Le grand cycle ontologique
Dans le contexte ontologique1 naturaliste (ou classique), tous les êtres vivants sont considérés de composition comparable (en termes chimiques) voire identique. Ce qui distingue l’homme des autres êtres du règne vivant, c’est d’avoir en commun une intériorité, une subjectivité, une âme.
Cette intériorité, fondée sur un socle de certitudes, innées ou acquises, conscientes ou inconscientes est une force créatrice de cohésion et de progrès.
Dans le contexte ontologique analogique, L’individu tend au contraire à se revendiquer comme un être unique en tout point différent des autres, tant en physicalité qu’en intériorité. Il est peu capable de se reconnaître dans l’autre et s’expose à la résurgence de ses instincts primaires.
A l’aube de l’humanité régnait l’analogisme. Point de gouvernance possible.
Freud nous dit que l’homme primitif était tout entier livré à ses instincts (instinct agressif et instinct sexuel), mais que très vite la vie en horde s’avéra incompatible avec la satisfaction de ces instincts. Le groupe ne tarda donc pas à établir des règles pour canaliser la violence, le cannibalisme, l’inceste… mettant en place toutes sortes de châtiments en cas de transgression. Ces règles extérieures furent rapidement intériorisées : le Moi profond, siège des instincts se trouva bientôt subordonné au Sur Moi, siège de la raison.
C’est à ce moment qu’est apparu le sentiment de religiosité, basé sur la crainte d’une punition divine qui se déchaînerait si les instincts profonds venaient soudain à faire surface. C’est à ce moment que notre civilisation entra dans une longue période naturaliste. Dieu et le Roi guident alors le peuple.
Ancrée à un socle de certitudes et de croyances partagées, profondément intériorisées, guidée par un projet commun sacrée, notre civilisation pouvait alors entrer lentement mais surement dans le progrès.
Mais avec le progrès, les certitudes et les croyances évoluent. Caricaturons :
« Il était une fois, une terre plate autour de laquelle tournait un univers créé en sept jours par un Dieu unique dans lequel chacun avait foi. Un Roi de droit divin en guidait le Peuple pour le meilleur et pour le pire. Son fils en fera de même… »
« Il est aujourd’hui une terre ronde à la périphérie d’une galaxie moyenne résultat d’un big bang créateur de l’univers. Un président élu démocratiquement défend les intérêts immédiats de ses électeurs afin de garantir sa réélection… »
Des siècles de progrès techniques, scientifiques, des siècles d’évolution de la pensée.
L’hyper socialisation de l’humanité, les progrès inouïs réalisés, se sont fait au prix d’un asservissement du Moi, d’une frustration des instincts. L’individu n’est plus une entité unique mais la part infime d’un tout et de plus il est conscient de son état. La mondialisation et la surinformation amplifient cette prise de conscience.
Révéler l’asservissement du Moi au Sur Moi, c’est ouvrir la boite de pandore. En cela Freud n’a fait qu’enfoncer le clou posé par les philosophes des lumières. Révéler au grand jour le Moi profond de chacun, c’est redonner naissance à l’individu en temps que tel, redonner de la prédominance à ces instincts individuels, l’affranchir de Dieu, le pousser à satisfaire tous ses besoins immédiats au détriment d’un projet commun sacré. C’est enfin enclencher un processus quasi-déterministe aboutissant au basculement rapide vers un nouveau schéma ontologique.
Les philosophes des lumières et la révolution française (l’acte ultime : tuer le Père), l’affaiblissement de la cellule familiale (mariage et divorce civil), le déclin de la croyance en Dieu (séparation de l’Eglise et de l’Etat), Freud, mai 68, l’émergence d’un Droit supérieur la vie (avortement, euthanasie), la libération sexuelle (contraception), le mariage des homosexuels, la négation des différences les plus élémentaires (homme/femme et théorie du genre)…
L’ère de la gouvernance démocratique marque le déclin du naturaliste et une tendance naturelle au retour vers un schéma analogique, par essence impossible à gouverner.
Le temps est à l’humilité et à la réflexion car il y a aujourd’hui urgence à créer un nouveau modèle de gouvernance pour échapper à la fatalité de ce basculement.
AC
Ontologie : Branche de la philosophie concernant l’étude de l’être