Lettre d’un émigré. Le contrat, symptôme de déchéance
Il y a certains symptômes de la déchéance française qui ne deviennent sensibles qu’avec l’éloignement. Les contrats font partie de ces archétypes.
On nous a inculqué, de partout, que le contrat était quelque chose de bien, ou plutôt de tellement banal qu’on le considère comme normal. Nos parents nous tannaient, dans l’accomplissement de leur devoir, de toujours avoir une « preuve écrite », de « faire un papier », d’avoir un « contrat », pour nous protéger dans la vie en société. La triste réalité répandue un peu partout se trouve là : sans un contrat, rien n’est sûr, on peut être trahi, non payé, arnaqué et tout ce que l’on veut. Il y a encore pire. On en est même au point où celui qui s’est fait arnaquer car il n’avait pas fait de contrat devient le fautif. « Tu n’avais pas de preuve écrite ! C’est ta faute si tu t’es fait avoir. Quelle naïveté. » Oui, aujourd’hui, faire confiance naturellement est une faute sociale, une naïveté qui confine à la bêtise, ou à la débilité.
Peut-être trouvez-vous étrange que je critique ces choses qui me paraissaient à moi-même naguère si normales. Je crois pouvoir maintenant dire que le contrat, ou tout genre d’engagement ou preuve écrite, est un bon critère pour mesurer la déchéance d’une société. Plus le contrat gagne du terrain, plus la société est décadente, et la méfiance généralisée la règle. Trouver cela soi-même normal, c’est être trompé, presque inexorablement, par une atmosphère malfaisante. Même le pur qui se trouverait réduit à vivre dans un caniveau ampli d’excréments mettrait peu de temps à ne plus sentir l’odeur nauséabonde.
Au Japon, le contrat est quelque chose de fondamentalement mal vu. C’est parfois un mal peut-être nécessaire, peut-être légalement légitime, mais c’est toujours une défaite morale, une preuve éclatante que l’on ne fait pas confiance à son partenaire. Rien de plus normal lorsqu’on parle à ce conseiller en finance de marché, qui se fait un point d’honneur de n’avoir aucun contrat avec ses meilleurs clients. Rien d’étonnant que telle entreprise, ou grand dam des pauvres décadents étrangers, ne parviennent à convaincre leur équipe de faire signer des contrats à leurs plus anciens fournisseurs.
Au Japon, peu importe le contrat. S’il faut en faire, on le fait après avoir conclu l’affaire, en cachette, en faisant tout ce qui est possible pour que jamais ce satanique contrat ne puisse devenir comme la preuve d’une méfiance réciproque, d’une basse volonté d’« assurer ses arrières », aux dépens de la relation et de l’harmonie, à commencer dans le boulot.
Chez nous, tout le contraire. Si au Japon, le financier mondial peut ne pas signer de contrats avec gens à qui il fait confiance, chez nous le dernier des sujets républicanisés signerait un contrat avec sa mère. Le Pacs est symptomatique en la matière.
Ne croyez donc pas ceux qui veulent faire croire que l’écrit est un progrès. Le contrat est une preuve de déchéance, car elle montre la défiance et la méfiance. L’impossibilité de faire quoi que ce soit sans penser à se protéger, à arnaquer. La normale en Décadie, c’est de partir du postulat que l’autre arnaquera. Et pire, que l’arnaqueur a raison, est dans le bon. Il ne sera jamais poursuivi ni dénoncé, de toute façon il n’y avait pas de contrat. Le juste est fautif d’avoir fait du bien. Belle société, vraiment. Pire encore, on insinue presque – et peut-être carrément – que celui qui n’abuserait pas de l’autre, d’un organisme ou de n’importe quoi lorsqu’il le peut légalement, serait un pauvre béta idiot…
Peut-être le contrat et tout ce qui se rattache à cette invention ne devraient-ils idéalement ne plus exister dans une société d’anges. Le fait en tout cas certain, c’est que le contrat est toujours un signe de défiance ou de méfiance, même s’il n’est pas conscient. Si on faisait réellement le pari de la confiance, on ne signerait pas le contrat.
Le royaume de France sera restauré lorsque l’hommage, la promesse et le serment occuperont une place écrasante face au contrat, à la preuve écrite et les « papiers ».
Paul de Beaulias
Pour Dieu, Pour le Roi, Pour la France