Jacques de Bourbon ou la Légitimité introuvable
Le Roi est mort, vive le Roi ! C’est à Varèse (Italie) le 18 juillet 1909, que cette célèbre phrase qui annonçait la succession au trône de France, retentit dans la chambre funéraire de ce palais vénitien où repose le prince Charles de Bourbon, autrefois connu sous le nom de Don Carlos VII de Bourbon. C’est son fils aîné Jaime de Bourbon qui lui succède, recueillant à la fois la légitimité du trône espagnole et celle de France.
Le prince n’est pas prêt. De la légitimité ou du carlisme, il ne s’en est jamais vraiment préoccupé.
Né en Suisse le 27 juin 1870, le prince Jaime grandit dans les principes de la légitimité chers au comte de Chambord, Henri V de Bourbon, dont il est le filleul. Titré prince des Asturies en août, il suit l’éducation stricte des jésuites à Paris, puis au Collège jésuite de Beaumont (Windsor) avant de les terminer à celui de Stella Matutina de Feldkirch, en Autriche. Le prince excelle d’ailleurs dans les études, parlant aisément le français, l’anglais, l’allemand, l’italien en plus de sa langue familiale, l’espagnol.
Il a 13 ans quand il suit le cortège de du comte de Chambord, son grand-oncle. Les querelles dynastiques laisseront un mauvais souvenir à l’adolescent. Sur le cercueil du dernier Bourbon, descendant de Louis XIV, on se dispute déjà sa légitimité du trône de France. En juillet 1884, le périodique monarchiste français « Le Temps » l’introduit comme héritier des capétiens. Le prince est toujours à Paris, le gouvernement de la IIIème république n’appliquera pas à sa famille la loi d’exil de votée en 1886. Elle ne craint pas ces Bourbons qu’elle estime plus représentatifs de la tradition carliste espagnole que de la légitimité française.
Jacques de Bourbon entretient de bonnes relations avec ses cousins comme le duc de Vendôme Emmanuel d’Orléans (dont il deviendra en 1891 le condisciple dans la même académie militaire) mais il n’en est pas de même avec sa belle-mère, marie-Berthe de Rohan, qu’il déteste à un point que de folles rumeurs naitront sur cette haine familiale.
Le prince décide de partir loin de cette atmosphère étouffante et décide d’intégrer un régiment de dragons russes. Jacques de Bourbon n’assume pas son héritage, peut-être même à tendance à nier son existence. En 1897, il demande en mariage la princesse bavaroise Mathilde de Wittelsbach mais le projet ne se fera pas. Malgré les sentiments amoureux et sincères de l’héritier des Capétiens, la maison royale de Bavière lui oppose un refus net. On murmure alors que la Régente Marie-Christine de Habsbourg, veuve du Roi d’Espagne Alphonse XII, s’est elle -même opposée à ce mariage et a convaincu le Roi Louis III de refuser la proposition du prince. Quant à l’intéressée, elle se consolera en 1900 dans les bras du prince Louis de Saxe-Cobourg-Gotha avant de mourir 6 ans plus tard, âgée à peine de 28 ans. Heurté, le prince refuse de quitter la Russie des Romanov et intègre les Hussard de la Garde impériale en 1898.
Au début du siècle dernier, les puissances occidentales s’inquiètent de la montée du nationalisme dans la chine impériale. La révolte de la secte des Boxers (littéralement mouvement de l’union de la justice et de la concorde soutenue en sous-main par l’impératrice Ci-Xi) qui éclate à Pékin, menace les intérêts européens. Et par son caractère violent, les colons européens eux-mêmes. Le 20 juin 1900, l’assassinat du baron allemand von Ketteler, qui dirigeait la légation impériale d’Allemagne puis l’attaque des légations par l’armée et les boxers provoquent l’intervention de 8 nations dont la France et le Japon. La légation de Russie étant assiégée, un corps expéditionnaire est envoyé la délivrer et parmi ses membres, le prince Jacques de Bourbon qui débarque en août à Pékin avec son régiment. Sa bravoure au combat le fait échapper de justesse à la mort. Les officiers français impressionnés par ce prince, réclament au gouvernement de la république l’octroi de la Légion d’Honneur mais Paris refuse. Saint Pétersbourg sera plus reconnaissante et lui donne le cordon de l’Ordre de Saint Wladimir.
L’Asie devient le nouveau lieu d’exil du prince. Il voyage, contracte le typhus à Nagasaki (Japon) et en profite sur son lit d’hôpital de se lier d’amitié avec le futur Pierre Loti. En Indochine, il est reçu par le Gouverneur Paul Doumer, futur Président de la république. Entre les deux hommes, un respect mutuel qu’ils conserveront tous deux, l’un pour l’autre tout au long de leurs vies. Les dîners mondains, la diplomatie, ce qu’il déteste et à qui il préfère substituer aux joies des bordels de l’Asie.
Lors de son retour en Europe en 1901, le prince n’est pas plus enclin à faire de la politique que lors de son départ en Russie. Il fuit toutes les questions relatives à son héritage capétien puis lassé, reprend ses voyages vers l’Europe de l’Est. Hors de sa caserne militaire, Jacques de Bourbon rêve d’évasion. C’est un homme meurtri par l’absence d’un père et d’une mère manquant lui-même d’être victime d’une escroquerie en avril 1904. Un nouveau conflit vient de se déclencher entre la Russie et le Japon. Elle va préfigurer les futures guerres du XX ème siècle tant par sa longueur (un an et demi) que par le nombre de soldats engagés. Le Japon grignote doucement l’empire défunt et particulièrement le berceau de la dynastie Qing, la Manchourie. Jacques de Bourbon rejoint immédiatement son régiment. Il va être le témoin des horreurs de cette guerre qu’il va décrire dans ses moindres détails alors que la défaite russe de 1905 va montrer les premiers signes de vacillement de son empire.
Le décès de son père en juillet 1909 le met face à ses responsabilités. Le Tsar Nicolas II lui demande de démissionner de l’armée et lui donne le grade de Colonel en compensation. Un prétendant au trône de France et d’Espagne ne saurait se compromettre sous un uniforme russe plus longtemps. Devenu Jacques Ier de France pour les légitimistes, Don Jaime III pour les carlistes, il déçoit quand il n’entre pas en conflit avec ses partisans. En Espagne, son représentant Vasquez de Mella soutient l’Allemagne estimant qu’une victoire du Kaiser permettrait à Jaime de monter sur le trône, remilitarise ses partisans. Le prétendant s’en émeut et se montre opposé à la germanophilie de Vasquez de Mella. En France, les légitimistes chercheront le prince tout le long de son « règne ». Une déclaration en décembre 1911 où il se rappelle aux français qui… ignoreront son manifeste. Il y’a bien quelques tentatives de presse pour le faire connaître comme le bimensuel « La monarchie française » fondé par le comte Joseph de Cathelineau-Montfort et qui tentera un an de rivaliser avec l’Action française hebdo en inventant le concept du Traditionalisme intégral. Ou encore en 1913 avec une nouvelle version du « Drapeau blanc » dont l’existence prendra fin au lendemain de la première guerre mondiale faute de lecteurs. Le journal est tellement anti-orléaniste que lors de sa fondation, son alter égo, « l’Eclaireur du Finistère », se fait l’écho de la violente rivalité dynastique qui règne entre les deux tendances. A la mort du comte Urbain de Maillé c’est le comte Jean D’Andigné qui deviendra de 1917 à sa mort en 1936, le représentant du prince de Bourbon en France. En Espagne, Don Jaime se sépare de Vasquez de Mella. Leur séparation est brutale, le parti carliste ne s’en remettra pas. L’ancien représentant du prince en Espagne part fonder son propre mouvement, le Parti Catholique Traditionaliste (Partido Catolico Tradicionalista), entraînant avec lui les 4 derniers députés carlistes élus au Parlement.
Avec la chute de l’Empire austro-hongrois, Jacques de Bourbon fait rapatrier meubles et tableaux du château de Frohsdorf à Paris. En octobre 1920, il peut s’installer à Paris entre ses souvenirs. Lors des troubles en Espagne en 1923, les carlistes demandent au prince d’intervenir et de mettre fin au désordre. Fidèle à lui-même, il refuse de cautionner toute dictature. Les carlistes vont lui tourner le dos. Ni son manifeste du 6 mars 1925, ni la mort De Mella le 26 février 1928 ne changera en rien la situation. Les carlistes attendent désormais le décès de leur souverain.
En France, les légitimistes s’agitent. Les ligues se multiplient. Le Général Edouard de Castelnau (1851-1944), héros de la première guerre mondiale, tentent de créer un mouvement politique et de regrouper tous les catholiques monarchistes à travers la Fédération nationale catholique. Député de l’Aveyron en 1924, le Général s’oppose farouchement à toute tentative de laïcisation en Alsace-Lorraine. Ce partisan du légitimisme ne réussira pas à transformer son mouvement en véritable parti qui décroit dans les années 1930. La monarchie espagnole tombe à son tour en 1931. Don Jaime lance un dernier manifeste, en vain. La république s’installe de part et d’autre des Pyrénées.
Ce sont les années d’avant -guerre qui furent les plus propices aux publications royalistes. Un grand nombre d’entre elles furent classiquement consacrées à combattre les prétentions dynastique des Orléans telle l’analyse de Robinet de Cléry « Les prétentions dynastiques de la branche d’Orléans » (1910). Ce qui n’empêcha pas la publication au titre considéré plus neutre « Le traité d’Utrecht et les lois fondamentales du Royaume » (1914) du prince Sixte de Bourbon-Parme; La thèse de droit d’Henri de La Perrière: « de la succession à la couronne de France dans la dynastie capétienne » (1908) ayant ouvert les réflexions sur le bien-fondé des prétentions légitimistes. Quant aux carlistes dont les députés n’ont cessé de décroître depuis 1900, ils se rassemblent sous le nom de Communion Traditionaliste.
Dernier acte majeur du prétendant. La réconciliation dynastique. Sans enfants, Jacques de Bourbon rencontre l’ancien souverain, Alphonse XIII d’Espagne le 23 septembre 1931. Le roi d’Espagne aura certainement un jour, à bien de reprendre la légitimité. Quelques jours plus tard, le 2 octobre, il succombe à une crise cardiaque. Sa succession est l’objet de convoitises et de conflit le château de sera vendu en 1947, la légitimité se cherchait encore son roi.
Frédéric de Natal
Source : Les princes cachés ou l’histoire des prétendants légitimistes, Jaques Bernot, Edition Lanore
Ndlr : Article initialement publié le 13 mai 2015
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