De l’éducation
Le temps de la jeunesse est celui de l’éducation, avec toutes ses facettes, intellectuelle, physique, spirituelle. Cela ne signifie point que la maturité et la vieillesse n’ont plus rien à apprendre, mais ces âges de la vie, tout en progressant encore dans tous les domaines, puisent généralement dans ce qui a été acquis lors des jeunes années. Tout se joue et est bouclé très rapidement. Bien évidemment, des changements, même radicaux, sont possibles par la suite, mais, y compris dans les conversions intellectuelles les plus profondes, demeure alors toujours un héritage qui empêche parfois la personne de de se libérer totalement et de progresser. Se crée ainsi une sorte de syncrétisme qui, loin d’effacer les erreurs et les choix erronés d’antan, les perpétuent sous une autre forme en attirant à lui des adeptes innocents et naïfs. Il est donc essentiel de donner des bases solides et saines aux enfants et aux adolescents car, même s’ils tournent plus tard le dos à ce qu’ils ont reçu, ils auront été façonnés intérieurement par ce qui pourra, un jour peut-être, refleurir.
Depuis la naissance de l’humanité, l’éducation est au centre des préoccupations, chaque génération transmettant ainsi ses connaissances, ses techniques, ses principes moraux et sa vie sociale. Si la jeunesse est malade, il est fort probable que les générations à venir le seront aussi, surtout si les systèmes politiques empoisonnent volontairement les jeunes esprits en les modelant à leur guise de plus en plus tôt. Georges Bernanos, dans un contexte mondial catastrophique lors de la seconde guerre mondiale, écrivait dans Les Grands Cimetières sous la lune : « C’est la fièvre de la jeunesse qui maintient le monde à température normale. Quand la jeunesse se refroidit, le reste du monde claque des dents. » Voilà qui ne plairait guère aux partisans de la thèse du réchauffement climatique causé par l’homme ! Si la terre se réchauffe, il apparaît clairement que les cœurs et les esprits ne suivent pas le même chemin. Le fait qu’une adolescente terrifiante soit proclamée la pythie de la nouvelle religion en dit long sur l’éducation sous-jacente qui a mené ainsi nos peuples à oublier ce qu’ils sont. Une éducation déviante produit des monstres. Et même si l’éducation croit n’utiliser que des principes bons, le résultat est surprenant, le maître dévoré par son élève, comme ce fut le cas avec l’éducation jésuite du XVIIIème siècle qui s’appuya avec une trop grande témérité sur l’antiquité païenne et qui créa l’athéisme des Lumières.
Saint Thomas d’Aquin a sans doute rédigé un opuscule, qui lui fut attribué de façon posthume, sur L’Education des princes.Il s’était déjà penché sur les méthodes à utiliser pour conduire un enfant à l’âge adulte, et les principes qu’il propose ne correspondent guère à l’air de notre temps puisqu’il n’écarte pas la punition qui, à son époque, n’était pas simplement la privation de dessert. Le rôle de tout homme est de connaître et de louer son Créateur, et donc, pour atteindre ce but, il est nécessaire d’être ferme avec les enfants dès le plus jeune âge, leur inculquer les principes moraux et ne pas hésiter à sévir lorsqu’ils rechignent à le faire. Saint Thomas ne se fait pas d’illusion sur une prétendue innocence de l’enfant, suivant en cela saint Augustin. Il note que l’enfant recherche naturellement ce qui est malfaisant et repousse ce qui est lui est propice, d’où le besoin d’utiliser la fermeté dans bien des cas. Mais le Docteur angélique est un homme vertueux, d’où la patience qu’il invite à mettre en œuvre dans toute œuvre éducatrice. Il croit à la juste mesure en toute chose. Il faut savoir doser la sévérité, sinon cette dernière perd toute efficacité. Tout progrès est lent dans l’éducation. Il cite Sénèque : « Les progrès dans la vertu sont lents, parce que c’est le propre d’un caractère timide et d’un esprit inquiet de craindre ce qu’il n’a pas encore». C’est pourquoi il faut lutter dans le principe; mais ensuite le remède perd son amertume et bientôt devient doux à prendre, parce qu’on sent qu’il est bienfaisant . » L’enfant, comme l’adulte d’ailleurs, est difficile à convaincre lorsqu’un sacrifice est présenté comme la voie de son bien. Il n’empêche que la démission serait le pire service à lui rendre car, plus tard dans l’existence, il pourrait, à juste titre, reprocher à ses parents d’être la cause de ses erreurs : « Les enfants d’un méchant homme se plaindront de leur père parce qu’il est cause qu’ils sont en opprobre, pour avoir été mal élevés. » Il s’inspire de la parole de L’Ecclésiastique au chapitre XXX qui traite de l’éducation des enfants et de l’utilité des châtiments: « Un cheval indompté devient intraitable, et l’enfant abandonné à lui-même devient téméraire. » (XXX,8) Sans utiliser la violence propre à l’Ancien Testament, il est bon de se souvenir que l’éducation ne peut pas reposer sur les concessions et sur les compromis. Il est facile de constater que ces moyens, à l’échelle d’une nation, sont généralement catastrophiques. Il est possible de négocier, -pas sous n’importe quelles conditions-, un traité de paix pour mettre fin à une guerre, mais la négociation ne doit pas être le moyen utilisé par des parents et des éducateurs pour conduire la jeunesse vers le bien. Cela ne signifie point que la colère, l’intransigeance, la rigidité et l’injustice doivent régner, bien au contraire. Saint Thomas croit en la nécessité de s’adapter aux caractères divers, de prendre en compte la spécificité de chacun. L’éducation médiévale est bien plus chrétienne que celle de la Renaissance, trop influencée par le monde païen latin et grec. Nous retrouvons cet équilibre ferme dans les Enseignements que saint Louis rédigea vers 1250 pour ses enfants Philippe (futur Philippe III le Hardi) et Isabelle. En revanche, l’éducation humaniste à partir de la moitié du XVIème siècle produira des fruits divers et donnera des résultats plus ou moins heureux.
Tristan Bernard écrivait dans Le Fardeau de la liberté, avec sa verve habituelle : « Né dans la médiocrité, j’y fus élevé et n’en sortis point. Depuis mon enfance, j’ai rendu de sérieux services à mes contemporains, car je ne leur ai jamais donné l’exemple pernicieux d’une action d’éclat. Par là, je leur ai évité toute exaltation dangereuse. » Second degré et humour certes, mais qui pourrait hélas s’appliquer à tant de personnes ramollies par une éducation sans squelette… Une éducation réussie est justement celle qui enseigne l’horreur de la médiocrité, ceci sans attendre des actes héroïques. Chaque action ordinaire peut s’extraire de la fadeur et de la paresse. C’est en cela qu’il faut comprendre la grandeur de la « petite » sainte Thérèse de Lisieux. Sa capacité à accomplir chaque geste en plénitude provenait sans doute en grande partie de l’éducation qu’elle avait reçue, sans tambour ni trompette. Il ne s’agit pas d’être « à cheval sur les principes », car cette équitation ne mène qu’à une écurie vide et malodorante. L’éducation transmet des principes qui ne sont pas les ombres de la mort mais les conditions de la vie. Sainte Catherine de Gênes, cette puissante mystique avait ce mot : « Je sors de chez moi pour n’y plus rentrer. » Cette victoire sur l’amour-propre est peut-être la clef qui devrait guider toute éducation. Plus cet amour-propre est vaincu, plus le champ est libre pour que des héros et des saints se lèvent, pour que l’homme puisse répondre à son devoir d’état avec générosité, pour que l’honnête homme remplace l’homme replié sur lui-même.
Négliger l’éducation ou bien l’exercer dans une fausse direction a des conséquences universelles. Nous touchons aujourd’hui du doigt le laxisme et la bêtise régnant depuis des décennies sinon des siècles. Quelle figure présente le monde d’aujourd’hui ? Laissons la parole à un autre humoriste, Alphonse Allais : « La Gaîté battait son plein, et la Folie agitait ses grelots si vertigineusement qu’on aurait juré une sonnette électrique. » (Le Chat noir) Ne baissons pas les bras en ce qui regarde l’éducation des nôtres. Le royaume de France ne pourra renaître qu’à cette condition.
P.Jean-François Thomas s.j.
Octave de l’Epiphanie
7 janvier 2020
Je suis personnellement pour une éducation stricte mais juste, mais mesurée. La Bible dit qu’il est juste de punir celui qui faute. Cela ne veut évidemment pas dire qu’il faut le rouer de coups, mais une juste punition, qui éduque, cultive en même temps est sans doute plus utile que des coups de ceinturon. Or que voit-on actuellement, des parents qui démissionnent au point qu’on risque la prison pour une fessée, ou une petite tape sur la main. Où va-t-on ??? Comme beaucoup, nous disons avoir reçu des gifles de nos parents, ou pire, et nous sommes encore vivants, mais peut-être aussi bien éduqués, polis, courtois, attentionnés, peut-être plus que les héros d’aujourd’hui qui ne savent ni lire ni écrire….