Pas en mon nom !
Début décembre, l’Assemblée Nationale et le Sénat français seront amenés à se prononcer sur l’éventualité d’une reconnaissance par la France de l’ « Etat de Palestine ». Je crains fort qu’une majorité de députés et de sénateurs ne votent « oui » à cette reconnaissance. Un tel débat, un tel vote, une telle reconnaissance ne me paraissent pas opportuns. Pourquoi ?
D’abord parce qu’il existe déjà un Etat en Palestine, qu’il est indépendant depuis 1948, et qu’il se nomme Israël. Cessons de jouer sur les noms. Israël et Palestine sont les deux noms d’un seul et même territoire, qui a changé d’appellation au cours des siècles, pour ne pas dire des millénaires. Ce nom de Palestine fut « inventé » par l’occupant romain, afin d’humilier les habitants d’un pays dont il s’était emparé et dont il venait d’écraser la révolte. En effet, ce nom vient de celui d’une petite peuplade qui vivait au bord de la mer, du côté de… Gaza : les Philistins. Goliath est le seul Philistin dont le nom soit parvenu jusqu’à nous, il fut vaincu par David dans les circonstances que l’on sait, dix siècles avant notre ère. Afin de bien marquer l’éradication complète de la Judée, les Romains lui donnèrent le nom d’une tribu vaincue par les Hébreux depuis longtemps.
Je ne vais pas revenir sur les différentes invasions qui se succédèrent sur cette terre, depuis la fin de l’empire de Rome. Cette histoire n’est pas unique, le même scenario s’étant répété dans toutes les autres contrées du bassin méditerranéen. Partout, les puissants d’un jour chassèrent, absorbèrent ou massacrèrent ceux de la veille, avant d’être eux-mêmes chassés, absorbés ou massacrés par les puissants du lendemain. Il y a cependant toujours eu une présence juive sur le territoire que j’évoque aujourd’hui, même si cette population fut, au gré des circonstances, longtemps minoritaire et dominée sur son propre sol. Oui, il est vrai que ces mêmes circonstances historiques ont amené de nombreux Juifs à s’installer ailleurs et à former la « diaspora ». Là encore, il ne s’agit pas d’un phénomène unique dans l’histoire : les Grecs, les Phéniciens, les Arméniens, les Siciliens, les Maltais et les Corses firent de même, au cours des siècles. Certains, bien que n’étant pas nés sur leur terre d’origine, même si leurs parents n’y étaient pas nés non plus, accomplirent le chemin inverse et vinrent s’installer sur le sol de la mère patrie. C’est ce que firent de nombreux Juifs, pas seulement au XIXe ou au XXe siècle, comme on le croit trop souvent. Dès le début du XXe siècle, la majorité de la population de Jérusalem était juive, et non depuis 1967 comme on voudrait nous le faire accroire. Cette population juive de la vieille ville (que nos grands médias se plaisent à appeler « Jérusalem-Est ») fut expulsée manu militari par l’armée jordanienne en 1948, lors du premier conflit israélo-arabe et les vieilles synagogues furent dynamitées. De 1948 à 1967, cette vieille ville de Jérusalem fut « judenrein[1] ». Il s’agissait là d’un cas de « nettoyage ethnique », ce qui ne semble guère avoir ému les bonnes consciences occidentales. Ces mêmes bonnes consciences qui, aujourd’hui, poussent des cris d’orfraie lorsque des Juifs retournent s’installer dans ces vieux quartiers de Jérusalem. Or, ils se contentent d’y acheter des maisons, sans utiliser la force armée comme le firent les Jordaniens à leur encontre en 1948.
De nombreuses injustices furent commises tout au long de l’histoire. Elles ont particulièrement abondé au XXe siècle. Les Arméniens, les Kurdes, les Grecs d’Asie mineure, les Turcs de Grèce, les Juifs d’Europe, les Tatars de Crimée, les germanophones de territoires devenus polonais, russes et tchèques, les « Pieds Noirs » et les « Harkis » d’Algérie ainsi que les Chypriotes grecs du nord de Chypre peuvent tous en témoigner. Les populations arabes vivant entre le Jourdain et la Méditerranée aussi, ainsi que les Juifs originaires des pays arabes. Dans ma liste non exhaustive des injustices du XXe siècle, je me suis limité à l’espace européen et méditerranéen. Sinon, j’aurais pu aussi évoquer des drames plus lointains et peut être encore plus oubliés : ceux des Hottentots de Namibie, des Hindous du Pakistan, des Musulmans de l’Inde, des Papous de Nouvelle-Guinée occidentale, des Tibétains, des Ouighours et de bien d’autres encore ! Alors, pourquoi parle-t-on tant de l’injustice faite à l’une de ces populations (les Arabes de « Palestine ») alors que l’on semble avoir oublié toutes les autres ? Sait-on que si 700 000 Arabes ont quitté le territoire sur lequel s’est établi l’Etat d’Israël en 1948, 800 000 Juifs furent contraints de quitter les pays arabes où ils vivaient, pour certains, depuis une époque antérieure à l’arrivée des Arabes dans ces contrées ?
Je me pose sans cesse cette question, depuis le ralliement diplomatique occidental à la création d’un deuxième Etat entre Jourdain et Méditerranée : pourquoi ? Pourquoi une telle exigence en faveur de la création d’un Etat pour les Arabes de Terre Sainte, alors que l’on se montre incapable, chaque jour davantage, d’assurer la survie des Chrétiens d’Orient ? Pourquoi exercer tant de pressions envers le seul pays démocratique du Proche-Orient, un Etat où les minorités non juives sont représentées au Parlement, une terre où les Druzes, les Musulmans, les Chrétiens et les Bahaïs pratiquent librement leurs religions ? Pourquoi nos médias font-ils toujours référence aux « frontières » de 1967, alors que de telles frontières n’ont jamais existé ? Entre 1948 et 1967 il n’y avait pas de frontières entre l’Etat d’Israël et les territoires alors contrôlés par la Jordanie (que l’on persiste à affubler du nom de « Cisjordanie », alors que la Judée et la Samarie ont une existence historique plurimillénaire !) et par l’Egypte (la bande de Gaza). Il y avait seulement une ligne de cessez-le-feu, ce qui est complètement différent d’une « frontière ». Une ligne de cessez-le-feu sépare les forces adverses lors de l’arrêt temporaire ou définitif des combats, durant une guerre. Ce fut le cas à la fin du conflit de 1948 qu’aucun traité de paix n’a conclu. La guerre a simplement repris, après une interruption de 19 années, en 1967, lors de la guerre dite des « Six Jours ». De nouvelles lignes de cessez-le-feu furent établies à l’issue de cette dernière : sur le Jourdain avec la Jordanie et sur le canal du Suez avec l’Egypte. Pourquoi donc les lignes de cessez-le-feu de 1948 seraient-elles sacro-saintes et pas celles de 1967, ou bien encore celles de 1973 ? La question des territoires passés sous contrôle israélien en juin 1967 ne devrait d’ailleurs plus être d’actualité, puisque la Jordanie y a renoncé, que l’Egypte ne réclame plus Gaza et que des traités de paix ont été signés entre Israël et ces deux pays ? Pourquoi est-ce que l’OLP ne revendiquait pas l’établissement d’un « Etat palestinien » sur ces territoires avant 1967 ? N’avaient-ils pas vocation à devenir « palestiniens » lorsqu’ils étaient encore sous contrôle jordanien et égyptien ?
Il est important de se remémorer la taille du territoire où l’on voudrait voir émerger un second Etat. Israël avec les territoires dont la souveraineté est contestée (« Cisjordanie », « Jérusalem-Est » et le plateau du Golan) dépasse à peine 27 000 km², soit trois fois la superficie de la Corse. La superficie d’Israël jusqu’au conflit de 1967 était de 20 582 km², soit l’équivalent de quatre départements français de taille moyenne. La plus grande longueur du pays, de la frontière libanaise à la mer Rouge, est de 424 km. Sa plus grande largeur n’est que de 114 km. Jusqu’en 1967, la ligne de cessez-le-feu séparant Israël de ce qu’on appelait la Cisjordanie passait à quelques kilomètres de la banlieue de Tel Aviv. A cet endroit-là, la largeur d’Israël était de 15 kilomètres seulement ! Avec sa superficie et sa configuration actuelles, Israël est un Etat viable avec des frontières naturelles : Méditerranée à l’ouest, Jourdain à l’est. Créer un second Etat sur ce territoire résulterait en la coexistence de deux Etats non viables et non défendables, imbriqués l’un dans l’autre et dépourvus de frontières naturelles[2]. Même si les dirigeants de ces deux Etats étaient des anges amoureux de la paix, la gestion d’une telle situation serait impossible. Pour compliquer le tout, ces deux Etats auraient la même ville comme capitale ! Nos politiciens et nos intellectuels qui réclament à cor et à cri la création d’un Etat palestinien et qui, pour la plupart, n’ont jamais mis les pieds sur le terrain, réalisent-ils les difficultés qu’engendrerait une telle création ? Accepteraient-ils d’avoir la frontière d’un Etat étranger passant au milieu de Paris ?
C’est bien, en effet, le statut de Jérusalem qui serait le plus délicat à résoudre. Les critiques d’Israël ont oublié ce qu’était cette ville avant 1967. Elle était divisée en deux, avec des murs, des barbelés et un no man’s land séparant les deux parties. Il était impossible de traverser cette « frontière » de fait. Les Juifs n’avaient pas accès au Kotel[3]. Aujourd’hui, Jérusalem est une ville unifiée, où les habitants de l’est et ceux de l’ouest peuvent circuler librement dans la partie qui leur était interdite avant 1967. Alors que l’on vient de célébrer l’anniversaire de la chute du mur de Berlin, alors que les Chypriotes se languissent de voir Nicosie enfin réunifiée, pourquoi exiger la division d’une autre capitale, à savoir Jérusalem ?
L’idéal serait le maintien d’un seul Etat sur l’ensemble du territoire actuellement sous contrôle israélien. Un Etat qui reconnaîtrait les droits de tous ses habitants, quelle que soit leur origine ou leur confession. On me rétorquera sans doute que les « Palestiniens » ne veulent pas d’une telle solution. S’est-on jamais donné la peine de leur exposer les avantages qu’ils retireraient de l’abandon de leur rêve étatique ? En Israël, les Musulmans, les Chrétiens ou les Druzes israéliens ont le droit de vote. Ils envoient des députés au Parlement, ils élisent leurs maires, ils occupent de hautes responsabilités dans l’armée, la police, la fonction publique ou dans le secteur privé. Nos grands médias n’ont même pas souligné que Zidan Saïf, le courageux policier israélien qui donna sa vie en tentant d’arrêter, seul, les assassins de la synagogue de Har Nof n’était pas Juif, mais Druze. Tous les sondages réalisés au sein de cette population non juive d’Israël révèlent que la grande majorité refuserait de devenir « palestinienne » en cas de création d’un « Etat palestinien ». De son côté, le « président » Mahmoud Abbas a clairement indiqué qu’aucun Juif n’aurait le droit de résider dans l’Etat qu’il prétend créer. Ce genre de déclaration n’a pas suscité la moindre indignation, la moindre réprobation, en Occident. Ce dernier attend donc qu’Israël, dans la portion de territoire qu’il conserverait, respecte les droits de ses minorités non juives (ce qui est déjà le cas) mais il ne voit aucune raison pour qu’un éventuel « Etat palestinien » conserve une minorité non arabe sur les territoires qui lui reviendraient ! Toujours en Occident, on trouve choquant que des Juifs aient envie de prier sur le Mont Moriah, l’endroit où s’élevait jadis le Temple de Salomon, le lieu le plus sacré du Judaïsme. On persiste à considérer que ce site est avant tout l’ « esplanade des mosquées » et on ne se formalise pas que les responsables de l’Autorité palestinienne déclarent que la venue de fidèles juifs en ces lieux les souillerait ! Que dirait-on si l’on autorisait l’accès de Notre-Dame de Paris ou du sanctuaire de Lourdes aux seuls Catholiques ?
On ne doit pas mettre sur un pied d’égalité Israël et ses institutions démocratiques et une « Autorité » non élue, peu respectueuse des droits de l’Homme et corrompue. Sans parler de l’autorité de fait qui s’est imposée à Gaza par la terreur, le Hamas. Ce dernier exécute sommairement, réprime toute opposition, utilise sa propre population comme bouclier humain, opprime les femmes et impose une version rétrograde et intolérante de l’Islam. Croit-on naïvement que le Fatah aux leaders corrompus ferait le poids face au Hamas, dans le cadre d’un Etat palestinien reconnu par la communauté internationale ? Favoriser la création d’un tel Etat reviendrait donc à permettre la prise de contrôle définitive de Gaza et de la « Cisjordanie » par ce groupe terroriste. Ce serait permettre l’installation de bases de lancement de roquettes et de missiles à 15 kilomètres du centre-ville de Tel Aviv. Comprendra-t-on enfin, face à un tel scénario cauchemardesque, les vives réticences d’Israël face à l’éventualité de la création d’un « Etat palestinien » ?
Enfin, face à la montée apparemment irrésistible de l’Islam le plus radical, le plus violent et le plus rétrograde, que ce soit à Gaza, en Syrie, en Irak ou en Libye, voire même dans nos banlieues européennes, est-il vraiment opportun de reconnaître un Etat qui aboutirait immanquablement à un renforcement de ce courant et à la mise en danger du seul Etat démocratique du Proche-Orient ? Oui, Israël devra négocier sérieusement avec les représentants légitimes de la population vivant dans les territoires tombés sous son contrôle en 1967. Un modus vivendi devra être trouvé, qui permettrait à cette population de vivre et de travailler sur sa terre, en bonne entente avec ses voisins. Mais des négociations sereines et constructives ne peuvent avoir lieu sous la pression et dans le climat de violence actuel.
Face à la montée du péril djihadiste incarné par l’ « Etat Islamique », AQMI ou le Hamas, l’heure devrait être, plus que jamais, à une solidarité sans faille avec l’Etat d’Israël. Pas à la pression sur ce dernier, pas au boycott de ce pays ami. C’est pourquoi, permettez-moi de vous le dire, Mesdames et Messieurs les Députés et Sénateurs de la République, si vous votez en faveur d’une reconnaissance d’un « Etat palestinien », ce ne sera pas en mon nom !
Hervé Cheuzeville
[1] Terme allemand inventé par les nazis pour désigner un territoire totalement « nettoyé » de toute présence juive.
[2] Et sans continuité territoriale en ce qui concerne l’ « Etat palestinien », qui serait établi sur deux territoires distincts, la « Cisjordanie » et la bande de Gaza.
[3] Mur « des Lamentations ».