Lettre d’un émigré. Engager sa famille pour le Roi – Esprit partisan, Esprit Royal
Un critère efficace qui permettrait de distinguer la part d’influence divine et la part d’influence diabolique dans les choses humaines s’incarne peut-être très bien dans les tendances publiques, bienfaitrices, et les tendances partisanes, malfaisantes.
L’esprit public ou plutôt de service, ou encore de sacrifice, en fin de compte de charité chrétienne et d’amour, est cet esprit qui pousse à sortir de soi, à faire taire son ego, à se plonger dans l’amour divin, et correspond très bien à l’esprit de tradition par excellence, l’esprit royal.
L’esprit privé, ou plutôt égoïste, ou encore d’envie, en fin de compte esprit nombriliste et laxiste, qui pousse à l’individualisme, à la recherche de l’intérêt et du profit privés, aux plaisirs, à la démesure, à se tourner contre les autres, à considérer les autres comme des concurrents, des malfaisants, désigne bien commodément l’esprit révolutionnaire par excellence, l’esprit partisan.
Au-delà des individus, toute communauté humaine peut pencher vers l’une ou l’autre de ces tendances, pour le meilleur dans l’esprit royal, pour le pire dans l’esprit partisan. La famille, et son extension, la Maison, sont trop souvent décriées, quand on pense encore à elles, comme des sortes d’abcès d’esprit partisan, parangon de l’égoïsme, dans l’idée que l’égoïsme collectif est bien plus moche et sale que l’individualisme. Ce problème est un faux problème, un détournement qui permet de conclure que, donc, la famille, la Maison, mais aussi en général les autres communautés, comme la corporation, le village, la guilde, la paroisse, etc., sont autant de réalités à combattre car des vecteurs de repli sur soi, de discrimination et autres termes nouveaux que nous entendons à droite et à gauche. L’objet à attaquer n’est pas ces liens naturels, réels et toujours là, malgré la violence qui peut leur être faite, ou la négation dont ils peuvent être l’objet, mais l‘esprit partisan qui est le véritable poison qui pervertit les communautés, et qui peut transformer une famille en clique, en bande organisée malfaisante, en parti. A contrario, l’esprit royal encouragé et soutenu permet de sublimer le lien naturel de la famille en Maison, où le service, l’amour charitable et la sainteté sont cultivés.
L’étape suivante, où nous tous contemporains butons brutalement et bloquons immanquablement, se situe dans la difficulté moderne de concilier les contraires en s’obsédant de leurs différences rationnelles, en ne voulant plus voir leur union naturelle. Ainsi par exemple, posons que vous soyez chef de votre Maison. Il pourrait sembler contradictoire de servir sa Maison et servir le Roi à première vue : des troubles éclatent, type la Révolution, et vous devez aller servir le Roi pour le protéger et mourir pour lui, en abandonnant donc votre famille dans votre province en proie aux massacres des félons. L’esprit malin incite à croire que dans ce cas-là ce chef de famille aurait fait passer le Roi avant sa famille, ce qui amochit l’acte d’autant, puisque cet esprit diabolique sous-entend donc que ce chef de famille est indigne. Le choix inverse, pire encore, qui consisterait à abandonner le Roi à son sort pour sauver sa famille est une lâcheté égoïste tout encore plus sale –ce qui fait d’ailleurs réfléchir sur l’assassinat du Roi Louis XVI, que seul un infime nombre de serviteurs fidèles tenta d’empêcher par les armes… Mais revenons à nos moutons. Cette mécanique de pensée est absolument délétère, car elle amochit tout et confine à la contradiction irrésolue qui précipite dans le doute et le relativisme. La même chose pourrait se dire sur le service au Roi et le service à Dieu. Si le Roi ordonne de faire un acte manifestement contraire à la Foi, que faire ? Dans l’esprit contemporain, il semblerait que forcément l’un ou l’autre du Roi ou de Dieu sera trahi, et les moralistes encore à peu près à l’endroit prôneront alors la fidélité à Dieu plutôt qu’au Roi.
Cette opposition systématique, et ce choix qui semble obligatoire dans la fidélité et le service est déjà révolutionnaire, car il force à reconnaître que dans ces cas, qui peuvent être déclinés en de nombreuses matières, l’acteur réalise forcément un mauvais acte derrière le bel acte – trahison de ses proches, de son Roi, de sa Foi pour ses proches, son Roi ou Dieu. Cette manière de penser fait mine d’opposer Maison, Roi et Dieu, et nous sentons déjà cette racine révolutionnaire marxiste de l’opposition comme règle.
Cet enchaînement dramatique de la pensée révolutionnaire peut pourtant se retourner facilement, il suffit de revenir à la réalité. Concrètement, ces contradictions et oppositions sont en réalité illusoires, car à la fois chaque situation est indépendante en sa nature, et se réunit en même temps au tout en pratique. Reprenons nos exemples précédents. Un chef de Maison doit évidemment protéger les siens, puisque c’est le devoir du souverain absolu qu’il est au sein de sa Maison. Ce devoir, ce lien est toutefois subsumé au service de son Seigneur, le Roi, lui-même subsumé au service du Christ et de la Foi : pour bien servir Dieu, il faut bien servir le Roi, car il n’est pas possible de servir l’ultime bien s’il n’est pas possible de servir le Roi. De la même façon, pour bien servir le Roi, il faut bien servir sa Maison, car il n’est pas possible de bien servir le Roi sacré si l’on est incapable de servir ses proches. Cette logique traditionnelle est toute chrétienne : il faut d’abord servir son prochain, soit les proches, puis une fois que nous pouvons bien le faire, nous pouvons aussi, par extension, mais sans s’arrêter de servir le proche, servir le plus éloigné comme un prochain, ce qui permet en fin de compte de véritablement servir Dieu, qui veut que nous servions toujours les autres comme un prochain. Cette sorte de règle de translation du lien de service se fait aussi du haut vers le bas, et ce n’est pas pour rien que Dieu s’est incarné dans Jésus.
Cela à l’esprit, revenons à notre chef de Maison confronté aux troubles, et dont le Roi a besoin de son service, loin de sa famille. Sa Maison, nourrie d’esprit royal, n’est plus ici une somme d’individus, et le Chef de Maison, souverain dans sa Maison, a le pouvoir d’engager comme si c’était lui-même la Maison au service du Roi. Dès le départ, d’ailleurs, le lien de service ne se limite pas à celui de personne à personne, mais de communauté à communauté. C’est là que tout change : le Chef de Maison engage la volonté de la Maison au service du Roi, et comme lui-même est prêt à donner sa vie pour le Roi, sa Maison aussi. Elle se défendra donc en restant dans sa province, et servira le Roi de là, et si elle meurt au cours de ces troubles, elle mourra dans l’honneur et la gloire de la résistance chevaleresque ou de l’action chevaleresque – femmes et enfants compris, n’oublions ni Jeanne d’Arc ni les enfants martyrs – tout cela est triste certainement, mais aussi sublime, et si les circonstances l’obligent, c’est le destin et l’accomplissement du bien qui témoignent de la sainteté. Ainsi, la Maison en son entier, le Chef de famille auprès du Roi, et le reste là où elle est, sert le Roi. Il n’y a pas d’abandon ni de trahison, la Maison unie dans la volonté de son Chef de Maison sert en son entier son Roi, et cette union, et cette glorieuse volonté divine, cet esprit royal est une incarnation du service dans la Maison, qui sait vouloir purement et vivre dans la résolution du sacrifice et de ses devoirs. Le paradoxe impénétrable se résout, et le service du plus proche éclate de lumière irradiante dans la sublimation du service au Roi, qui manifeste le service dans la Maison poussé tellement loin que le lien, l’amour leur permet de s’unir humblement au sein de la Maison, et incarner le Service au Roi, et par là le service au prochain, et le service à Dieu.
La même chose peut se dire pour l’ordre injuste d’un Seigneur. Le devoir de remontrance se trouve là : un serviteur qui aime son maître le reprend avec franchise dans ses erreurs manifestes, quelle que soit la colère qu’il essuie, ou les punitions, l’opprobre qu’il pourra subir, et qu’il acceptera sans broncher. Si le Seigneur persiste dans l’erreur, une solution classique et traditionnelle au Japon est la suivante : il peut se sacrifier par fidélité et incarner sa remontrance dans son martyr, tout en restant fidèle. Quel maître ne réfléchirait-il pas devant le sacrifice de son serviteur pour lui faire prendre conscience de son erreur ? Quel Père ne se convertirait-il pas devant le sacrifice d’amour de son fils ? N’est-ce pas l’attitude christique par excellence ? Pas de rébellion, pas de complots, juste une remontrance éblouissante et un sacrifice d’amour.
En toute chose, dépassons les paradoxes intellectuels, et incarnons le renouement réel des liens, seul chemin de la fidélité au Seigneur et à notre Roi. Un chevalier, un servant, doit se résoudre aux pires des situations pour, le moment venu, vraiment choisir ce que la circonstance et le Bien demandent, loin de toute argutie abstraite et théorie illusoire.
Pour Dieu, Pour le Roi, pour la France
Paul de Beaulias