Le 21 janvier 1993, bicentenaire de la mort de Louis XVI de Bourbon
Ce matin du 10 août 1792, plus de 200 nobles vont et viennent dans les couloirs du palais des Tuileries où vit désormais la famille royale de France depuis la désastreuse fuite de Varennes. L’épée à la main, ils ont juré de protéger le roi Louis XVI, la reine Marie-Antoinette, le dauphin Charles-Louis et la princesse Marie-Thérèse. 950 gardes suisses achèvent d’assurer leur sécurité avec les 2000 gardes nationaux du marquis de La Fayette. De ces derniers, les royalistes se méfient. Certains éléments affichent trop ouvertement leurs sympathies républicaines. On y crie aussi bien « vive le roi !» comme « vive la nation ! ». Louis XVI est debout depuis 5 h du matin. Il inspecte ses troupes, la monarchie millénaire n’a plus que quelques heures à vivre. Paris va se soulever et prendre d’assaut le palais. La troupe retourne ses canons contre les gardes suisses qui sont presque tous massacrés par des sans-culottes enragés. La famille royale, qui a donné l’ordre de déposer les armes, se réfugie alors à l’assemblée qui prononce immédiatement la « suspension » de la monarchie.
Désormais emprisonné et séparé du reste de sa famille, Louis XVI de Bourbon va devoir subir l’humiliation d’un procès qui s’achève 16 jours plus tard après la chute de la monarchie. Le 15 janvier, les 749 députés délibèrent et répondent à 2 questions. Si les députés votent majoritairement contre le principe de ratification par le peuple du jugement de la Convention nationale, ils votent en revanche en faveur de la culpabilité de « Louis Capet », jugé coupable de conspiration contre la liberté publique et atteinte à la sûreté générale de l’Etat. S’il est difficile d’affirmer qu’il fut le dernier à voter, le duc d’Orléans, élu 24ème député de Paris et que tout le monde appelle Philippe Egalité, décidera de la mort de son cousin. Dans sa prison, Louis XVI qui lit la biographie de Charles Ier Stuart, ce roi d’Angleterre qui fut décapité par une révolution, apprend dans le calme que 361 députés ont décidé de l’envoyer vers l’échafaud. La confession achevée et la bénédiction reçue ce 21 janvier, il remet son testament à un des officiers municipaux présents.
Il fait froid, à peine 3° celsius. Le brouillard a envahi Paris. Sur la place de la révolution (actuelle Concorde), se dresse la machine du docteur Joseph Guillotin et dont le roi avait contribué à apporter quelques suggestions d’amélioration. Assisté de l’abbé Edgeworth, Louis XVI monte les quelques marches qui le séparent de la lame biseautée. Sur l’estrade, Louis s’adresse au peuple rassemblé autour de la guillotine et déclare : “Je meurs innocent de tous les crimes qu’on m’impute. Je pardonne aux auteurs de ma mort. Je prie Dieu que le sang que vous allez répandre ne retombe jamais sur la France”. Les tambours qui s’étaient arrêtés de battre, reprennent soudainement, étouffant la voix du capétien. A 10h22, la planche sur laquelle le bourreau Sanson a placé le souverain bascule. La lunette de bois se referme, le regard de Louis se perd dans le vide. Le claquement du couperet, la tête du fils de saint Louis tombe dans le panier sans bruit. Quelques cris retentissent. La république vient de naître dans le sang d’un parricide. Le canon tonne et dans la prison du Temple, la reine Marie-Antoinette, qui a perdu la blondeur de ses cheveux Habsbourg-Lorraine, se tourne vers son fils. S’inclinant devant le jeune duc de Normandie, elle salue en lui le nouveau roi Louis XVII sans larmes sur le visage, digne. « Le roi est mort, vive le Roi ! » crie-t-on dans les cours des monarchies européennes coalisées contre la république française. La guerre civile va bientôt éclater. Les vendéens et les chouans vont faire trembler la république, les colonies des Antilles ouvrent leurs ports aux britanniques par refus de la révolution. La Convention nationale s’empressera de faire exécuter la reine Marie-Antoinette en octobre suivant puis de laisser mourir le jeune Louis XVII deux ans plus tard de tuberculose, laissant le « mythe évasionniste et survivantiste » se perpétuer à travers les générations.
La monarchie reviendra pourtant, perturbée par deux empires et 3 autres révolutions avant que la république ne finisse par s’installer définitivement dans le paysage politique français en 1875. Divisés par une question dynastique depuis la mort du comte de Chambord, Henri V d’Artois (et petit-neveu de Louis XVI), les monarchistes vont rester toutefois une force non négligeable, menaçant au cours de la première moitié du XXème siècle, la IIIème république. Avec le renouveau monarchiste dans les années 1990, se pose alors la question d’honorer la mémoire du roi-martyr. L’Action française tient haut le pavé du monarchisme, la figure du comte de Paris Henri (VI) d’Orléans a été auréolée d’une vie politique marquée par divers complots contre la république, de tentatives de restaurations manquées et qui a eu son apogée lors du millénaire capétien (1987). Le légitimisme qui s’était mué dans le silence faute d’implication de ses prétendants, vient de renaitre sous les actions énergiques du duc de Cadix et prince Alphonse II de Bourbon (décédé accidentellement en 1989) et de l’Institut de la Maison de Bourbon. La France redécouvre sa maison de France.
Le 20 novembre 1990, l’Association pour le bicentenaire de la mort de Louis XVI est fondée. Se voulant résolument apolitique et historico-culturelle, elle entend rendre justice et honneur à Louis XVI le 21 janvier 1993, victime d’un crime inexpiable. Le débat devient rapidement national. La mairie de Paris est sondée. L’écrivain Jean Raspail, membre d’un comité éclectique où se mêle le très légitimiste acteur Jacques Dufilho qui s’apprête à incarner à l’écran un maréchal Pétain plus vrai que nature, le général Alain de Boissieu, gendre du général de Gaulle, Henri Tisot ou encore l’académicien d’origine juive Maurice Rheims, reçoit une fin de non-recevoir. La préfecture s’y oppose aussi craignant des manifestations incontrôlées (celles de Jeanne d’Arc lui ayant laissé un mauvais souvenir en 1991) y compris de Monseigneur Lustiger qui refuse la moindre messe à Notre-Dame-de-Paris. Et l’écrivain Genviève Dormann de traiter publiquement le prélat de… « gland ». Il n’est pas chose aisée pour le comité d’organiser ce bicentenaire que certains craignent de voir transformé en une manifestation mi- politique, mi-mondaine. Le sénateur du Rhône, Emmanuel Hamel, interpellera même le gouvernement le 14 janvier 1993, afin de savoir comment la république, « afin de servir l’union nationale et de renforcer la réconciliation des français allait rendre hommage à la mémoire du roi de France, victime de la violence révolutionnaire ». Le service de presse du Ministre de la Culture Jack Lang répondra laconiquement que l’on avait déjà fêté « ensemble le bicentenaire de la révolution ».
Ce 21 janvier, c’est près de 60 messes qui sont célébrées dans le pays en mémoire du roi-martyr. Même Bruxelles et Varsovie feront sonner les cloches de leurs cathédrales respectives pour l’occasion. Les monarchistes, toutes générations représentées qui avaient envahi par milliers la place de la Concorde, rejoignent désormais leurs prétendants respectifs après la lecture du testament du roi par l’acteur Jean-Pierre Darras, chahuté par les bruits de la circulation. Parmi la foule : le journaliste Thierry Ardisson qui affiche une mine grave et qui a déclaré dans une interview : « le jour où on a décapité Louis XVI, ce n’est pas Louis XVI qu’on a décapité ! C’est la France », les écrivains Jean Raspail et Gonzague Saint-Bris, des politiques comme le futur ex-frontiste Brunot Mégret, l’ambassadeur des Etats-Unis Walter Curey qui déposera une gerbe sur le lieu de l’exécution de Louis XVI…
Pour le millier de partisans du duc d’Anjou présent pour cette occasion, Louis (XX)- Alphonse de Bourbon, c’est dans la Basilique de Saint-Denis que l’on va se recueillir. Le jeune prince est accueilli par le cardinal Gagnon, venu spécialement de Rome et Monseigneur Guy Deroubaix. Il est entouré de sa grand-mère Emmanuelle de Dampierre, duchesse de Ségovie et de son oncle, Gonzalve de Bourbon, duc d’Aquitaine. Parmi l’assistance, des membres de la famille de Bourbon, des Bourbon-Busset aux Parmes, le dernier empereur du Vietnam Bao Dai et son épouse. La basilique a été ornée de draperies aux armes de France, un doux parfum de lys a embaumé la nécropole des rois qui résonne de chants grégoriens. Une cérémonie royale qui se terminera par le recueillement du duc d’Anjou dans la crypte abritant les restes des Bourbons. Un succès relayé par le Monde qui n’hésite pas à écrire que « dans le comité, les légitimistes avaient pris le dessus ». Autant de personnes se sont rassemblées autour du comte de Paris à l’église Saint-Germain-l’Auxerrois qui de mémoire de royalistes n’a jamais été aussi surpeuplée. Toute la famille d’Orléans est réunie, du comte de Clermont Henri d’Orléans à son fils cadet Jean d’Angoulême. Le prince Sixte-Henri de Bourbon-Parme, accompagné du dissident comte Chéreil de la Rivière et de son escorte, brandissant un drapeau aux armes du Sacré-Cœur, ira quant à lui prier à la chapelle expiatoire. Il déclare voir dans ce bicentenaire « un renouveau du royalisme ».
On évoque le massacre des innocents sous les chants religieux et le rite latin. Les prétendants sortent, on crie des slogans en faveurs de la monarchie, on s’arrache les journaux comme le « Légitimiste », « Royaliste » de la Nouvelle action royaliste ou « l’Action française ». Ce 21 janvier, la France est monarchiste. Même le journal communiste « L’humanité » reconnaîtra dans une manchette que « 200 ans après la décapitation de Louis XVI, la fleur de lys tenait le haut du pavé (…) ».
Des heurts ont néanmoins éclaté en marge de la cérémonie. Sur le toit du Panthéon, quelques royalistes sont montés agitant des drapeaux fleurdelysés, des partisans de l’association des « Vigilants de Saint-Just » ont entamé par bravade la marseillaise et érigé une guillotine. Il y a là France 2, TF1, et des médias comme l’Express qui va illustrer sa première page avec une peinture du procès Louis XVI. Dans le métro, le comité a loué des panneaux publicitaires, qui affichent le testament du roi. Des colloques à la Sorbonne, au Sénat, au palais de justice, sont programmés. Le sujet passionne. La France, le temps d’une journée, a retrouvé sa dynastie royale.
La nuit tombe progressivement, on dépose encore bouquets et gerbes de fleurs. Les français ont tranché dans un sondage publié par le Pèlerin magazine en date du 15 janvier. 48% d’entre eux ont considéré que l’exécution du roi fut une erreur, 20% restent persuadés que la monarchie a encore un avenir en France.
Et vous ? 223 ans après, pensez-vous qu’il fallait ou non exécuter Louis XVI ?
Frédéric de Natal