Comment exercer la justice ? Par degré. 1er enseignement royal chrétien.
« Non qu’il vous fût impossible de faire tomber ces impies, dans une bataille rangée, sous la main des justes, ou de les exterminer d’un seul coup par des bêtes féroces, ou par un ordre rigoureux ; mais, en exerçant vos jugements par degré, vous leur donniez lieu de faire pénitence, quoique vous sussiez bien qu’ils étaient une race perverse, que leur malice était innée, et que leurs pensées ne changeraient jamais ; car c’était une race maudite dès l’origine. » (Sg, 12, 9-11)
Le premier enseignement royal et chrétien que l’on trouve déjà révélé dans le Livre de la Sagesse est en un mot la nécessité pour un bon roi d’être lent à la colère et de punir par degré.
Rappelons-nous : nous avions vu dans un article précédent la manière royale de Dieu de punir même les plus grands péchés (avortement, magie, cérémonies impies, etc.) qui appellent la colère de Dieu : même ainsi Dieu envoie des signes avant-coureurs, appelle à l’amendement, lance des petites punitions pour faire prendre conscience aux hommes faibles de leurs dérives.
Le verset ci-dessus vient développer ce principe général qui consiste à être lent à la colère. Ce n’est pas une faiblesse car comme le dit l’auteur sacré : « Non qu’il vous fût impossible de faire tomber ces impies, dans une bataille rangée, sous la main des justes, ou de les exterminer d’un seul coup par des bêtes féroces, ou par un ordre rigoureux ». De la même façon un roi très chrétien se doit d’être fort, d’avoir de bonnes armées et de bons soldats, et une justice efficace avec des officiers forts et puissants. On ne saurait l’accuser de faiblesse quand il est miséricordieux, et pour cela il faut qu’il soit vraiment fort et capable d’exercer la sévérité pour, que quand il suspend son bras, ce soit par un véritable mouvement de miséricorde.
Les royautés païennes, d’ailleurs, se résument souvent à cette force brute qui fait peser sur tout un chacun la menace de la punition massive, et souvent exagérée par le « bon plaisir » du Prince, ou de son maire du palais qui a pris le pouvoir effectif qui ne cherche plus à servir le bien commun mais à se servir.
Cette puissance brute n’est néanmoins pas un mal, elle fait partie de la constitution du pouvoir royal, comme de tout pouvoir, et le roi très chrétien doit aussi être fort, car si le juste n’est pas fort alors c’est la force qui deviendra juste… comme le dit ce bel adage qui comme illustre la réalité chrétienne effective (le juste doit être fort) contre la réalité païenne (le fort décide de ce qui est juste).
Encore que certaines civilisations, au moins nominalement, reconnaissent que le Roi doit être non seulement fort, mais juste. Après tout dépend de ce que ce mot juste recouvre ici et là : plus il correspond à la définition « rendre à chacun celui qui est dû », plus la constitution royale païenne est saine. Pour le dire autrement le bon roi juste dans l’ordre naturel doit rendre aux méchants les châtiments mérités et aux bons les récompenses méritées, et rendre à tout un chacun les fruits d’un ordre tranquille, c’est-à-dire la paix.
Le Roi chrétien reprend cette base qui se voit perfectionner par l’enseignement divin : « en exerçant vos jugements par degré, vous leur donniez lieu de faire pénitence ». Ceci est une vraie miséricorde : on conserve la justice et on punit, mais on retient son bras pour punir par degré afin de donner le temps à l’amendement de la conduite, et on est lent à la colère. L’enseignement divin déjà contenu dans l’Ancien Testament, qui contient déjà de façon voilée tout l’enseignement du Christ, va encore plus loin : cette charité qui s’exprime par une véritable miséricorde (soit le cœur qui se penche vers la misère humaine blessée, faiblesse qui pousse au péché) doit même s’appliquer à ses sujets méchants et pervers, aux races maudites dès l’origine…au moins pour l’édification des bons, l’imitation des justes et l’amendement maximisé des méchants. Ceci car si Dieu peut savoir qu’un méchant pervers restera pervers jusqu’à la fin, un roi, simple homme, ne peut jamais en être assuré car il ne lit ni dans les cœurs ni dans l’avenir.
Le Roi très chrétien, de facto, a ainsi toujours jugé par degré, en toute justice, cherchant l’amendement, et lent à la colère : comme l’a montré Claude Gauvard, avec les Capétiens, faibles pourtant dans la puissance dans les premiers temps, ont réunifié le royaume par l’exercice de la grâce, acceptée par tous et même quand elle venait contrarier les intérêts des potentats locaux… Tout un programme.
Pour Dieu, pour le Roi, pour la France
Paul-Raymond du Lac