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Lettre mensuelle aux membres et amis de la Confrérie Royale à l’occasion du 350ème anniversaire de la mort de d’Artagnan

Au soir du 25 juin 1673 — il y a donc [eu] 350 ans en ce 25 juin 2023 — Sa Majesté le Roi Louis XIV, alors âgé de 35 ans, écrivait à la Reine Marie-Thérèse, son épouse, depuis le siège de Maastricht (Sa Majesté dirigeait Elle-même une armée de quelque 40.000 hommes dans cette « Guerre de Hollande » qui s’achèvera par le fameux traité de Nimègue, lequel confirmera au Royaume de France son rang de première puissance européenne) : « Madame, j’ai perdu d’Artagnan en qui j’avais la plus totale confiance, et qui m’était bon à plus d’une chose. »

Sa Majesté fera célébrer dans sa propre tente un service funèbre pour le repos de l’âme du célèbre mousquetaire qui l’avait servi avec tant de zèle et de fidélité.

Si d’Artagnan a bien réellement existé, aujourd’hui l’honnêteté intellectuelle et la vérité historique doivent nous faire un devoir de nous extirper avec vigueur des romans d’Alexandre Dumas qui, s’ils ont donné à son nom une célébrité qu’il n’eût probablement pas eue sans eux, ont pris de graves libertés avec la réalité. En effet, le romancier a avancé l’action d’une quinzaine d’années (faisant participer d’Artagnan au siège de La Rochelle), inventé l’opposition entre Louis XIII et le cardinal de Richelieu, la liaison de la Reine Anne avec le duc de Buckingham ainsi que le personnage de Milady de Winter, etc.

Pour son œuvre romanesque, Alexandre Dumas s’est inspiré de mémoires apocryphes publiées en 1700 — soit 27 années après la mort du célèbre gascon —, qui sont en réalité l’œuvre de Gatien de Courtilz de Sandras (+ 1712) : ce nobliau, qui avait servi dans l’armée, notamment chez les mousquetaires gris entre 1660 et 1679, avant de se faire écrivain, est l’initiateur du genre des pseudo mémoires, sorte de chroniques rédigées à la première personne du singulier, dont l’auteur supposé est parfois totalement fictif ou d’autres fois un personnage réel, mais dans lesquelles le vrai se mêle au faux, ce qui est tout particulièrement le cas pour d’Artagnan. Courtilz de Sandras publia aussi des chroniques scandaleuses et des ouvrages politiques contestant l’autorité royale, ce qui lui valut d’être embastillé de 1693 à 1699. C’est justement lors de ce séjour à la Bastille qu’il découvrit la vie de d’Artagnan, parce que, à ce moment-là, le gouverneur en était Besmaux, qui avait été compagnon de d’Artagnan. C’est par une source si peu fiable que Dumas découvrit donc la vie de d’Artagnan et s’enthousiasma pour le personnage, faisant de l’ouvrage son livre de chevet et y puisant l’inspiration pour la rédaction de sa célèbre trilogie : Les Trois Mousquetaires, Vingt ans après et Le Vicomte de Bragelonne. Dumas, à son tour, a inspiré de nombreuses œuvres cinématographiques, elles aussi fort peu accordées à la vérité historique mais plaçant d’Artagnan parmi les personnages les plus récurrents du cinéma.

Charles Ogier de Batz de Castelmore est né entre 1611 et 1615 au château de Castelmore, près de Lupiac, en Gascogne (actuel département du Gers). Lorsqu’il monte à Paris, vers 1640, il emprunte le nom de sa mère, Françoise de Montesquiou d’Artagnan : la famille de Montesquiou était en effet mieux introduite à la Cour que la famille de son père, et Artagnan était une seigneurie de Bigorre appartenant à cette famille. Il s’engage chez les Cadets des Gardes-Françaises, l’Ecole Militaire d’alors. Monsieur de Tréville, capitaine de la Compagnie des Mousquetaires du Roi, l’affecte à la Compagnie des Essarts des Gardes Françaises à Fontainebleau. Son entrée chez les Mousquetaires, avec la protection de Mazarin, daterait de 1644, en même temps que celle de son ami François de Montlezun, seigneur de Besmaux près d’Auch et futur gouverneur de la Bastille, que nous avons cité plus haut.

La Compagnie des Mousquetaires fut dissoute par Mazarin en 1646. Pendant la Fronde, d’Artagnan fut l’homme de confiance du cardinal pour nombre de missions délicates. Louis XIV adolescent, l’a donc connu dans ces années difficiles, et lui accordera ensuite à son tour sa totale confiance, lui confiant de nombreuses missions demandant diligence et discrétion. Lors de l’exil de Mazarin à Brühl en 1651, d’Artagnan accompagne le ministre. Cette fidélité est payée de retour : en 1652, d’Artagnan est lieutenant aux Gardes-Françaises ; en 1655 il est capitaine, charge qu’il achète 80.000 livres (somme qui lui fut prêtée par d’autres fidèles de Mazarin, notamment Colbert, alors au début de sa carrière).

En 1657, la première Compagnie des Mousquetaires (dite des « grands mousquetaires » ou « mousquetaires gris », à cause de la robe de leur chevaux) est reformée et d’Artagnan en devient sous-lieutenant. Il en assure le véritable commandement, le chef nominal étant un neveu de Mazarin. En 1659, d’Artagnan épouse Charlotte-Anne de Chancelay, qui lui donnera en 1660 et 1661 deux fils : l’aîné, Louis, eut pour parrain et marraine le Roi et la Reine. Toutefois, le mousquetaire et son épouse se sépareront de biens et de corps en 1665, et Madame d’Artagnan fut, par lettre de cachet sollicitée par son mari, assignée à résidence sur ses terres bourguignonnes.

D’Artagnan accompagna le jeune Roi durant tout le long voyage qui culmina, le 9 juin 1660, par le mariage de Louis XIV avec l’Infante Marie-Thérèse d’Espagne à Saint-Jean-de-Luz. Ce voyage dura environ une année, parce qu’il fut pour le Roi l’occasion de visiter les provinces méridionales du royaume (et d’accomplir un certain nombre de pèlerinages, dont celui de Cotignac où Sa Majesté alla rendre grâce pour sa naissance providentielle). Cette traversée des provinces provoqua l’admiration et l’enthousiasme des populations : les fiers mousquetaires précédaient l’attelage royal tiré par six chevaux blancs. Le jour de l’étape à Vic-Fezensac (26 avril 1660), d’Artagnan chevaucha vers Castelmore pour revoir les siens et se recueillir sur la tombe de ses parents, dans la chapelle du domaine

Le 5 septembre 1661, c’est à d’Artagnan que le Roi confia la tâche délicate de l’arrestation de Nicolas Fouquet, lors de la tenue du Conseil à Nantes. Commença alors une longue période où le Mousquetaire, transformé en geôlier, accompagna son prisonnier dans ses lieux d’incarcération successifs : trois mois au château d’Angers, puis au donjon de Vincennes, le 20 juin de l’année suivante à la Bastille, et enfin à Pignerol. Pendant ces longs mois, geôlier vigilant, il s’occupa personnellement de son prisonnier, filtrant ses visiteurs et rendant compte scrupuleusement en haut lieu de tous les détails de la vie du prisonnier avec lequel, malgré les rigueurs de la détention, il conserva toujours des relations presque amicales. Madame de Sévigné, qui ne fit jamais un secret de son amitié pour le surintendant des finances disgracié, rapporte avec quelle diligence d’Artagnan a rendu le transfert et la détention de Fouquet les moins pénibles possibles. Dix ans plus tard, il procèdera de manière analogue pour l’arrestation de Lauzun.

En 1667, le fidèle d’Artagnan devint capitaine-lieutenant de la première Compagnie des Mousquetaires. Cette même année 1667, la ville de Lille est rattachée à la France.

Le 6 avril 1672, Louis XIV entame la « Guerre de Hollande », mais dans un premier temps, pendant quelques mois (de mai à décembre) d’Artagnan est envoyé à Lille comme gouverneur par intérim : c’est une mission de confiance, dans ce contexte de guerre, à la tête d’une ville qui accepte encore mal son intégration à la France. D’Artagnan sera un gouverneur assez impopulaire, il faut le dire, parce qu’il est avant tout un soldat qui ne transige pas avec la discipline et le service de ce Roi qu’il sert et qu’il vénère, tandis que la population n’a ni son zèle ni sa rigueur dans sa soumission au Grand Roi. En outre d’Artagnan, n’était pas un homme d’administration et n’aspirait qu’à retourner sur les champs de bataille. L’occasion lui en fut donnée au printemps 1673, lors de la reprise des combats. Mais, ainsi que nous l’avons rappelé au début, c’est là qu’il trouva la mort, ce 25 juin 1673, tué par une balle de mousquet reçue en pleine gorge. La légende pouvait commencer.

Qu’ajouterai-je à ce résumé de la vie de ce héros, chers Amis, membres et sympathisants de la Confrérie Royale ?

Avec la charge et responsabilité de Prieur, en cet anniversaire, j’ose souhaiter, et même demander à Dieu Notre-Seigneur, que chacun de ceux qui se sont engagés spirituellement en entrant dans la Confrérie Royale se considère, chaque jour et à chaque instant du jour, comme un mousquetaire, zélé et discipliné, exact en son service et dévoué jusqu’à la mort, enrôlé avec enthousiasme dans une milice spirituelle, dans notre corps d’armée qui combat, pour Dieu et pour le Roi, avec des armes surnaturelles : la prière et la pénitence ! En sorte qu’au jour où nous rendrons le dernier soupir, quel que soit le lieu et l’heure de notre trépas, nous tombions les armes à la main et qu’au dernier jour, devant le Juge suprême, le Souverain que nous servons ici-bas puisse rendre ce témoignage : « Voici (ici le nom de chacun d’entre nous) en qui j’avais la plus totale confiance, et qui m’était bon à plus d’une chose : en considération de quoi, je vous prie, ô Roi des rois, de lui accorder la récompense des bons et fidèles serviteurs… » 

Frère Maximilien-Marie du Sacré-Cœur
Prieur de la Confrérie royale

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