devient le Prince des Asturies en titre. Pour ce qui est du trône de France, Alphonse en est l’héritier de 1936 à 1938, puis c’est Jacques-Henri qui devient le Dauphin, de 1938 à 1941 car le roi ne peut se défaire de sa charge ou choisir son héritier, même s’il n’a ni bras ni jambe !
Revenons à notre Reine. Celle-ci se sépare progressivement de son époux après les naissances de leurs enfants, les drames familiaux n’ayant réussi à les rapprocher.
Victoire-Eugénie se consacre alors aux hôpitaux et à l’assistance aux indigents et s’implique dans la réorganisation de la Croix-Rouge espagnole. Il faut rappeler que son mari a soutenu un tel projet lors de la Première Guerre mondiale. En exil depuis avril 1931, suite à la victoire des républicains aux élections, elle rejoint l’Angleterre alors que son époux part pour Rome. Sommée de quitter le royaume anglais, Victoire-Eugénie rejoint les environs de Lausanne où elle habite Vieille Fontaine, une demeure où elle finit ses jours. C’est donc en exil qu’elle devient la Reine légitime des Espagnes et de de France. En 1938, elle assiste à Rome au baptême du fils aîné de Jean : Jean-Charles d’Espagne. Son mari s’éteint le 28 février 1941. Son retour sur la terre d’Espagne se fait pour le baptême de Philippe, fils de Jean-Charles. De retour en Suisse, elle y meurt peu de temps après, le 15 avril 1969, à l’âge de 81 ans, exactement 38 ans après avoir quitté l’Espagne. Enterrée dans l’église du Sacré-Cœur de Lausanne, ses restes sont ramenés le 25 avril 1985 en Espagne sur ordre du Roi, son petit-fils, pour être placés dans la crypte royale de l’Escurial auprès des dépouilles de son mari, Alphonse XIII et de ses fils, les infants Alphonse, Jacques et Gonzalve.
Parce que le Roi ne meurt pas, la Reine est aussitôt Reine : soit par son mariage avec le Roi, soit par l’accession de son époux à la Couronne. C’est ce qui arrive à Emmanuelle de Dampierre en 1941.
Née à Rome le 8 novembre 1913, elle est la fille d’un duc pontifical, Roger de Dampierre, et de Vittoria Ruspoli, issue d’une famille princière des Marches en Italie.
Le 4 mars 1935, elle épouse, en l’église Saint-Ignace-de-Loyola de Rome, Jacques-Henri qui a suivi ses parents dans l’exil. Le Prince n’est alors pas encore héritier direct de son père. La Dauphine qu’elle est ensuite devenue donne deux garçons à son mari, Alphonse (1936-1989) et Gonzalve (1937-2000) mais le mariage n’est pas heureux. Son époux, bien que sourd et parlant avec de grandes difficultés, handicap qu’il apprend peu à peu à gérer, est un homme à qui plaît la compagnie des femmes. Le couple se sépare en 1947 et les deux enfants sont envoyés dans un internat suisse, où ils passent même la plupart de leurs vacances scolaires. Emmanuelle de Dampierre se marie civilement en 1949 à Vienne avec Antonio Sozzani (1918-2007). Ce mariage civil se termine par un divorce en 1967. Son époux, Roi de France et de Navarre sous le nom de Henri VI, meurt le 20 mars 1975. Les années 1980 sont une décennie tragique pour la Reine : son fils aîné, Alphonse, et l’épouse de ce dernier, divorcent avec fracas en 1982. En 1984, un accident de voiture coûte la vie au fils aîné du duc, François d’Assise (1972-1984), tandis qu’Alphonse et son deuxième fils sont grièvement blessés. Enfin, en 1989, Alphonse de Bourbon meurt d’une grave blessure au cou dans un accident de ski aux États-Unis. A la mort de son fils, Emmanuelle protège son petit-fils Louis, qui vient de devenir Roi, mais c’est chez sa grand-mère maternelle, Maria del Carmen Franco y Polo que le jeune Louis s’installe. Celle qui est Reine douairière depuis bientôt 20 ans, s’implique dans le légitimisme qui a retrouvé un certain souffle depuis Henri VI : on la voit lors des messes expiatoires du 21 janvier, et elle défend son petit-fils lors de l’usurpation du titre de duc d’Anjou par Charles-Philippe d’Orléans en décembre 2004. Ses mémoires ont été publiés en 2003 en Espagne.
Personnalité forte et grande dame, Emmanuelle de Dampierre incarne la Légitimité pendant la jeunesse de Louis XX, et sait mettre de côté les tragédies familiales et personnelles pour servir avec élégance et grandeur le Roi et le royaume. Elle meurt le 3 mai 2012 à Rome et est inhumée à Passy, dans le caveau des Dampierre.
La Légitimité renaît sous Henri VI et se construit encore sous son fils, Alphonse II. Doué d’un rare charisme et d’un charme indéniable, ce dernier profite du Millénaire capétien pour relancer le légitimisme. L’épouse de ce Roi est célèbre en Espagne. C’est la petite-fille du Caudillo Francisco Franco qui va devenir la future Reine ! L’Espagne la connaît sous le surnom de la nietísima, c’est-à-dire la « petite-fillissime ».
Née 26 février 1951 au palais royal du Pardo, Marie-du-Carmel dite Carmen Martinez-Bordiù y Franco épouse en effet le 8 mars 1972 en la chapelle du palais du Pardo le Dauphin Alphonse. Cette union enchante la femme de Franco et fait la fierté du régime qui a ainsi mêlé son nom à celui du sang d’Espagne et plus largement, à l’une des plus grandes familles d’Europe. La Dauphine Carmen peut alors devenir Reine d’Espagne, car malgré la Loi de succession de 1969 qui désigne Jean-Charles, l’avenir n’est pas complètement fixé. Le mariage est célébré avec un faste qui fait grand bruit en Europe dans la mesure où il laisse longtemps planer un doute sur le nom du successeur de Franco. Alphonse et Carmen ne sont finalement pas choisis : issu de Jacques-Henri qui avait renoncé au trône, le légalisme du Caudillo penche en faveur du fils de Jean d’Espagne, qui a en plus l’avantage d’avoir déjà un tout jeune garçon.
Le mariage presque de Majesté régnante n’empêche pas les tensions et les scandales. Lors de la communion de ses deux enfants, le prêtre refuse publiquement de donner la communion à la Reine. En 1979, le couple finit par se séparer et leur divorce civil a lieu en 1982.
La Reine Carmen perd administrativement son titre d’Altesse Royale ainsi que la garde de ses enfants. Elle quitte alors l’Espagne et s’établit à Paris, où elle entame une relation avec un antiquaire français, Jean-Marie Rossi. En février 1984, la Reine perd son fils aîné, nous l’avons vu. Quelques mois après, c’est au tour de Mathilda, l’une des filles de Jean-Marie Rossi, de trouver la mort dans un tragique accident de bateau aux Bahamas. Le couple se marie civilement et une fille naît de leur union en 1985.
Après la mort d’Alphonse II, c’est la mère de la Reine (la duchesse de Franco) qui obtient la garde du jeune Louis XX. Les tensions avec son fils sont en effet publiques car le jeune roi a vite désapprouvé la conduite de sa mère, qui divorce de Jean-Marie Rossi en 1995, avant d’entretenir différentes relations dont la dernière est conclue par son mariage civil avec José Campos García, un homme d’affaire espagnol. Ne soyez pas choqués par ces lignes ! Le légitimisme est une royauté faite de maillons qui constituent une chaîne. Ainsi, les scandales, les tragédies personnelles, n’enlèvent rien à la dignité de notre Reine douairière Carmen, ni à celle, pendant 38 ans, d’Emmanuelle de Dampierre ! Enfin, des scandales autrement plus bruyants ont fait l’histoire de France… Ce n’est ni mauvais ni bien, c’est l’histoire, refuser de le voir confine à la folie ! Ne pas défendre la conduite d’un membre de la Maison de France n’empêche en rien de garder dans le cœur une affection pour ce qu’il est et pour la part du mystère français qu’il incarne.
Nous voici arrivés à la dernière Reine que nous connaissons : Marie-Marguerite.
Notre reine est née le 21 octobre 1983 à Caracas, et est la fille de Victor Vargas, homme d’affaire et président du Banco Occidental de Descuento, et de Carmen Santaella Telleria. Lors du mariage de sa sœur aînée María Victoria avec Francisco Javier d’Agostino Casado, María Margarita fait la connaissance d’un ami de son nouveau beau-frère, Louis XX. Le mariage à lieu à La Romana, en République dominicaine, le 6 novembre 2004. La Reine fait ses classes chez les Ursulines avant d’entamer une licence de pédagogie à l’Université métropolitaine de Caracas en 2002. Marie-Marguerite est aussi une cavalière talentueuse et a monté pour son pays natal. En 2012, elle a obtenu la nationalité française.
De l’union de María Margarita et de Louis-Alphonse sont nés :
Eugénie (5 mars 2007 à Miami), Louis, dauphin, et son jumeau Alphonse (28 mai 2010 à New York) et Henri (1er février 2019 à New York).
Je termine ainsi cette fresque en souhaitant que Marie-Marguerite soit une Reine inspirée par le meilleur de celles qui l’ont précédée. Qu’elle ait bonne et longue vie !
Charles d’Antioche