Tribunes

Quel rôle a joué l’Angleterre dans l’exil des rois de France ?

Oui, l’exil des rois de France ou, si vous préférez, l’écartement forcé de la dynastie royale de France. D’aucuns auraient dit : « quel rôle joua l’Angleterre dans la disparition de la royauté en France », mais ce serait à l’encontre de l’ordre divin et naturel du pays où, quoique pouvant être cantonnée à la banlieue de Bourges voire en deçà, la monarchie ne saurait disparaître que par extinction totale de la dynastie désignée par voie de naissance… ou par disparition de la nation concernée.

Une filiation idéologique

Quoi qu’il en soit, après ce bref aparté, revenons au cœur de notre sujet : ne serait-ce pas l’Angleterre qui aurait été le principal artisan de la Révolution française (nous ne faisons que reprendre l’expression consacrée par l’historiographie majoritaire), puis de la mise à l’écart des Bourbons ?

Or, il est évident qu’il existe des affinités idéologiques certaines entre l’Angleterre moderne et la Révolution française. Les « Philosophes des Lumières » qui ont préparé 1789 et ses suites ont été pour une part non négligeable des admirateurs de nombreux éléments du système politique britannique. Montesquieu en est probablement l’exemplaire le plus manifeste.

De même, la part des sociétés secrètes dans la grande subversion amorcée à la fin du XVIIIe siècle n’est un secret pour personne. La franc-maçonnerie, arrivée sur notre sol au même moment où les Lumières allaient en obscurcir la fertilité spirituelle et intellectuelle, a réussi à trouver des soutiens et des relais jusqu’au plus près des rois, parmi les princes, les officiers et les grands courtisans. Elle arrivait cependant d’Angleterre, avec des idées nourries au sérail du protestantisme anglo-saxon. Il se dit que le Royaume-Uni serait une monarchie constitutionnelle sans constitution ; il serait pourtant plus vrai d’affirmer que le Royaume-Uni est une république oligarchique maquillée en monarchie et dont la franc-maçonnerie est la constitution. Il en serait de même par la suite en France : la continuité du pouvoir ne serait plus dans la personne des rois (ou gouvernants), mais dans la perpétuité d’un État acquis aux intérêts qui en animent les rouages et en fixent les règles.

Amérique et vengeance

Le traité de Paris en 1763 avait été un camouflet infligé par l’Angleterre à la France : la Royale était déconfite, et la couronne perdait des possessions outre-mer. Si Voltaire ne s’inquiétait guère de perdre les arpents de neige du Canada, des esprits plus perspicaces se préoccupaient d’une toute-puissance britannique au niveau planétaire. De là, Louis XV et Louis XVI ont patiemment, avec Choiseul et Vergennes, reconstitué la Marine royale afin de prendre une revanche et de ne pas laisser les mers sous la domination sans partage de la perfide Albion. L’intervention en Amérique à partir de 1778 n’a sans doute pas été une mise sur le bon cheval, et l’opération a été d’autant plus coûteuse que la magnanimité de Louis XVI lui faisait abandonner ses droits financiers tout en nourrissant un ogre qui s’avérerait par la suite ombrageux. Mais passons : la revanche était prise, l’Angleterre défaite autour de ses plus riches colonies, le tout sanctionné en 1783 par le traité de Versailles.

Ici, Charles Maurras soutient que l’Angleterre contre-attaqua dès lors sur le plan politique et social, alors même que Louis XVI ne s’attendait qu’à une potentielle riposte militaire, vraisemblablement contre des possessions françaises. Pour étayer ses propos, il explicite dans La Seule France (Lyon, H. Lardanchet, 12e éd. : 1941, p. 118-124 où nous puiserons les principales idées qui suivent) la survenue des premiers troubles révolutionnaires dans les ports militaires français de Brest et de Toulon, plus densément travaillés par les agents anglais, avec des destructions de navires de guerre : car si la perfide Albion agissait sur le moral pour se venger, elle restait réaliste et pragmatique quant à ce qu’elle désirait détruire, à savoir les puissants moyens qu’avait la France de gêner ses desseins de par les océans. L’Angleterre accueillit donc avec joie la Révolution française qu’elle avait préparée, y voyant un affaiblissement de son antique adversaire, et elle ne retourna casaque de 1793 à 1815 que pour affermir les avantages qu’elle s’était acquis et pour lutter contre le retour à une puissance continentale française trop importante à cause du recours imprévu à la conscription.

Le même phénomène se répéterait en 1830, après un relèvement extrêmement rapide de la France qui, après 1815, fut évacuée et remboursa ses frais de guerre largement en avance. Elle avait même retrouvé du prestige militaire par son intervention en Espagne, puis elle se mit à titiller les susceptibilités anglaises en relançant des expéditions extérieures, notamment vers l’Afrique. Face à l’ambassadeur anglais rappelant la chasse gardée de l’Angleterre en Méditerranée, le baron d’Haussez se permit de gentiment l’éconduire tout en lui donnant l’itinéraire qu’emprunteraient les vaisseaux français en partance d’Alger, le conviant à les attaquer en cours de route. L’Angleterre ne cilla pas sur mer, mais trois semaines plus tard elle faisait chasser par ses subsides et sa propagande relayée par les libéraux parisiens Charles X de Paris avant de le recueillir sur son sol, par courtoisie sans doute après le vilain tour qu’elle lui avait joué.

Mais même Louis-Philippe d’Orléans, arrivé à la place de la branche aînée avec les bonnes grâces d’outre-Manche, continue sur différents plants la politique de la Restauration, de sorte que la France était loin de décliner. L’affaire des mariages espagnols et, plus globalement, la position diplomatique de la France au sujet de l’équilibre des puissances européennes avaient de quoi mécontenter Londres, qui ne se serait pas privé de financer propagandes et agitations libérales aussi bien que socialistes.

Février 1848 fit le reste. Depuis, l’Angleterre était assurée d’avoir une France docile, au sein de laquelle avoir une influence pérenne grâce au système politique en place : les parlementaires sont autant de pions, de même que les fortunes françaises imbriquées au commerce transnational sont de puissants relais. Cependant, le souci national français ne s’était guère éteint, et les frictions réapparurent ponctuellement en matière de colonialisme. C’est dans ce contexte qu’il faudrait comprendre l’irruption à l’instigation de Londres de l’affaire Dreyfus en 1898 pour divertir les Français de leurs expéditions en Extrême-Orient et en Afrique. La crise serait, d’après Maurras et son Kiel et Tanger de 1910, venue principalement de Londres, même si elle aurait grandement profité à l’Allemagne (un moyen d’affaiblir la France sur le continent, en lui opposant un solide contre-pouvoir ?).

De même, en 1939, c’est l’Angleterre qui a déclaré la guerre et poussé la France un peu plus tard dans la journée à faire de même. Elle avait les jours précédents refusé une entremise de Mussolini pour trouver, comme à Munich au sujet des Sudètes, une entente avec Hitler concernant la question orientale. Une déclaration de guerre à l’instigation de Londres et pour une Pologne que l’on ne pouvait aider – et pour laquelle, effectivement, rien ne fut fait. Et le tout avec six fois moins de divisions britanniques positionnées en France en 1940 par rapport à 1914, et une manœuvre extrêmement douteuse des armées françaises vers les côtes belges lorsque la Wehrmacht a pénétré en Belgique. Maurras va ensuite plus loin, en voyant dans la France libre de De Gaulle à Londres une aubaine pour les Anglais souhaitant se tailler quelque part dans l’héritage colonial français, en achetant éventuellement quelques ralliements coloniaux, thèse étayée par le bombardement de Mers el-Kébir ou encore les premières interventions des Français libres au Sénégal, au Gabon, puis en Syrie… contrairement aux engagements pris.

Aujourd’hui, il est indéniable que le Royaume-Uni souffre presque tout autant que la France de ses idées libérales, c’est-à-dire protestantes, modernes, subversives. Mais les Anglais qui dirigent ont conservé leur esprit mercantiliste et, pour le préserver et continuer de le mettre en œuvre, ils auront sans doute de la ressource. Ils feront tout pour faire mentir leurs détracteurs les condamnant trop rapidement au détour du Brexit… et ils nous en tout cas légué bien des erreurs pour nous empêcher de nous replacer dignement et facilement derrière le panache blanc de nos rois !

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