CivilisationHistoireRoyauté

Le saviez-vous ? « Une première tentative d’instauration d’une République au XVIIe siècle » Une histoire de famille en Normandie !

Divers documents intéressant un fief considérable du Thymerais, celui de Belleville-la-Saucelle, entre Brezolles et la Ferté-Vidame, nous révèlent un épisode assez peu connu qui s’est passé à l’époque où la splendeur du règne était à son apogée. C’est celui qui concerne un complot tendant à renverser Louis XIV et à instaurer en France un régime républicain inspiré de celui des Provinces-Unies de Hollande. Déjà en Angleterre, Cromwell avait été protecteur de la République anglaise, de 1649 à 1659, et Condé, ainsi que son frère Conti, alors chefs de la Fronde, se trouvaient à Bordeaux où un parti républicain s’était constitué. Ils entrèrent en rapport avec Cromwell, mais quand les troupes royales reprirent Bordeaux, en 1653, Mazarin accorda une amnistie complète, sauf aux principaux chefs du complot : Duretête, qui fut exécuté, et Villars qui put s’échapper. Conti fit sa soumission, et épousa la nièce de Mazarin, mais Condé, allié des Espagnols, ne se rallia qu’à la paix des Pyrénées, en 1659.

Les idées républicaines n’avaient pourtant pas disparu, elles furent ravivées par la guerre de Hollande, et elles se manifestèrent principalement en Normandie. La conspiration, fomentée alors à l’instigation de la Hollande, groupa autour du chevalier de Rohan un certain nombre de gentilshommes normands, réformés pour la plupart, parmi lesquels on trouve impliqués la dame de Malortie-Villars, peut-être une parente de Villars compromis dans la conspiration de Bordeaux, tutrice de ses filles d’un premier lit, héritières du domaine de Belleville, qui joua un rôle prépondérant dans ce complot, et ses complices Rohan, Latréaumont, le Hollandais Van den Enden.

Les des Guès, seigneurs de Belleville, étaient connu dès le XIe siècle, et il y a environ cent ans, un de leurs descendants était maire d’une commune située sur le territoire de leur ancien domaine. En 1600, cette terre, appartenait à Loup des Guès, époux de Françoise de Nolent, d’une notable famille normande réformée des environs de Conches, et Latréaumont, originaire de Rouen, était marié à la sœur de cette dernière. La fille de Loup des Guès épousa Centurion de Quièvremont, neveu de Nolent et seigneur d’Heudreville, près de Gaillon, et son fils héritier de la terre de Belleville fut François de Quièvremont, époux d’Anne Sarrau, d’une famille fort riche et d’ascendance huguenote. Elle était la nièce de Claude de Sarrau, conseiller au Parlement de Rouen, et juriste réputé. Ses trois filles furent héritières de la seigneurie de Belleville à la mort de leur père, décédé dans des circonstances mystérieuses et dont la veuve fut soupçonnée de l’avoir empoisonné. Elle se remaria avec François de Mallortie, seigneur de Villars, près d’Orbec, réformé également et fort lié avec Latréaumont. Il décéda lui aussi d’une manière suspecte, et Anne Sarrau, accusée d’avoir provoqué ce décès, fut incarcérée à la prison de Fort-l’Evêque. Relâchée faute de preuves, elle se retira à Heudreville, et elle se jeta à corps perdu dans la conspiration de la noblesse protestante normande, fomentée alors par Rohan et Latréaumont.

Pour bien comprendre la situation de la France d’alors, il faut rappeler les troubles qui n’avaient pas cessé de l’agiter au cours du XVIIe siècle, troubles émanant de la noblesse et des grands féodaux qui se manifestèrent dès la Régence de Marie de Médicis, et également des Protestants du Midi qui, forts des privilèges accordés par l’édit de Nantes, rêvaient de constituer un État dans l’État. Ce sont ces troubles qui obligèrent le roi à entreprendre toutes ces expéditions et, de 1619 à 1622, on n’en compte pas moins d’une dizaine dans toute l’étendue du royaume. Ce mouvement séparatiste, dirigé contre le pouvoir central, n’était pas, au surplus, absolument nouveau, et Saint-Malo, ville profondément ligueuse, fut pendant quatre ans, jusqu’à l’abjuration d’Henri IV, une république malouine.

En Normandie, il y eut des révoltes sérieuses dont la principales fut celle des va-nu-pieds de 1639, qui trouva un appui tant de la part de la noblesse, hostile à la centralisation monarchique voulue par Richelieu, que des réformés, nombreux dans la province. Richelieu, au surplus eut la main lourde, il augmenta les taxes fiscales, exila des conseillers de l’Échiquier, supprima la plupart des privilèges de la province et suspendit les États provinciaux. Avec Mazarin, le mécontentement ne fit qu’augmenter, le duc de Longueville, beau-frère de Condé, l’entraîna dans la Fronde et il fit fortifier Quillebeuf dont il donna le commandement à Malortie, parent de Malortie le mari d’Anne Sarrau.

La Fronde des princes ranima les troubles, il y en eut , à l’époque, dans presque toutes les provinces (guerres des sabotiers en Sologne, dans le Berry, en Touraine, et surtout dans le midi).

L’Édit de 1658 avait interdit les réunions de gentilshommes, elles continuèrent en secret en Normandie, Beauce et Perche. L’agitation en Normandie, surtout à sa lisière percheronne et aux environs de Dreux, s’accentua lors du rétablissement de la taxe du tiers portant sur presque la moitié du produit des coupes de bois. Cette taxe n’était plus perçue depuis plusieurs siècles et qui remontait à l’époque lointaine où la couronne était réputée seule propriétaire des bois et forêts.

Le chevalier de Rohan, l’un des principaux instigateurs du mouvement de révolte qui se déclara à cette occasion, était le fils légal de Louis de Rohan-Montbazon, qui avait épousé sa cousine Anne de Rohan Guéméné, sœur de Marie de Rohan, duchesse de Chevreuse, connue par son esprit d’intrigue et son rôle dans la Fronde.

En réalité, le chevalier de Rohan était le fils du comte de Soissons qui fut toute sa vie un rebelle et après s’être allié aux Espagnols, périt le soir de la bataille de la Marfée, où il défit les troupes royales. On voit que par son esprit de révolte, le chevalier de Rohan avait de qui tenir du côté de son ascendance tant paternelle que maternelle. Né en 1635, c’était un homme de belle mine, célèbre par ses aventures galantes, sa conversation spirituelle et enjouée. Il avait été élevé avec Louis XIV, qui ne l’aimait guère et le nomma pourtant grand veneur. On raconte qu’un jour, jouant avec le roi, il perdit mille louis et régla sa dette en en remettant 800 et le reste en pistoles d’Espagne que le monarque refusa. Ce que voyant, il les jeta par la fenêtre en disant : « puisque le roi les refuse, elles sont sans valeur ». Louis XIV manifesta vivement son mécontentement, et Mazarin voulant apaiser le différend augmenta l’irritation du roi en faisant observer que c’était le chevalier qui s’était comporté en roi dans cette circonstance. Rohan était fort lié avec Mme de Montespan, et surtout avec Hortense Mancini dont il passait pour être l’amant. Celle-ci, nièce de Mazarin, mariée avec un petit-neveu de Richelieu qui avait l’esprit dérangé, fuyant le domicile conjugal, s’était réfugiée chez son frère, Philippe Mancini, duc de Nevers. Elle alla, de là, à l’abbaye de Chelles d’où Rohan et Philippe l’enlevèrent et la conduisirent à Bruxelles. Aussi, l’irritation de Louis XIV s’accrut à la suite de ce scandale et de la vie dissipée de Rohan, criblé de dettes.

Pourtant ce dernier lors de la campagne de Flandre, se conduisit brillamment à l’armée, et c’est là qu’il se lia avec Latréaumont et le Hollandais Affinius Van den Euden. Celui-ci, ancien précepteur du philosophe Spinoza, entiché de réformes politiques, réunissait auprès de lui divers auditeurs qu’il s’efforçait de convertir à ses idées. C’est lui qui avait inspiré Spinoza dans son traité théologico-politique, mais alors que les théories du philosophe demeurent vagues et contradictoires, puisqu’il essaie d’associer un régime despotique et de liberté individuelle, Van den Euden se fait l’apôtre d’un système républicain sur le modèle de celui des Provinces-Unies de Hollande.

Plus précis que Spinoza il élabore un projet de constitution républicaine, proclamant les principes de la liberté individuelle, de la souveraineté nationale, de l’égalité politique et religieuse, de la séparation de l’Église et de l’État, d’un pouvoir législatif distinct de l’exécutif et d’une organisation de l’instruction publique. Séduits par ces idées et poussés par leur esprit d’aventure, Rohan et Latréaumont s’engagèrent envers les États généraux de Hollande, à soulever la Normandie moyennant un versement de 100 000 écus. Si ce complot devait éclater en Normandie, c’est comme on l’a indiqué, que le mécontentement y était grand, de plus Latréaumont parent des Nolent, des Malortie, était en relation avec la plupart des seigneurs réformés de la région, où les Créqui alliés à Rohan, résidaient au Neubourg. Anne Sarrau dame de Malortie, entrée dans la conspiration, se dépense activement, elle rallie le baron des Préaux, de Pacy-sur-Eure, Brissac, de Dreux, la dame Maurice d’O, d’Herbeville, et Guersant, à Tournebut près Gaillon, tous demeurant à proximité. Parmi les conjurés, un gentilhomme du Midi, du Causse de Nazelle, effrayé du complot en cours, le dénonça et amena ainsi l’arrestation de tous ses membres.

Comme il n’y avait pas de Haute Cour pour juger les attentats contre la sûreté de l’État, ils furent traduits devant une juridiction spéciale ou la chambre ardente. Latréaumont et Van den Euden, soumis à la question, nièrent toutes les charges relevées contre eux, ils furent néanmoins condamnés à la pendaison. Rohan, contre lequel aucune preuve décisive n’avait pu être produite, avoua la réalité du complot ainsi que la dame de Malortie-Villars. Ils eurent une attitude fière et digne et marchèrent au dernier supplice avec courage. Aucune tentative ne fut faite pour obtenir leur grâce et, en particulier, la mère de Rohan ne chercha pas à le sauver. Du reste, comme beaucoup de grands noms furent compromis dans ce complot, on s’efforça de faire le silence à son sujet et d’en atténuer la portée en laissant la liberté à la plupart des conjurés, à l’exception des quatre principaux d’entre eux. Il est probable que la duchesse de Chevreuse, tante maternelle du chevalier de Rohan, y prit part, car divers papiers la concernant se trouvent mêlés à ceux des seigneurs de Belleville, en particulier l’acte de donation du duché de Chevreuse fait à la duchesse par son mari, ainsi que divers autres consentis par ce dernier au sieur de La Chaussée, descendant des seigneurs de Belleville et parent de Nolent. D’autres membres de cette famille des Guès s’expatrièrent lors de la révocation de l’édit de Nantes et occupèrent des emplois considérables à Hanovre, alors possession anglaise.

Il nous a paru intéressant de relater cette manifestation de l’esprit républicain dès l’époque du Grand Roi, car il ne disparut jamais complètement jusqu’à la fin du XVIIIe siècle.


Tiré de la revue  » Miroir de l’histoire  » n° 29 juin 1952 Maurice Hamelin p. 79.80.81. 82

Laisser un commentaire

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.