La République des mots
Devant les quatre cercueils des résistants alignés dans la cour du Panthéon, F. Hollande prononçait ces mots « La République n’est pas figée. Ce n’est pas un corset dont il faudrait régulièrement recoudre les boutons. La République c’est un mouvement […] c’est une passion, une passion généreuse, rationnelle, et rassembleuse ».
En référence à P. Brossolette il ajouta « La République c’est l’audace, le renouvellement. Ce grand résistant voulait une République moderne, ouverte et exigeante ». Et de conclure en appelant au « devoir de vigilance et de résistance face à l’indifférence […], au racisme, à l’inégalité et à l’indécence ».
Hormis la parabole des boutons difficilement compréhensible pour un chouan moyen (à moins qu’il s’agisse de ceux du costume manifestement trop étriqué pour accueillir l’estomac présidentiel), les mots ne manquent de piquant pour faire l’éloge du régime politique locataire de la maison France, à l’image du coucou couvant dans un nid qui n’est pas le sien.
Née de la Révolution, par définition jamais terminée, il est normal que la République ne soit pas « figée », mais en « mouvement ».
À voir l’agitation des prétendants prêts à tout pour accéder à la fonction suprême, la République est effectivement une « passion », « généreuse » avec l’argent des contribuables et celui emprunté sur les marchés financiers, « rationnelle » par fidélité à la raison déifiée dans le seul but de s’opposer à Dieu. Et enfin « rassembleuse » comme le prouve le spectacle des chefs de parti plus prompts à se lancer des noms d’oiseaux à la figure qu’à débattre d’un programme qui tirerait le pays de l’ornière.
Le principe de précaution tient lieu « d’audace » et le « renouvellement » se borne à transvaser les cornichons du bocal de l’UMP dans celui des Républicains.
La République est « exigeante », du verbe exiger qui signifie demander impérativement ce qui est considéré comme un dû, c’est-à-dire tout, de l’impôt à l’obéissance ; à vos risques et périls vous avez le droit de contester mais le devoir d’obéir.
Elle est « moderne » en suivant les modes du temps afin de ne pas froisser son électorat, ce qui revient à admettre que la politique n’est plus l’art de conduire les peuples mais celui de la flatterie.
Elle est « ouverte » aux produits « made ailleurs » et à l’immigration.
Que dire « du devoir de résistance face à l’indécence » quand l’orateur qui, après avoir enfourché un scooter pour rejoindre sa Julie, l’a introduite à l’Elysée sur le perron duquel flanqué de Ségolène, il accueillait le roi d’Espagne ? Où est passé « le devoir de résistance face à l’indifférence » devant le martyre des chrétiens d’Orient ?
La dernière (en attendant la prochaine) trouvaille en matière de mots est dans la réforme des collèges mitonnée par Najat Vallaud-Belkacem pour lutter contre «l’ennui des élèves ». D’où vient cet ennui ? Eh bien du fait que « la transmission des savoirs est une violence faite à l’enfant qui se trouve aliéné par une éducation qui se rêve créatrice mais empêche l’enfant d’être l’auteur de lui-même » (Pierre Bourdieu, sociologue génération 68).
Heureusement un premier pas a déjà été franchi avec l’enseignement de la théorie du genre qui permet au garçonnet de devenir une fillette « auteure » de lui-même.
Dans le même style clair et direct, le Conseil supérieur des programmes chargé de cette énième réforme préconise qu’une partie de l’emploi du temps soit réservée à quelques disciplines sportives, par exemple « comment traverser l’eau en équilibre horizontal par immersion prolongée de la tête dans un milieu aquatique profond standardisé», ou « de rechercher le gain d’un duel médié par une balle », voire de « créer de la vitesse ».
Rassurez-vous le sport n’est pas tout car il est prévu que les élèves apprennent « à aller de soi et d’ici vers l’autre et l’ailleurs » et « à produire des messages à l’écrit ».
Renseignements pris auprès de traducteurs compétents, il s’agit respectivement d’apprendre à nager, à jouer au tennis, à courir, à pratiquer une langue étrangère et à rédiger un texte. « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément »… Boileau doit se retourner dans sa tombe !
Hormis la passe d’arme entre le ministre de l’Education Nationale et B. Le Maire, les ténors de la droite ont fait entendre la voix du silence.
L’objectif commun à la droite et à la gauche est de répondre aux attentes d’un corps électoral majoritairement composé de citoyens à la fois consommateurs, contribuables et salariés ; d’où la traduction politique, pouvoir d’achat, prélèvements obligatoires et emplois ; à partir de là, droite et gauche cherchent comment :
– Doper la croissance pour diminuer le chômage.
– Rembourser la dette sans ruiner une ou deux générations et sans toucher au système de protection sociale.
– Augmenter le pouvoir d’achat.
Et, comme il s’agit de convaincre les électeurs, comment trouver les mots rassurants pour justifier le bienfondé de leurs programmes respectifs ? Pour le pouvoir en place et l’opposition, tous les mots sont permis, y compris ceux des mensonges par omission, pour promettre que la guérison des maux dont souffre le pays est en bonne voie.
Ainsi la célèbre « inversion » de la courbe du chômage. D’abord l’inversion d’une courbe n’existe pas ; il y a inversion de la dérivée première par laquelle une fonction mathématique représentée par une courbe devient croissante ou décroissante. Ensuite, malgré un PIB en croissance de 0,8% sur le premier trimestre le chômage ne baisse pas, conformément au phénomène prévu par la plupart des économistes sous le nom de « reprise sans emploi ».
L’exemple de la Fédération des Industries de la Mécanique (FIM) illustre cette réalité omise dans le discours officiel : en 2008 le chiffre d’affaire des entreprises affiliées à la FIM était de 116 milliards € avec 708 000 salariés contre 114,8 md € en 2014 avec 100 000 salariés en moins ; soit un gain de productivité de 15% principalement dû à la réorganisation des postes de travail mise en place pour passer le pic de la crise avec des investissements réduits au strict minimum en raison des incertitudes conjoncturelles et fiscales.
À l’inverse, mais avec les mêmes conséquences négatives sur l’emploi, les investissements sont sources de gain de productivité à l’exemple de Renault qui prévoit de robotiser ses usines roumaines en réponse aux récentes grèves déclenchées pour motif salarial.
Autre exemple, les investisseurs étrangers retrouvent le chemin de la France. Les chiffres parlent d’eux-mêmes, le nombre de projets tombé à 471 en 2012 remontait à 615 en 2013 pour atteindre 608 l’an dernier. Conclusion le pays a retrouvé son attractivité sous l’effet des réformes engagées sous la présidence de F. Hollande. À regarder de plus près on constate que les créations d’emplois induites par ces projets sont en régression constante, 14 200 en 2013 contre 12 600 en 2014, en raison de leur nature :
– Moins d’activités nouvelles créatrices d’emplois et plus d’investissements de productivité sur des sites existants.
– De plus en plus de rachats d’entreprises françaises par des sociétés étrangères à court terme sans conséquence pour l’emploi.
Les commentaires saluant le renouveau du marché français de l’automobile sont de la même veine : mars 2015, 196 572 immatriculations, du jamais vu depuis 2012, pas de doute la reprise est bien là ! Le bémol reste que les immatriculations tactiques (loueurs de courte durée, véhicules de démonstration, ventes au personnel des constructeurs) exceptionnellement hautes représentaient 28% du total.
En fin de compte l’unique point sur lequel les gouvernements successifs sont discrets est celui de la dette publique.
Dans ce cas on ne parle pas de courbe mais de « trajectoire », pour l’heure montante mais qui s’infléchira dès 2017. Pourquoi ? Parce que ! Certains ont le mauvais goût de souligner que cette échéance est un peu lointaine alors que la dette totale de la France au 31 décembre 2014 s’élevait à 216,5% du PIB (4 460 milliards €) répartis comme suit : publique 95%, entreprises 66,5% et particuliers 55%.,
Maintenant que reste-t-il à faire aux Français gavés de repentances et de multiculturalisme, déracinés et exilés sur la terre où reposent leurs ancêtres, inondés par la publicité « spécial Ramadan » distribuée début juin par les Mousquetaires d’Intermarché pendant que le ministre de l’Intérieur, toujours à l’aise pour évoquer le parfum nauséabond des racines chrétiennes, invitait les musulmans à suivre « intensément » le Ramadan ?
Eh bien suivre la « panthéonisation » de quatre résistants qui avaient combattu le nazisme, abomination suprême utilisée pour oublier le sacrifice des opposants au communisme, et écouter les mots du président qui glorifiait non pas la France, mais la République « généreuse, audacieuse… »
Maintenant on explique aux Français que le salut de l’économie nationale passe par l’innovation. Alors que l’illettrisme gagne du terrain, que la France en perd au classement Pisa et que les filières scientifiques et techniques se vident faute de candidats, où trouvera-t-elle les techniciens et les ingénieurs qui constituent l’indispensable passerelle entre les sciences fondamentales et les applications innovantes ?
Eh bien dans le charabia des mots utilisés pour justifier la réforme du collège.
Maintenant que font les chefs de parti pour doper la croissance, rembourser la dette et augmenter le pouvoir d’achat ?
Eh bien ils s’invitent à la télé, non pour débattre ensemble des moyens à mettre en œuvre, mais pour persuader le bon peuple qu’ils détiennent la potion magique qui lui évitera d’avoir à partager les inévitables sacrifices à consentir pour mettre le pays en ordre de marche.
Et après avoir pris les Français pour des débiles mentaux incapables de comprendre la gravité de la situation, au soir de la prochaine présidentielle, ils trouveront de bonnes raisons pour expliquer un taux d’abstention élevé.
L’heureux élu avec un tiers des inscrits se présentera comme « président de tous les Français », y compris de ceux qui l’ont choisi en hésitant entre la peste et le choléra ; puis selon la formule « Vive la République, Vive la France » unira la première avec la seconde, comme le gui vit en parasite sur le pommier
Pierre Jeanthon