Les monarchistes népalais de retour au pouvoir
Loin d’être anodin et pourtant passé sous silence par la majorité des médias francophones, c’est pourtant ce qui s’est passé le 13 octobre dernier au Népal : l’ancien ministre du Roi Gyanendra, Kamal Thapa et leader du mouvement monarchiste Rastriya Prajatantra Party-Nepal est devenu à la fois le numéro 1 bis et 3 du gouvernement de coalition népalais après avoir fait bloquer pendant 10 mois les institutions du pays. Depuis sa chute en 2008, quelles sont aujourd’hui les perspectives de restauration de la monarchie au Népal ?
C’est en septembre 1768, après avoir défait toutes les principautés qui entouraient son royaume de Gorhka que le Roi Prithvi Narayan Shah unifie ce qui allait bientôt être connu comme le Népal contemporain. La richesse du royaume attise vite les convoitises des Britanniques qui s’empareront en 1816 d’un tiers du territoire à la suite d’une guerre de 2 ans. Devenu monarchie constitutionnelle, le pouvoir entre dans les mains de la famille des Rana, qui va occuper héréditairement le poste de Premier ministre réduisant la figure du Roi, à un simple symbole religieux et coupant le pays de toutes influences externes. Les tensions entre la famille royale et la famille Rana atteignent un premier pic quand éclate la première guerre mondiale. Tandis que le Premier ministre Sri Chandra Shamsher Jang Bahadur Rana souhaite que le pays rejoigne les Britanniques dans le conflit, le Roi Tribhuwan Bir Bikram Shah, alors âgé de 8 ans, fait preuve d’une surprenante indépendance en refusant de suivre une telle décision. Le Premier ministre passe pourtant outre, créant un fort ressentiment au sein de la famille royale à l’encontre des Rana. Craignant une insurrection, les Rana tout au long du XXème siècle vont bannir tous les mouvements royalistes quand ils n’en exécutent pas les leaders eux-mêmes. En novembre 1950, le Roi se réfugie dans l’ambassade d’Inde et dénonce la mainmise des Rana sur le pays. Loin d’être ému par la crise qui éclate, le Premier ministre et fils du précédent, Mohan Shumsher, décide de couronner le dernier membre de la famille royale, le prince Gyanendra Shah, alors âgé de 3 ans. Il faudra attendre l’accord du 15 février 1951, conclu entre le Roi, le Parti du Congrès principal soutien de la monarchie, l’Inde qui menaçait d’intervenir militairement, et la famille Rana, pour que Tribhuwan Bir Bikram Shah soit restauré. A peine au pouvoir, il prive rapidement les Rana de tous leurs privilèges et les met sous résidence surveillée.
Cette expérience démocratique a heurté profondément la famille royale du Népal. Lorsque le Roi Mahendra accède au trône en mars 1955, il provoque un coup d’état 5 ans plus tard et suspend la constitution, déclare l’état d’urgence et s’arroge tous les pouvoirs, emprisonne les leaders du Parti du Congrès. C’est en 1990 après de violentes émeutes que son successeur Birendra Shah acceptera le retour d’une monarchie constitutionnelle. Lorsqu’il apprendra la décision du souverain, les rumeurs affirmèrent que son frère et ancien souverain Gyanendra entra dans une violente colère qui surprit Birendra, connu pour être émotionnellement fragile. Une rébellion communiste éclata en 1996 après que ceux-ci se sont vu refuser le droit de participer aux élections nationales. Au sein du palais, la situation devient de plus en plus conflictuelle notamment entre le Roi, la Reine Indra Rajya Laxmi Devi et leur fils héritier Dipendra. Ce dernier fait le siège, en vain, de ses parents pour épouser Devyani Rana. Une alliance que refusait la famille royale au prétexte que la jeune bru est une membre de la famille des Rana et le tort ne pas être assez népalaise. Lors du repas du 1er juin 2001, le prince héritier, visiblement alcoolisé (et peut être sous l’effet de ces stupéfiants qui avaient fait dans les années 60 et 70, la capitale à la mode pour Hippies) tire à l’arme automatique sur les convives, la plupart membres de la famille royale. Le Roi est touché et meurt quelques minutes après. Le prince qui s’enfuit dans les jardins, alors que la garde royale l’a pris en chasse, retournera l’arme contre lui et entrera dans un coma qui lui sera fatal 3 jours plus tard.
Pour la deuxième fois de son histoire, Gyanendra remonte sur le trône, rare survivant mâle de la dynastie. Déjà contesté enfant, il est l’encore plus aujourd’hui. La rumeur publique parle de complot. On évoque l’ingérence indienne, la manipulation du prince héritier par son cousin le Prince Paras, détesté des népalais par son comportement outrancier, le Roi lui-même fait l’objet de spéculations. Le mystère sur les circonstances du massacre royal demeure encore inexpliqué de nos jours.
Les relations entre le Parti du Congrès du Népal et le nouveau souverain se crispent rapidement. En 2 ans, le roi renvoie 3 premiers ministres et nomme son propre gouvernement. Le 1er février 2005, il abroge la constitution, fait emprisonner journalistes et politiciens alors que l’armée népalaise n’arrive pas à endiguer l’avancée de la guérilla marxiste, armée par la Chine voisine que le Roi Mahendra avait tant courtisée de son vivant. En avril 2006, de violentes émeutes éclatent à Katmandou contre l’absolutisme royal. Gyanendra est contraint de restaurer le régime parlementaire et perd jusqu’à son caractère sacré. Désormais passible de poursuite, il perd le droit de toutes décisions et devra payer ses impôts, un comble pour celui que les népalais considèrent comme la réincarnation de Vishnou.
En dépit des objections du Roi, le Parti du Congrès et la guérilla communiste signent un accord le 24 décembre 2007 prévoyant l’abolition de la monarchie. En avril 2008, Gyanendra, qui a refusé d’abdiquer en faveur de son petit-fils, solution qui aurait pu sauver la monarchie, doit renoncer au pouvoir, quitter le Palais de Narayanhity alors que le royaume devient officiellement un « État fédéral, démocratique et républicain ».
Les premières élections législatives qui suivent la chute de la monarchie, donnent le pouvoir aux communistes divisés entre le Parti communiste népalais – maoïste qui obtient 229 sièges et le Parti communiste népalais – Marxiste-Léniniste Unifié avec 108 sièges. Le Parti du Congrès devant se contenter de 115 sièges sur 601. Loin derrière, le parti monarchiste Rastriya Prajatantra Party Nepal (ou Parti national démocratique du Népal/RPPN) n’a obtenu que 4 sièges. Divisé, un autre groupe royaliste (RPP) a obtenu 8 sièges. Fondé par Kamal Thapa, ancien ministre du Roi, le RPPN va vite profiter pourtant de l’anarchie politique au sein de l’assemblée constituante qui n’arrive pas à s’entendre sur une nouvelle constitution. Organisant manifestations sur manifestations, grèves sur grèves et grâce à la présence répétée du Roi Gyanendra dans le pays, le mouvement royaliste redevient rapidement une épine dans le pied des communistes. Certains monarchistes comme le Hindu Morcha Nepal vont se radicaliser et commettre des attentats contre des minorités religieuses. Lors des élections de 2013, le mouvement monarchiste obtient 34 sièges (24 pour le RPPN et 10 pour le RPP) devenant la 4ème force politique du pays.
Entre janvier et septembre 2015, des centaines de milliers de monarchistes vont occuper quotidiennement les rues de la capitale. Pour le RPPN, il s’agit de faire pression sur l’assemblée pour qu’elle accepte de voter le retour de la monarchie. Tentant en vain de s’emparer par la force du parlement, la crise menace de dégénérer en guerre civile alors que le pays peine à se redresser après un tremblement de terre dévastateur. L’ancien souverain lui-même mène discrètement un intense lobby auprès des différents ministres népalais et diplomates indiens, se déplaçant même en Inde afin de convaincre le gouvernement local de soutenir la restauration de la monarchie. Un vote au sein de l’hémicycle parlementaire échoue deux fois à restaurer la monarchie face à une coalition des communistes et celui du Parti du Congrès. Finalement, le RPPN accepte de signer un accord de sortie de crise et le 13 octobre, c’est un nouveau gouvernement de coalition qui prête serment avec à sa tête le Parti du Congrès. Les monarchistes ont obtenu le poste de Vice-Premier ministre et des Affaires étrangères.
Un retour inattendu au sommet de l’état népalais alors que 7 ans auparavant, aucun analyste politique n’aurait donné une chance aux monarchistes. Bien que Gyanendra ait manifesté son mécontentement concernant la proclamation de la constitution, les monarchistes népalais peuvent désormais espérer voir le retour prochain de la monarchie dans le pays. Encore vénéré comme un dieu vivant, le roi Gyanendra reste une ombre influente dans la jeune république fédérale. En l’absence de sondage, il est difficile de quantifier le soutien des népalais sur cette question. Il faudra donc attendre les prochaines élections prévues en 2018 afin de mesurer les chances réelles de Gyanendra de remonter sur son trône.
L’adage ne dit-il pas… jamais deux sans trois ?
Frédéric de Natal