De l’absurdité du vote obligatoire
« Cette réforme constituerait un moyen sûr de renforcer le lien avec la République. » Voilà les mots du président de l’Assemblée nationale. La réforme en question est le vote obligatoire et Claude Bartolone remet sur la table politique un vieux principe qui n’a jamais été appliqué.
Le vote obligatoire serait une manière de vous obliger, de vous contraindre, vous français à vous déplacer le dimanche pour mettre un papier dans une urne et si vous comptiez vous défiler, sachez qu’il vous faudra payer. Encore et toujours payer !
Ce qui est tout de suite intéressant à voir est la réponse des hommes politiques français à la crise actuelle : la contrainte. Vous ne voulez pas participer au pacte républicain ? Que nenni monsieur, vous n’avez pas le droit de ne pas y participer ! Alors pour des hommes qui prétendent défendre la liberté, ils en ont une drôle de définition.
Passons cette première absurdité.
“Le vote obligatoire serait un moyen de briser le fantôme de l’abstention qui hante les couloirs du pouvoir.”
Pour nos chers idéologues au pouvoir, le vote obligatoire serait un moyen de briser le fantôme de l’abstention qui hante les couloirs du pouvoir. Ah ! Vade retro abstention ! Ce grand mal républicain ! C’est de l’abstention que naît la distance, la fracture et c’est donc de l’abstention que naît la contestation.
C’est pour tout séide de la République le mal à combattre ; le Satan, l’Adversaire. Pourtant, à y regarder de plus près, on voit que l’abstention croit au fil des années. En 1958, l’année de création de la Vème République, l’abstention aux élections législatives était de 25, 2%. En 2014, elle est de 44,59%.
Plus les temps avancent et plus la démocratie s’étiole. Plus les temps avancent et plus le peuple se détourne de sa prérogative suprême, désintéressé de la chose publique et plus attiré par les nouveaux tropismes hédonistes. Marianne a pourtant offert sa mamelle ensanglantée pour que le français puisse s’y allaiter ! La main de justice des monarques a pourtant été accaparée pour leur servir de hochets !
Il n’y a point de doute, pour les républicains, le peuple est ingrat. Jean-Marie Le Guen, secrétaire chargé des relations avec le Parlement, a versé aux débats : « la démocratie, ce sont des droits et aussi des devoirs, des gens sont morts pour avoir le droit de vote, que l’on considère aujourd’hui avec trop de légèreté ». Ah ! L’argument d’autorité ! On ne peut que s’y plier lorsqu’il est si délicatement prononcé. Le martyre républicain est évoqué, ô mes frères, faites silence et baissez la tête !
“Je range donc mon foulard blanc et je balaye simplement l’argument du « mort pour » d’un revers de main.”
Sauf que, nous royalistes, savons aussi ce que martyre veut dire. Et nous pourrions tomber dans la surenchère émotionnelle. À nous Vendée ! À nous Louis XVI ! Mais il ne sert à rien de le faire. Oh non, ce serait donner raison à ces politiques qui ne savent faire qu’une seule chose : émouvoir. À défaut d’avoir un réel pouvoir d’action, un certain courage, ces hommes-là ne jouent que sur l’affect, oubliant toute forme de logos. Sans doute est-ce d’ailleurs l’époque qui le veut car dans tous les débats, pour toutes les « avancées sociales » proposées on utilise à profusion l’émotion. Il faut faire rire ou pleurer. Diable, je ne veux pas participer à cela ! Je range donc mon foulard blanc et je balaye simplement l’argument du « mort pour » d’un revers de main.
Revenons donc à l’obligation du vote et à sa sanction, une amende sans doute, non encore fixée mais elle ne sera sûrement que de quelques euros. « Pas de quoi fouetter un chat ! C’est surtout symbolique » les entends-je déjà me dire. Et bien c’est précisément là où le bât blesse. Celui qui ne votera pas sera sanctionné comme le conducteur qui roule trop vite ; il sera contrevenant. Oh, tout juriste sait que la contravention n’est pas grand chose, c’est moins grave que le délit et encore moins que le crime.
“En dehors du vote, point de salut”
Et pourtant, être en contravention avec la loi c’est déjà symboliquement être assimilé à un hors-la-loi. En dehors du vote, point de salut donc. Pour votre bien, allez voter. Vous y êtes obligés, certes mais c’est pour vous qu’ils le font. Et demain, il vous sera interdit de fumer et vous devrez faire votre dose de sport quotidien. Tout cela pour votre bien.
En bon juriste que je suis, je ris de ce vote obligatoire car si c’est une manifestation de l’indicible « pacte républicain », je sais moi, que pour contracter, le consentement doit être libre et éclairé. Sinon, nous tombons dans le dol. Alors plutôt que de bafouer les règles élémentaires du droit, nos politiques devraient plutôt se remettre en question car il ne faut pas voir dans le spectre de l’abstention une ingratitude populaire mais plutôt une critique sourde de ces hommes qui se pavanent de palais en plateaux, feignant d’être affairé quand ils sont pour la plupart simplement affairistes.
Et si le fruit, déjà gâté, était mûr ? Et si la République commençait sa désagrégation ? L’absurdité du vote obligatoire traduit en tout cas une réelle dégénérescence de la pensée politique. Face à la peur de l’abstention, et la perte de légitimité qui en découle, les républicains, par une terrible fuite en avant, semblent aller de Charybde en Scylla.
Edgard Comte