[Editorial] : Les nouveaux maîtres
Chers amis,
Rompant avec le discours de futilité de ces dernières semaines, je souhaiterais vous entretenir d’un sujet grave pour la liberté des peuples et la souveraineté des Etats.
Dans le monde des régimes démocratiques, les chefs d’État financent leurs campagnes grâce à des puissances financières. Ce n’est une découverte pour personne. Les présidents américains sont presque tous des millionnaires ou des milliardaires financés par d’autres milliardaires. En Afrique, l’argent de la coopération entre l’État africain et des nations européennes ou des entreprises européennes finance souvent l’accession et le maintien au pouvoir. Le cas le plus connu est celui de Bokassa, dont l’accession au pouvoir, le maintien à celui-ci, puis le renversement furent financés et orchestrés par la France. Plus récemment, on a pu s’interroger sur les liens personnels et d’intérêts financiers concordants entre les chefs de gouvernement italiens et des groupes financiers internationaux.
Ce printemps-ci, un homme politique européen a été élu chef d’Etat d’une grande puissance.
Presque novice en politique et ne s’appuyant pas sur une structure partisane ancienne, il ne pouvait bénéficier de fonds publics pour mener sa campagne électorale. Par ailleurs, la volatilité des sondages en sa faveur, et le climat général d’incertitude sur l’élection dans ce pays ne devaient pas inspirer confiance aux banques pour lui prêter les fonds indispensables à la bataille politique. Pourtant, des millions d’euros ont afflué. D’où ? Nous ne le savons pas, nous ne le saurons peut-être jamais.
C’est ici le point de rupture. Le financement par les banques ou des Etats étrangers n’est pas forcément un problème, tant que celui-ci est connu. Or, bien souvent, il y a, sur ces sujets, une opacité totale et dommageable.
Dans un temps comme le nôtre, où des comités directeurs d’entreprises et des assemblées d’actionnaires rassemblent sur leur tête plus de fonds que le produit intérieur brut d’un Etat, il n’est pas neutre de savoir qui prête à qui, lorsque l’enjeu n’est rien moins que la conquête du pouvoir suprême.
Ainsi, le groupe américain de grande distribution, Wal-Mart, produit annuellement un chiffre d’affaires supérieur au PIB de la Suisse. Le pétrolier Exxon Mobil dispose d’un chiffre d’affaires supérieur au PIB du Pakistan ou du Pérou. Nous pourrions continuer notre liste longuement.
Les cent plus importantes entreprises mondiales génèrent un chiffre d’affaires supérieur au PIB des Etats-Unis;
Certes, il faut savoir raison garder. Les bénéfices, dans le chiffre d’affaires, ne représentent qu’une part modeste. Les biens d’une entreprise sont saisissables, à la différence de ceux de l’Etat. L’Etat est le seul à disposer de la force armée et de la puissance législative. Mais la masse monétaire tenue par ces groupes financiers et industriels pèse lourd face à des chefs d’Etat ayant abdiqué de leur indépendance en se liant exagérément à des puissances d’argent étrangères pour atteindre leur objectif.
Les Etats ont en eux la force de brider les excès possibles de ces groupes économiques, à condition qu’ils en usent et ne la bradent pas en promouvant, au contraire, les arbitrages internationaux dans lesquels les entreprises s’affranchissent de toute législation étatique pour mener à bien leurs affaires.
Nous ne souhaitons rien de bien compliqué. Nous ne demandons que la sincérité des comptes et leur publicité, afin que chacun puisse savoir sous quelle férule nos chefs d’Etats se sont potentiellement placés. Cette limpidité permettra, si les circonstances l’exigeaient, de voir clair et de penser net pour préserver notre liberté d’action et de choix en temps que peuple souverain.
Il fallait que cela soit dit alors que la France élit une nouvelle majorité parlementaire dont les candidats sont financés sans que l’on ne connaisse la provenance de cet argent.
Charles