Idées

Anthropologie politique. Une société anti-humaine. Le pouvoir naturel de l’État

L’État ne peut se cantonner qu’à un rôle limité au sein d’une société réellement organique, c’est-à-dire où un corps social vigoureux irrigue les relations humaines, par ses familles, ses territoires, ses syndicats, ses ordres professionnels, ses cercles mondains, ses académies, ses œuvres de charité et ses Églises.

Cependant, c’est un rôle essentiel, sans lequel il manquerait à cette société son ciment. Celle-ci obéit, en l’occurrence, à un principe, celui de la subsidiarité, d’après lequel chaque groupe assume personnellement toutes les missions où il est le plus compétent, s’en remettant à un autre groupe pour celles qui dépassent sa compétence et où il est nécessaire, soit une puissance qu’il ne possède pas, soit une coordination entre plusieurs unités qu’il ne peut mener seul. Ainsi, une famille peut gérer elle-même son patrimoine, éduquer elle-même ses enfants, mais elle confiera à des sociétés privées spécialisées une partie de cette gestion, de même qu’elle fera appel aux écoles pour instruire les enfants, faute de temps ou de compétence dans la famille. De la même manière, ne pouvant pas gérer les espaces communs de la rue ou de l’immeuble, la famille maîtresse dans son logis se confiera à un syndic ou une municipalité, à laquelle elle participera par le vote ou par l’assemblée. L’école que l’on nommait précédemment pourra instruire elle-même les enfants, mais elle ne sera jamais qu’une parmi d’autres, et elle aura besoin, soit financièrement, soit pour offrir aux enfants qui lui ont été confiés les voies d’accès les plus larges dans l’avenir, d’une tutelle, privée ou publique, mais réunissant plusieurs écoles et coordonnant leurs mouvements au degré que celles-ci ne peuvent accomplir. De la même manière, l’entreprise de gestion de patrimoine aura besoin de banques plus importantes, ou des conseils d’une chambre de commerce au niveau d’une ville ou d’un département, pour mieux orienter ses démarches. Ainsi on pourrait remonter, dans tous les domaines, du plus petit jusqu’au plus grand, de la simple personne isolée jusqu’à une Autorité mondiale à laquelle même les États confieraient librement les domaines dépassant leurs compétences individuelles, comme l’arbitrage des conflits internationaux ou la création de normes communes hors du champ des nations.

Ce principe est aujourd’hui méconnu dans la plupart des pays du monde où les sociétés pêchent par excès, soit d’individualisme, soit d’étatisme. Dans le premier cas, les personnes privées s’occupent de la gestion de problèmes qui les dépassent tout à fait, comme le règlement de questions morales  d’impact national, notamment sur le mariage ou la procréation laissées malencontreusement au choix des individus sans aucun cadre commun autre que celui permettant de tout faire. On retrouverait des situations identiques dans le domaine du travail, où la totale liberté d’entreprendre et de travailler sans aucune règle propre aux branches professionnelles ou aux États n’est jamais que l’institutionnalisation du désordre où le plus puissant parvient à imposer ses vues aux plus faibles, comme par exemple dans le cas scandaleux où les grands semenciers industriels nationaux et internationaux ont obtenu de plusieurs États l’interdiction pour les agriculteurs et même de nombreuses personnes privées de disposer de semences reproductives. Le libéralisme économique a mené ici à son exact inverse, la suppression d’une liberté individuelle grâce à la pression du plus fort.

L’étatisme, à l’inverse, pousse l’État à se mêler de tout, s’insinuer dans la vie des familles, des entreprises, des écoles, des Églises, non pas par des règles générales, mais jusque dans les comportements quotidiens de consommation, de production, d’éducation, d’instruction, etc. On le voit lorsque l’État impose un salaire minimum national à toutes les entreprises, indépendamment de toutes les situations particulières régionales ou locales, indépendamment de la conjoncture économique. On le voit lorsque l’État impose leurs méthodes d’enseignement aux professeurs dans toutes les écoles, mais celles qui ne dépendent pas de lui. On le voit encore lorsque l’État s’empare de l’intégralité de la fiscalité, même locale, avant de la redistribuer à sa guise. Les exemples sont sans fins de l’irruption de l’État dans la vie des hommes, de son contrôle des consciences par l’octroi de subventions à tel groupe de presse plutôt que tel autre, ou par l’encadrement de la recherche historique, par exemple.

Pour se frayer le chemin partout, l’étatisme a besoin de n’avoir face à lui que des individus esseulés. Tout corps organisé a ses lois propres et constitue donc un havre dans lequel l’État ne peut pénétrer, c’est une barrière contre ses volontés, où il doit dialoguer plutôt qu’imposer. Ce défaut est le fait de tous les États modernes, tentés de détruire ce qui se place entre eux et les individus, souvent avec les meilleures intentions protectrices du monde. Mais la conséquence de l’étatisme est la destruction des libertés créées par tous ces corps intermédiaires qui sont autant de constructions humaines fondant la société civile.

C’est ici que l’individualisme et l’étatisme se rencontrent. L’un comme l’autre, pour s’épanouir, ont besoin de détruire les corps constitués qui s’opposent à leur tyrannie du simple fait de leur existence. Ces corps sont anti-égalitaires, car ils imposent des hiérarchies sociales. De ce fait, un régime purement démocratique engendrera progressivement leur affaiblissement, puis leur disparition. Mais les individus, seuls et tout à fait libres, pour se protéger, ont toujours besoin d’un État, et celui-ci, seule force organisée de la société, impose ses volontés aux individus. Les deux états sociaux que sont l’individualisme et l’étatisme se nourrissent l’un l’autre, engendrant la dictature de tous sur tous.

Qui plus est, l’État, en régime purement démocratique, est le jouet de l’opinion, organisée en partis. Ces partis, par les élections, s’emparent du pouvoir pour un temps plus ou moins long et imposent à la structure étatique leurs vues doctrinales, entraînant un dérèglement de la puissance publique qui n’est plus parfaitement au service du bien commun, mais au service d’une vision du bien biaisée par la doctrine du groupe majoritaire. Les partis minoritaires ont toujours des hommes en place dans les structures de l’État, et alors c’est au sein de tout l’édifice un grondement permanent d’influences contraires qui tirent à hue et à dia, amoindrissant l’indépendance de la justice, l’efficacité des choix stratégiques de défense ou de protection sociale, l’empirisme du système fiscal, etc. Un régime aristocratique ne vaudrait guère mieux en matière d’esprit partisan, quoiqu’il préserverait les corps constitués de la nation et ainsi piloterait un État fou mais moins nocif. Ce moindre mal n’est évidemment pas souhaitable. Certes, l’État ne fut jamais et ne sera jamais tout à fait individualiste ou tout à fait étatiste, pour la simple raison que comme l’herbe repousse toujours même dans la terre la plus désolée, les familles, les associations, les Églises se reconstituent sans cesse, malgré les attaques dont elles sont victimes. Le monde anciennement communiste en est la preuve éclatante. Mais cet affaiblissement permanent, cette guerre sociale ourdie par l’homme contre lui-même n’est évidemment pas satisfaisante.

On se rend compte que pour limiter tant l’étatisme que l’individualisme il faut d’une part une société civile fortement constituée et respectueuse du principe de subsidiarité, ce fut l’objet de tous les articles précédents, mais il faut aussi une gouvernance de l’État qui le fasse échapper aux joutes partisanes. Ainsi sera-t-il placé dans ses bornes naturelles, assumant les charges où lui seul est compétent et nécessaire, dans l’unique vue du bien commun. Cet État, par ce fait, sera vraiment légitime.

C’est l’État royal.

A suivre…

Gabriel Privat

Du même auteur :

–          Publié le jeudi 17 septembre 2015 : Anthropologie politique. Une société anti humaine. La Famille

–          Publié le vendredi 16 octobre 2015 : Anthropologie politique. Une société anti humaine. L’enracinement territorial

–          Publié le 18 novembre 2015 : Anthropologie politique. Une société anti humaine. Le lien professionnel

–         Publié le 28 décembre 2015 : Anthropologie politique. Une-société anti humaine. Promouvoir une famille humaine

–          Publié le 27 janvier 2016 : Anthropologie politique. Une société anti humaine. Promouvoir un enracinement territorial.

–          Publié le 20 février 2016 : Anthropologie politique. Une société anti humaine. Créer un monde du travail.

–          Publié le 15 mars 2016 : Anthropologie politique. Une société anti-humaine. Faut-il une aristocratie à la société humaine.

–           Publié le 14 avril 2016 : Anthropologie politique. Une société anti-humaine. Comment rétablir le prestige social et visible de l’aristocratie ?

–           Publié le 11 mai 2016 : Anthropologie politique. Une société anti-humaine. Vers des corps civils aristocratiques.

 

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.