Anthropologie politique. Une société anti-humaine. Vers des corps civils aristocratiques
Les aristocraties professionnelles, intellectuelles ou morales renforcées par la propriété foncière, en considérant que ce sont souvent les éléments les plus brillants et les plus intègres moralement qui accumulent les plus importantes fortunes immobilières, distinctes des fortunes financières d’acquisition plus rapide, et en considérant que les éléments néfastes, malhonnêtes ou moralement vicieux sont une minorité, ces aristocraties, donc, doivent pouvoir se retrouver entre elles, pour augmenter leur visibilité et créer une émulation interne.
Ce fut jadis l’objet des clubs et des académies, créations spontanées et privées avant de devenir des créatures de l’État. Aujourd’hui ne subsistent que les grandes académies de l’Institut de France, étroitement liées à la puissance publique, et les clubs parisiens comme le Cercle interallié, ou internationaux comme le Rotary club. Les académies de province et les clubs, qu’on appelait les cercles, présents dans toutes les villes moyennes, regroupant la notabilité locale, ont disparu. En conséquence de quoi, la notabilité a perdu ses lieux de rencontres officiels et s’est rabattue sur des rassemblements purement privés. Les grands moments mondains de la vie française, les bals, les réceptions, les cérémonies des grandes écoles ou des fondations prestigieuses sont devenues d’une discrétion quasi-clandestine. Pour savoir que cela existe il faut en être, là où jadis le commun connaissait ces événements, qu’il révérait, admirait ou haïssait selon les caractères. Les aristocraties ou leurs parasites oligarques, que la nature humaine rend hélas indissociables, étaient vus et connus de tous. C’était un phare social autant qu’un maillage étroit de courants d’opinions, de débats, de solidarités qui protégeait les élites du pays face à l’État et rejaillissait en protection sur le reste du peuple.
Ce système n’était pas parfait. Il avait ses égoïsmes et ses préjugés. Lorsqu’il entra en dégénérescence il eut tendance à se replier sur lui-même, à se cacher au monde, et il disparut dans l’indifférence. Cette décadence correspond au tournant du XXe siècle, où l’impôt sur le revenu et les droits de succession balayèrent ce qui restait de la rente foncière déjà amoindrie par l’égalité devant l’héritage. La première guerre mondiale désorganisa les aristocraties dans des sillons de sang. La mainmise de l’État sur la société après 1945 par le truchement de la planification et des assurances sociales acheva de détruire ces sociétés pluriséculaires qui, encore au XIXe siècle, consacraient leur oisiveté relative à des travaux d’érudition, des œuvres de charité et l’action sociale bien plus qu’aux bals mondains qui n’en sont pourtant que le seul souvenir aujourd’hui. La recherche française leur doit autant qu’à la Sorbonne. Les salariés français leur doivent autant qu’aux syndicats. L’urbanisme français leur doit plus qu’aux grands promoteurs. Mais qui s’en souvient ?
Seules des initiatives privées pourront faire renaître ces sociétés, ces cercles dans toutes les provinces. L’État est incapable de le faire et n’en a pas la légitimité. Cependant, il peut agir pour que cela soit rendu possible de nouveau, par une fiscalité générale qui rende possible un enrichissement personnel ou familial, pour les simples particuliers et pas seulement pour les magnats de la finance, de telle sorte qu’une fraction de la population puisse consacrer son temps aux travaux d’érudition, au secours des plus pauvres et aux rencontres entre pairs aristocrates dans des salons ressuscités.
L’autre action possible de l’État, en tant que tête du pays, est de donner l’exemple, par la sobriété de son train de vie, la grande déférence publique qu’il éprouverait vis-à-vis des académies de l’Institut ou des revues savantes, son souci authentique des plus faibles, prioritairement aux intérêts financiers internationaux, son dévouement à la promotion des arts, son obsession du bien commun qui guiderait toutes ses actions publiques, notamment en rendant aux peuples leurs responsabilités dans tout ce qui relève de leur domaine de compétence, se concentrant, lui, sur ses points d’excellence, comme la diplomatie, la défense nationale, l’harmonisation des normes, etc. Cet exemple venu de la tête ne serait sans doute pas exempt de défauts. Il y a toujours eu des scandales ou des manquements à l’honneur et la morale. Mais il donnerait plus aisément l’idée du renouveau des cercles dans la société. Il faut l’espérer.
Pour que cela soit possible, une législation adéquate peut aider, on l’a dit, mais il faut aussi modifier l’État lui-même à sa tête.
Le surcroît de démocratie dans le monde du travail et dans les territoires, le renouveau de l’aristocratie dans les différentes strates de la société ne sauraient fournir une société parfaitement équilibrée si à cette relation à deux ne s’ajoutait un troisième personnage, pérenne. C’est le souverain, qui seul pourrait canaliser les forces démocratiques et aristocratiques en un dialogue serein, qui seul pourrait orienter l’État vers le bien en lui donnant symboliquement une tête indépendante des partis et des groupes aristocratiques ou démocratiques tentés, eux, de défendre leurs intérêts catégoriels au détriment des autres, avec le risque de dériver toujours de l’aristocratie à l’oligarchie népotique et ploutocratique, et de la démocratie au populisme démagogique et niveleur. Ces deux tendances ayant pour effet respectif, dans le premier cas de bloquer la société sur ses conservatismes au risque de l’explosion, dans le second de détruire les cellules du corps social et de rendre possible le despotisme tutélaire d’une structure ou d’un homme dominant une société atomisée et amorphe faute de corps commun.
A suivre…
Gabriel Privat
Du même auteur :
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