Tribunes

Thanks God, I am not an American !

Dieu merci, je ne suis pas étasunien[1]!

J’ai toujours eu cette pensée au fond de moi et ce, pour de multiples  raisons. Il y a bien sûr, la réaction vis-à-vis d’une superpuissance perçue comme dominante depuis trop longtemps. Il y a aussi le rejet viscéral d’un mode de vie et de valeurs qui tendent à devenir universelles : non, je ne me résoudrai jamais à entrer dans un pseudo restaurant offrant de la nourriture rapide composée de hamburgers qui ne contiennent pas que de la viande, de frites congelées bien grasses, le tout aspergé d’une sauce rougeâtre affreusement sucrée. Oui, je continuerai à m’abstenir d’avaler ces boissons gazeuses dont la composition suspecte est tenue secrète. Oui, je me refuse à regarder ces « spectacles de réalité » et autre « spectacles qui parlent[2] » inspirés de modèles d’outre-Atlantique et qui envahissent les programmes télévisés européens. Non, je ne comprendrai jamais que l’on fasse une telle publicité et que l’on accorde une telle place à ces films à grand spectacle venus d’Hollywood alors qu’on laisse dépérir l’industrie cinématographique du Vieux Continent et que l’on ignore superbement les productions venues d’autres horizons. Non, je ne serai jamais un amateur béat de tous les genres musicaux importés des États-Unis et je préfèrerai toujours Jacques Brel à Michael Jackson ou I Muvrini à n’importe quel groupe venu de ce pays. Je ne peux pas m’empêcher d’éprouver un sentiment d’incompréhension face à tous ces jeunes artistes français qui s’efforcent de chanter dans une espèce de sabir anglo-étasunien avec l’espoir d’obtenir davantage de succès dans leur propre pays ! Oui, je l’avoue, je ne supporte plus tous ces « cool », ces « thrillers », ces « blockbusters », ces « flyers », et autres « traders » qui ponctuent les propos de nos journalistes et de nos politiciens et même des Français ordinaires, alors qu’ils ne maîtrisent souvent pas la langue anglaise et que nos dictionnaires regorgent de mots équivalents mais bien français. Je ne me résoudrai jamais à « forwarder » mes « mails », préférant envers et contre tout faire suivre mes courriels ! Face à cette marée culinaire, cinématographique, musicale et linguistique venue de l’autre rive de cet océan Atlantique qui n’est pas assez large à mon goût, j’ai toujours eu un réflexe de résistance et de refus.

Il y a aussi mon incompréhension face à l’actualité de ce pays que l’on voudrait nous imposer comme modèle. Ce communautarisme, ce racisme, cette violence, ces bavures policières à répétition suivies d’inévitables émeutes m’effraient. Non, cette nation n’a décidément pas de leçons à nous donner en matière d’intégration et de tolérance. Je ne cesse de m’interroger face au fossé – que dis-je ? Face à l’abîme qui sépare les valeurs étasuniennes des nôtres. Je ne comprendrai jamais cet attachement irrationnel au droit de posséder des armes,  lesquelles sont souvent des armes de guerre, alors qu’il ne se passe pas un mois sans qu’une nouvelle tuerie ne défraie l’actualité, aux États-Unis.  Et puis il y a cette peine de mort encore largement appliquée qui fait que ce pays appartient à la même catégorie que la Chine communiste, l’Iran des ayatollahs et l’Arabie Saoudite obscurantiste, malgré les fréquentes révélations d’erreurs judiciaires passées et l’inégalité sociale et raciale face à cette peine.

Pourtant, il me faut avouer avoir connu bien des Étasuniens cultivés, intelligents, raffinés. J’éprouve beaucoup de respect pour certains universitaires ou chercheurs de premier plan originaires des États-Unis. Je garde un affectueux souvenir de certains collègues venus de ce pays, dans les différentes contrées où j’ai eu l’occasion de travailler.  Quel dommage que ce ne soit pas des gens comme eux qui influent sur l’image souvent détestable donnée par les États-Unis dans le monde entier. En pensant à ces amis et anciens collègues, je ne peux que les plaindre sincèrement devant le choix redoutable qui va bientôt s’offrir à eux.

Car depuis quelques mois je suis encore plus heureux de ne pas être citoyen des États-Unis ! Le spectacle pitoyable offert au monde par les deux candidats aux prochaines élections présidentielles me renforce chaque jour un peu plus dans cette conviction.

D’un côté un milliardaire inculte, vulgaire et grossier qui flatte les instincts les plus vils et les plus bas de la population (ou plutôt d’une partie seulement de la population). Sa méconnaissance du monde fait frémir, ses idées simples pour résoudre les problèmes compliqués de la planète feraient sourire si elles ne venaient pas d’un homme qui pourrait, à partir de janvier prochain, présider aux destinées de la première puissance économique et militaire de la Terre.

De l’autre côté, l’épouse d’un ancien président dont l’action mit à feu et à sang la région des Grands Lacs africains, dans les années 90 : plusieurs guerres civiles, un génocide, des pays déstabilisés, fragmentés et un bilan lourd de plusieurs millions de morts. Cette partie du continent ne s’est toujours pas totalement remise du passage de l’époux Clinton à la Maison Blanche. Déjà, je trouve le fait de choisir l’épouse d’un ancien président comme candidate assez dérangeant : n’y avait-il pas d’autres personnes de talent, d’homme ou de femmes intègres et compétents, au sein de l’un des deux plus grands partis politique de ce pays de 320 millions d’habitants ? Mais le parcours de cette femme ambitieuse est également dérangeant. La sénatrice Hillary Clinton n’a-t-elle pas voté en faveur de l’invasion de l’Irak, en 2003 ? Le Proche-Orient lui non plus ne s’est pas encore remis de cette funeste intervention étasunienne. Son passage au secrétariat d’État ne laissera pas le souvenir d’une diplomatie hors pair : le désastre syrien et le chaos libyen, dans lequel un ambassadeur US perdit la vie, sont loin d’être des pages glorieuses dans le CV de cette dame aspirant à entrer à la Maison Blanche en janvier 2017. Son ambiguïté et ses contradictions au sujet d’Israël et des Palestiniens sont aussi pour le moins inquiétants. 

Ah ! Que je n’aimerais pas être un électeur étasunien devant choisir entre un bulletin de vote marqué « Trump » et un autre marqué « Clinton » ! Mais, Dieu merci, je ne suis pas citoyen des États-Unis ! Malheureusement, ma citoyenneté française risque fort de me peser, lorsque le moment sera venu de choisir entre les deux bulletins de vote restants, au second tour de nos propres élections présidentielles, en mai 2017 !

Hervé Cheuzeville


[1] Le lecteur remarquera que je préfère utiliser l’adjectif “étasunien” plutôt que l’adjectif « américain ». En effet, je trouve surprenant que le plus important pays du monde n’ait pas d’adjectif, que ce soit en anglais ou en français, pour désigner ses habitants. Le terme « américain » me semble abusif : les Chiliens, Mexicains et autres Canadiens sont eux aussi des « Américains » et les citoyens des États-Unis n’ont donc pas le monopole de l’ « américanité » ! 

[2] « reality shows » et « talk shows ».

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