Lettre d’un émigré. La tradition comme transmission du lien
Le mot tradition en Japonais, 伝統, se compose du mot « transmettre » et de celui de « régner ». Ce second caractère signifie primordialement « lien », le fil qui fait tenir le tout, et sans lequel le vêtement se défait. Nous remarquerons ainsi que « diriger » au Japon signifie étymologiquement faire le lien, être le lien qui fait tenir le tout ensemble.
La tradition serait ainsi la « transmission de ce lien », la transmission de cet art qui consiste à relier les hommes les uns aux autres, les hommes au divin et les hommes au reste de la Création, de cet art qui consiste dans cette flamme, cet élan vital renouvelé qui permet de « faire tenir » le tout en incarnant le fil, le tronc sur lequel l’ensemble peut s’appuyer et par lequel il peut se dégager une cohérence générale.
La « tradition » ne se limite ainsi pas à une sorte d’action de conservation, ni même à un travail purement intellectuel de transmission de la connaissance ou de la mémoire sans incarnation ; la « tradition » consiste dans la transmission dynamique, incarnée et vitale de ce lien, qui désigne ce qui nous permet de tenir ensemble, avec le divin, avec les autres hommes et la nature. Qu’elle se décline dans tous les champs des œuvres humaines de l’esprit et de la matière, cela est naturel, mais si elle ne porte plus en elle cet élan vital qui s’incarne dans le lien toujours renouvelé, approfondi, revitalisé de génération en génération, à travers les générations et entre elles, alors cette « tradition » est déjà mourante ou du moins moribonde. Elle s’oublie en s’enorgueillissant de civilisation dans la simple conservation des choses, qui n’est qu’une autre façon de nommer la perte progressive des vérités dans une chute, freinée certes, mais une chute tout de même.
Le risque est de voir la flamme s’éteindre, la passion pour la vérité s’épuiser et l’énergie préférer la conservation des formes sur la conservation de l’esprit, de l’âme, du lien en bref. L’arrivée d’une époque historique qui ne transmet plus qu’en conservant met en danger la fondation des liens :
« Après cette période de grande effervescence, deux siècles s’écoulent pour laisser la place au grand chamboulement de « la grande réforme et changement » du milieu du septième siècle. Cette époque voit la formation d’organisations et de systèmes, l’introduction des caractères qui en font une époque historique, où l’on réfléchit aussi aux époques passées. Elle succède avec brio à l’époque précédente des héros, on se souvient des tertres funéraires en serrure, comme des îles flottantes oniriques puis ces tombes rondes. Succède ainsi à une époque vigoureuse, positive et pleine de jeunesse qui ne tolère ni contraintes ni compromissions, une autre époque qui prend soin des acquis, à conserver passivement, remplaçant ancienne vigueur et spontanéité par une époque d’intellectuels et de jeunes princes bohèmes, comme l’illustrent ces examens de fonctionnaires. L’énergie vitale et spirituelle à l’origine de cette vigueur et de cette ambition de jadis s’épuise. C’est le fardeau inévitable de la culture et de la civilisation, et ce qu’on peut appeler le mal nécessaire que contient toute éducation humaine. »[1]
L’oubli de transmettre véritablement de cœur à cœur peut provoquer la terrible conséquence d’entraîner ceux qui se trouvaient déjà dans une pente vicieuse de vouloir abattre les monuments conservés, sans ne plus pouvoir être arrêtés par la force de la vérité de l’âme et la force du lien ayant quitté ces pierres qui ne sont plus que de gros blocs froids sans chaleur. Une église abattue est un drame. Mais une église vide, ou, pire, devenue musée, l’annonçait depuis longtemps.
Notre devoir est de « restaurer » la flamme et de réactiver la transmission du lien, soit, en d’autres mots, restaurer la tradition. Et ce qui fait tenir notre royaume, notre clef de voûte tout en étant notre passerelle vers le Ciel, c’est notre Roi, incarné, de chair et d’os, qui nous montre la voie de la tradition, tout en étant son acteur principal, puisqu’il revitalise habituellement les liens dans tout le royaume, par son existence même assumée.
Paul de Beaulias
Pour Dieu, pour le Roi, pour la France
[1] Tadashi SHIGA, Histoire de l’éducation dans l’antiquité japonaise(日本古代教育史), Tôkyô, Chiyoda Shobo, 1977, p114: « こうした溌刺たる盛り上がりを見せる時代の幕は下りて二世紀を経て七世紀の半ばにいたって、大化改新で舞台は転廻する。それは組織化・制度化の時代であり、輸入された文字文書による歴史の時代であり、これまでも反省の時代であり、中国の学問文化と生産技術と仏教を迎え入れての文明の時代であった。それは先の英雄時代に適わしく、夢の浮島の如き前方後円の古墳は人間の時代の到来を思わせ、かつてのような小さくまとまった円頭形の墓に代わる。何物も抑圧したり、捻じ曲げることを許さぬ若く逞しく、積極的な若者の時代に代わって、現実を大事にしようとする保守消極的時代となり、野生や逞しさに代わって、監視採用の資格案件に見られるように、とりすました知識人や貴公子の時代になる。そこには、もはや野生や逞しさに秘められた溌刺たる生命感情や意欲は乾上ってしまった。それが文明や文化の功罪であり、それらを内容とする人間教育の利弊というものであろう。 »