« Libres réflexions sur la peine de mort », par Jean-Louis Harouel
Pendant de longues années, j’ai beaucoup réfléchi sur cette question de la peine de mort. Je n’arrivais pas à trancher et à définir une position claire, nonobstant de nombreuses lectures et réflexions partagées ici ou là. J’estimais que les deux positions étaient légitimes car les arguments présentés, pour défendre les thèses respectives, me paraissaient pertinents. Pour mes trente ans, un ami a eu l’extrême gentillesse de m’offrir un livre philosophique et historique (1). Ce dernier m’a profondément bouleversé et il fait partie pour moi, et de manière incontestable, des ouvrages à posséder.
C’est ce livre passionnant qui m’a convaincu de la seule possibilité d’appliquer la peine de mort dans le cadre d’une monarchie chrétienne. Je ne défends pas la peine de mort dans l’absolu, c’est-à-dire que si demain un référendum proposait de la remettre à l’ordre du jour, je voterai non pour la simple et bonne raison que je considère qu’elle ne doit pas s’appliquer dans un cadre institutionnel non monarchique et non religieux. Je pense même qu’il serait dangereux d’accorder ce pouvoir à un Président de la République soumis et dépendant du suffrage universel.
J’ai découvert le livre de Jean-Louis Harouel par l’intermédiaire d’un membre de ma famille qui avait eu les mêmes hésitations que moi. Cette lecture m’a littéralement enthousiasmé. Avant toute chose, il convient de présenter rapidement l’auteur. Jean-Louis Harouel, agrégé de droit, professeur émérite de l’université Panthéon-Assas, a publié de nombreux ouvrages dont : Le Vrai Génie du christianisme, Revenir à la nation, Les droits de l’homme contre le peuple et Droite-Gauche : ce n’est pas fini.
Avec cet essai intitulé Libres réflexions sur la peine de mort, l’auteur ne propose pas une défense de la peine de mort, pas plus qu’il ne milite pour son application immédiate. Il s’agit d’un livre qui se propose d’analyser le discours abolitionniste d’un point de vue théologique, philosophique, politique et bien évidemment historique. Dès les premières lignes, il rappelle un fait convenu : « La mise hors la loi de la peine de mort par les pays européens, et par bon nombre de ceux issus de la civilisation européenne, a eu pour conséquence que le sujet y est devenu tabou ». Il ajoute même que « le caractère inadmissible de la peine de mort est une vérité de foi. On n’a plus le droit d’en parler de manière libre et curieuse, en cherchant à se faire son opinion. L’idée même de la peine de mort fait l’objet d’une anathématisation incantatoire ».
La République en France se réclame toujours d’être la patrie de la Liberté et de l’Égalité voire même de la Fraternité, selon le fameux triptyque inscrit au frontispice de nos bâtiments officiels. Pourtant, l’auteur note avec raison que « le débat est clos. Et, sur ce point tout au moins, tout est bien dans le meilleur des mondes. Or, il est antidémocratique que l’on ne puisse plus débattre en France de la question de la peine de mort. Comme le résumait en une belle formule le prix Nobel d’économie Maurice Allais, la démocratie, c’est la libre concurrence des opinions ». Cependant, tout le monde sait bien que c’est faux. Depuis quand la République et la Démocratie en France promeuvent-elles les libertés ? Tout le monde se souvient de l’adage révolutionnaire : « Pas de liberté pour les ennemis de la liberté ». Sans compter les lois mémorielles et celles empêchant la liberté de recherche et de pensée (2) …
Ainsi, il n’est guère étonnant de lire le propos suivant qui est une nouvelle fois factuel : « A de rares exceptions près, les livres – même de très grande qualité – consacrés à la peine de mort au cours des dernières décennies relèvent de l’histoire sainte, du récit édifiant. L’idée générale qui guide les auteurs de ces livres est toujours la même : l’abolition est sainte et Badinter fut son prophète ». Harouel poursuit sa réflexion de cette manière : « Non seulement il est antidémocratique d’interdire de rouvrir le débat sur la peine de mort, mais encore c’est une prime à l’obscurantisme, une invitation à ne pas réfléchir, à consommer des idées toutes faites ».
L’auteur prend le temps d’énoncer ce qui suit : « La peine de mort est en elle-même une chose finalement banale. Elle est aussi vieille que les sociétés humaines et aucune civilisation ne l’a ignorée. Ce qui est profondément original, en revanche, c’est que ce soit formé depuis deux siècles en Europe occidentale un courant de pensée contestant la peine de mort dans son principe et réclamant sa disparition ». Harouel précise cette idée : « Jusqu’au deux tiers du XVIIIe siècle, tous les auteurs, de Saint Augustin à Diderot, Voltaire et Rousseau, ont défendu la peine de mort. Beccaria, on le sait, fut le premier auteur à réclamer sa suppression » (3).
En France, Hugo « s’affirme comme un abolitionniste radical ». Harouel analyse le livre Le Dernier jour d’un condamné pour démontrer « que Hugo met son immense talent littéraire au service d’un projet politique ». Il cite cette phrase : « la cause d’un condamné quelconque, exécuté un jour quelconque, pour un crime quelconque ». Harouel dit bien que Hugo était libre de ses choix littéraires en matière de roman, cependant la façon dont il présente les choses, à l’aune de cette dernière citation, montre que le raisonnement de base est volontairement biaisé…
Harouel écrit : « Pour ce faire, le procédé utilisé est de focaliser l’attention sur un condamné à mort dans la terrible attente de son exécution. Le livre n’est fait que des impressions, des sentiments, et des idées d’un homme face à l’imminence de sa mort annoncée. On ne reçoit aucune information sur son crime, et donc sur les raisons qui ont entraîné sa condamnation ». Effectivement un crime ne peut pas être défini comme quelconque et c’est la nature du forfait qui détermine la peine. Évacuer le meurtre ou le crime revient à éluder la question essentielle de la peine capitale.
Dans la droite ligne de Rousseau, qui considère que les Hommes sont bons par nature, les abolitionnistes estiment que « l’assassin est la vraie victime : considéré comme le produit de la société, qui serait donc le vrai coupable, le crime est comme oublié. Ce qui compte vraiment c’est le sort de l’assassin ». Il est quand même honteux de penser qu’une classe sociale prédispose aux actes les plus vils : « Commettre des crimes serait la conséquence automatique de l’appartenance à un milieu défavorisé ou de la carence de la famille. Le criminel serait donc en réalité innocent de ses crimes. Le criminel serait donc une victime de la société, coupable de ne pas l’avoir éduqué et/ou de ne pas lui avoir procuré de travail ». Harouel constate que « Hugo a été le pionnier de cette idéologie » qui nie le libre arbitre de l’homme, comme si les choses étaient prédéterminées, comme s’il existait une prédestination de classe au crime.
Harouel pointe aussi les incohérences des partisans de la non application de la peine de mort : « La contradiction morale entre le refus de la peine de mort et la valorisation de l’avortement est une évidence. Il y a là un illogisme total. D’un côté, on refuse de tuer de grands criminels ayant accompli des actions atroces, d’un autre côté, on autorise la mise à mort d’être innocents en train de se former dans le ventre maternel ». L’auteur analyse également les racines religieuses et théologiques de la cause abolitionniste qui remontent à la gnose et au millénarisme. Ces passages sont très intéressants car ils décryptent la racine de cette pensée, tout en expliquant les bases intellectuelles du droit contemporain. Cette démonstration imparable permet de saisir les manquements de la Justice contemporaine dans ses nombreuses et multiples applications.
En guise de conclusion, nous citons une nouvelle fois Harouel qui exprime une idée pleine de bon sens : « Ne pas risquer d’être puni de mort, même après avoir commis un crime monstrueux, est aujourd’hui un droit de l’homme… »
Franck Abed
(1) La Royauté sacrée : du pharaon au roi très chrétien de Jean Hani, ouvrage publié en 1984.
(2) Loi Pleven de 1972 ; Loi Gayssot de 1990 ; Loi Taubira de 2001 ; Loi Alliot-Marie de 2005.
(3) Des délits et des peines de Cesare Beccaria, ouvrage publié en 1764
Cher Monsieur, je vous félicite pour votre audace. Vous y avez du mérite, car tous les papes depuis près d’un siècle ont fait du combat contre la peine de mort un impératif chrétien. En revanche, je ne partage pas votre opinion en ce qui concerne son rétablissement, que vous excluez “dans un cadre institutionnel non monarchique et non religieux”,ou “dépendant du suffrage universel.” En effet comme l’ont montré d’une seule voix Bonald, Maistre et …Pierre Manent, la peine de mort est le premier attribut de la souveraineté. Or la souveraineté est une chose bien antérieure à la monarchie capétienne et même à la religion chrétienne. Défendre la vie, l’honneur et la propriété ne peut attendre le rétablissement de la monarchie, même si nous le souhaitons tous deux. Et ne me dites pas qu’il est “dangereux” de laisser la peine de mort utilisée par nos ennemis, car ils l’appliqueront de toutes façons en matière politique, et ce d’autant plus qu’ils l’auront supprimée en matière de crime de droit commun.
Entièrement d’accord avec Pierre de Meuse, à qui j’adresse mes meilleurs voeux pour une bonne et sainte année 2022 ! et ces mêmes voeux que j’adresse à monsieur Abed !
A mes yeux, la peine de mort est un contrepoids necéssaire dans l’exercice de la justice. Que le pape nous rappelle qu’il ne faut pas tuer (obligation du Décalogue), il est dans son rôle, mais c’est aux Etats et leurs législateurs de fixer librement les limites des châtiments pour les criminels ! La peine de mort peut être cette limite admise.
Rendre à Dieu ce qui est à Dieu, rendre à César ce qui est à César !