Vers un ordre social corporatif
Dans la pensée royaliste, l’économie et le social ne tiennent pas souvent une grande place. Il s’agit pourtant d’une problématique majeure de notre époque. Notre objectif n’est pas seulement de restaurer la royauté : il est aussi de restaurer la France. Aussi, nous allons nous pencher sur ce sujet. Il n’y a pas besoin d’entrer dans des détails techniques, pour lesquels je ne suis pas compétent ; nous allons ici proposer un projet d’ordre social. Un projet qui n’est pas nouveau (d’autres y ont pensé), mais toujours actuel.
Débutons pas un examen des 2 principaux systèmes socio-économiques qui ont dominé notre monde : le marxisme[1] et le libéralisme.
Nous devons reconnaître que les causes du marxisme étaient valables : la misère des ouvriers était bien réelle en cette fin du XIXème siècle, causée par la Révolution Industrielle et le libéralisme. C’est en cela que le libéralisme est responsable de la naissance du
marxisme. Le marxisme, lui, n’a pas su s’extraire du matérialisme, fruit du libéralisme : il en est marqué. La personne humaine n’y est pas considérée en tant que telle, dans son individualité et sa spécificité, mais en tant que simple composant d’une classe sociale.
Ces classes sont elles-mêmes soumises à des lois supérieures : sens de l’Histoire, lutte des classes…, niant ainsi tout ce qui est humain, c’est-à-dire imprévisible. C’est pour cela que le programme de mise en place d’une “dictature du prolétariat”, puis d’une société sans classes, reste une utopie. Pour sortir d’une société violente envers les plus faibles, le marxisme prône une révolution, qui est la cause de violences supérieures. On tente de collectiviser, d’égaliser, tout ceci au mépris des différences entre personnes, entre groupes, ce qui ne peut qu’engendrer violence et totalitarisme.
Face au marxisme, le libéralisme semble une plaisante doctrine ; elle est néanmoins néfaste. L’absence de limites, de régulations, de contrôles autres que ceux qui sont intrinsèques au système (la fameuse “main invisible” d’Adam Smith) mène à l’anarchie (au sens premier du terme) et au chaos. Le libéralisme déconstruit tout ce qui protège les hommes : identités locales, nations, etc. Comme, par exemple, avec l’Union Européenne, qui détruit les nations au nom du libre-échange[2]. De même, le libéralisme tend à détruire la cellule de base de la société, la famille : on le voit avec les prises de position des libéraux en faveur du travail dominical. Il faut, au nom de la liberté, abolir les liens entre les hommes : ces liens seraient en effet des entraves à la liberté. D’où l’abolition des nations, des repères culturels et religieux, les attaques contre la famille : ce sont là des obstacles à la liberté absolue. Souvenons-nous des paroles de Vincent Peillon, lors de l’instauration de cours de morale laïque : « pour donner la liberté du choix, il faut être capable d’arracher l’élève à tous les déterminismes, familial, ethnique, social, intellectuel… »[3]. Tout est dit.
Ni marxisme, ni libéralisme, donc. Il nous faut trouver une troisième voie : c’est le corporatisme. Les corporations, c’est-à-dire les associations entre tous les travailleurs, quelles que soient leurs fonctions, d’un même corps de métiers, présentent de nombreux
avantages.
Les corporations permettent de protéger les travailleurs, sans abolir la liberté d’entreprendre. Elles établissent et renforcent les liens de solidarité et d’entraide mutuelle entre les employés d’une part, entre employés et patrons d’autre part. Cela créé, au final, une véritable fraternité fondée sur le travail, pas cette Fraternité désincarnée que nous vante la République. Ce système permet la défense des intérêts particuliers de chacun, et la défense des intérêts généraux de toute la profession. Il est aussi un gage de qualité, dans le secteur industriel et artisanal notamment : la qualité du produit engageant l’ensemble de la corporation, chacun doit y veiller avec soin. Cette organisation facilite aussi la transmission des savoirs : la corporation étant hiérarchisée, on s’y élève en acquérant de l’expérience et des savoirs, eux-mêmes transmis par les plus anciens. On le voit, cela favorise aussi les liens humains ainsi que la transmission des connaissances.
Les corporations jouent, en même temps, le rôle de contre-pouvoir : c’est en cela que la monarchie n’est pas une tyrannie. En effet, avec le système corporatif, ce sont ceux qui sont concernés en premier lieu qui prennent les décisions. On évite ainsi l’intervention de la technocratie et de la bureaucratie. Les corporations sont ancrées dans le réel : en cela, elles sont un moyen de résistance au mondialisme destructeur. Le corporatisme est lié avec le régionalisme : c’est le pays réel, le local, qui reprend ses droits face aux jacobins, aux technocrates, aux instances supra-nationales… Cela passe par la démocratie directe, qui a toujours existé au sein des corporations, et qui n’est absolument pas incompatible avec la monarchie[4]. Le système est adapté aux différences entre chaque métier : par exemple, les corporations de boulangers et de soudeurs n’auront pas les mêmes statuts, les caractéristiques n’étant pas les mêmes. Ces statuts sont bien élaborés avec les premiers concernés, et non par d’obscurs fonctionnaires parisiens[5]. C’est bien le retour du pouvoir au pays réel.
Enfin, n’oublions pas que toute fraternité vient du Père, et qu’il est illusoire de vouloir instaurer un corporatisme athée : ce serait passer à coté du problème. « Que servirait à l’ouvrier d’avoir trouvé au sein de la corporation l’abondance matérielle, si la disette d’aliments spirituels mettait en péril le salut de son âme ? » interrogeait Léon XIII dans son encyclique Rerum Novarum[6].
On l’a vu, le corporatisme présente de nombreux avantages ; mais est-il applicable, et comment ?
Il est vrai que nous avons peu d’exemples modernes desquels nous pourrions nous inspirer. On peut tout de même signaler le cas de la Suisse : dans ce pays, le modèle social se rapproche quelque peu du corporatisme. Ainsi, selon Yves Flückiger, de l’université de Genève, « l’organisation sociale est basée sur des conventions collectives, très décentralisées, qui permettent d’adapter les salaires aux spécificités régionales »[7]. Un autre exemple est, chez nous, l’Ordre des Médecins[8]. Celui-ci fait respecter le code de déontologie, représente les médecins auprès des pouvoirs publics, contrôle l’exercice de la médecine… D’autres tentatives de sociétés corporatistes ont été faites, notamment au Portugal sous Salazar. Mise à part la mauvaise réputation (justifiée ou non, là n’est pas la question) de ce régime, on peut constater que ce ne fut pas un échec du point de vue économique. Cependant, la France et le Portugal sont deux pays différents, il serait absurde de vouloir agir exactement de la même façon. Si nous voulons instaurer un ordre social chrétien et corporatif, il serait impossible de le faire par un coup d’État ou quelque chose de ce genre. Par nature, le corporatisme ne peut fonctionner sans l’adhésion de tous : c’est sa force et sa faiblesse. C’est pour cela qu’il serait ridicule de l’imposer par une Révolution.
Il faut, au contraire, convaincre de la justesse de la doctrine corporatiste, l’imposer “par le bas”, pas par la violence aveugle : le “contraire de la Révolution”, pour citer Joseph de Maistre.
François Etendard
1 : Le fait que le marxisme se soit atténué sous la forme du socialisme ne change rien : cela reste un danger, même s’il est moindre.
2 : Un libre-échange qui s’étend au-delà de l’Europe, et au profit de l’Amérique, grâce notamment au traité de libre-échange transatlantique (le TAFTA), négocié entre les USA et l’UE.
3 : Source : http://www.lejdd.fr/Societe/Education/Actualite/Vincent-Peillon-veut-enseigner-la-morale-a-l-ecole-550018
4 : Dans ce système, on vote sur ce qui entre dans le champ de compétence de chacun, et qui a des répercussions sur sa vie quotidienne.
5 : L’exemple le plus frappant est le cas des Petits Chanteurs à la croix de bois : suite à une nouvelle réglementation, absurde et inadaptée, créée par on ne sait qui, la manécanterie est placée en liquidation judiciaire.
6 : Source : http://www.vatican.va/holy_father/leo_xiii/encyclicals/documents/hf_l-xiii_enc_15051891_rerum-novarum_fr.html
7 : Source : http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2014/05/17/20002-20140517ARTFIG00030-la-suisse-va-t-elle-se-doter-du-salaire-minimum-le-plus-eleve-du-monde.php
8 : Fondé par le régime corporatiste de Vichy, et recréé à la Libération.