La tentation du découragement
Dans les périodes troublées, rien n’est plus pervers que la tentation du découragement car elle conduit à toutes les paresses et à toutes les lâchetés. Elle est pire que la peur car cette dernière peut être maîtrisée et ensuite dépassée, alors que le découragement paralyse, ramollit, abêtit. Le chrétien ne peut pas être l’homme du découragement, à plus forte raison s’il croit que le gouvernement des hommes portent aussi la marque de Dieu, soit qu’Il le bénisse, soit qu’Il le maudisse. Le Français monarchiste ne peut pas être l’homme de l’ « à quoi bon ? » car il sait que bien des batailles peuvent être perdues, bien des projets peuvent avorter, mais que la victoire finale dépasse les vues humaines et trop peu surnaturelles. Plus l’horizon semble être bouché, plus il est nécessaire de s’arc-bouter, de tendre le dos en attendant qu’adviennent des jours meilleurs.
Georges Bernanos avoue, en écrivant Les Grands Cimetières sous la lune : « Le démon de mon cœur s’appelle : À quoi bon ? » Le découragement est la maladie des imbéciles. Le même auteur note encore dans cet ouvrage qui va voir s’ouvrir, après la guerre civile espagnole, le conflit sanglant de la Seconde Guerre mondiale :
« L’homme est naturellement résigné. L’homme moderne plus que les autres en raison de l’extrême solitude où le laisse une société qui ne connaît plus guère entre les êtres que les rapports d’argent. Mais nous aurions tort de croire que cette résignation en fait un animal inoffensif. Elle concentre en lui des poisons qui le rendent disponible le moment venu pour toute espèce de violence. Le peuple des démocraties n’est qu’une foule, une foule perpétuellement tenue en haleine par l’Orateur invisible, les voix venues des quatre coins de la terre, les voix qui la prennent aux entrailles, d’autant plus puissantes sur ses nerfs qu’elles s’appliquent à parler le langage même de ses désirs, de ses haines, de ses terreurs. »
Nous pataugeons actuellement, depuis des décennies, dans un marécage semblable, rendu encore plus nauséabond par l’éclipse de la recherche de la vérité et par le rejet affiché de tout lien avec le vrai Dieu. Il existe mille bonnes raisons de baisser les bras et de se laisser aller, mais ce serait entrer dans le jeu du diable. Écoutons encore Bernanos qui a vécu dans sa chair et dans son âme cette tentation tout au long de sa vie de combattant sans concession :
« La colère des imbéciles remplit le monde. […] Un chrétien peut être ceci ou cela, une brute, un idiot, ou un fou, il ne peut pas être tout à fait un imbécile. Je parle des chrétiens nés chrétiens, des chrétiens d’état, des chrétiens de chrétienté. Bref, des chrétiens nés en pleine terre chrétienne, et qui grandissent libres, consomment l’une après l’autre, sous le soleil ou l’averse, toutes les saisons de leur vie. Dieu me garde de les comparer à ces cornichons sans sève que les curés font pousser dans des petits pots, à l’abri des courants d’air ! »
Comment abordons-nous les saisons de notre vie ? En hommes soucieux d’en goûter chaque nuance, y compris les plus amères, ou bien en enfants capricieux rejetant ce qui égratigne et ce qui agace la langue et l’esprit ? Un pays n’est jamais constitué que de héros, pas plus que l’Église n’abrite en elle que des saints. La tendance contemporaine à idolâtrer tour à tour certaines catégories de personnes en généralisant soudain la grandeur d’âme est une folle idiotie qui conduit à ériger la médiocrité comme mesure de la balance. Les imbéciles se réjouissent et les bonnes volontés, trop faibles pour s’accrocher, se découragent. La tablette électronique et ses jeux vidéos remplace alors peu à peu l’épée de la force et le carquois du courage. La philosophie universelle prend les traits de la « bofitude » (Bof ! Il ne sert à rien de vouloir réagir). Le Malin, lui, ne se décourage jamais. Il faut dire qu’il occupe le terrain sur bien des fronts, mais, même en présence du saint le plus pur, il ne lâche jamais le morceau et ne s’avoue jamais vaincu, revenant constamment à la charge. Le problème est que sa ténacité ne s’attache plus au Bien mais au Mal. S’abandonner au découragement est devenir un de ses complices pour plier le monde à sa guise. Sans Sous le Soleil de Satan, l’abbé Donissan, lors de sa rencontre avec le diable dans la campagne, se sent précipité dans des cercles infernaux qui sont ceux de l’accablement, de l’inquiétude, de la crainte, de la déception, du désespoir, de la terreur, du découragement. Croisant le regard de Satan, il est saisi d’un vertige abyssal :
« Celui qui, noué des deux mains à la pointe extrême du mât, perdant tout à coup l’équilibre gravitationnel, verrait se creuser et s’enfler sous lui, non plus la mer mais tout l’abîme sidéral, et bouillante à des trillions de lieues l’écume des nébuleuses en gestation, au travers du vide que rien ne mesure et que va traverser sa chute éternelle, ne sentirait pas au creux de sa poitrine un vertige plus absolu. »
Le vicaire traversera la tentation et la surmontera. Tel est le saint ; tel est le héros dans un domaine plus naturel.
Encore faut-il ne pas rester enfermé dans son bocal à cornichons ! La démission présente de bien des responsables politiques n’est pas seulement dû à une idéologie prégnante mais aussi à un découragement inspiré par le diable qui conduit à se cacher la tête sous le sable. Le découragement de tant de personnes, avouant en soupirant leur impuissance, est le fruit d’une accumulation, jour après jour, de petites reculades, de trahisons indolores, de lâchetés imperceptibles. Il reste tant à dire et à agir, même si la place occupée est des plus humbles. Saint Pie X nous redit avec une autorité intacte, comme dans sa Lettre sur le Sillon :
« La civilisation n’est plus à inventer, ni à bâtir dans les nuées. Elle a été, elle est : c’est la civilisation chrétienne, la cité catholique. Il s’agit de la restaurer sur ses fondements naturels et divins : omnia instaurare in Christo. »
Ce saint pape ne dit pas que cette civilisation est facile à tenir à bout de bras, mais il certifie qu’elle existe bien, même si défigurée ou reniée, et que rien ne peut l’emporter. Elle n’est pas du même ordre que les civilisations qui l’ont précédé ou qui désirent l’anéantir, puisqu’elle vient de Dieu Lui-même. En fait, quelle est la principale origine de notre découragement, sinon l’infidélité de l’homme à ce qu’il est, notre tristesse face au désordre qu’il crée, notre lassitude en présence de notre propre errance ? Louis Veuillot, au lendemain de la Commune et de l’humiliation française de Sedan, écrivait dans Paris pendant les deux sièges :
« Quand l’insolence de l’homme a obstinément rejeté Dieu, Dieu lui dit enfin : Que ta volonté soit faite ! Et le dernier fléau est lâché. Ce n’est pas la famine, ce n’est pas la peste, ce n’est pas la mort : c’est l’homme. Lorsque l’homme est livré à l’homme, alors on peut dire qu’on connaît la colère de Dieu. »
L’homme est livré à l’homme du jour où il a livré le Fils de l’homme à ceux qui, par orgueil, ont renié le Messie comme Fils de Dieu. S’il se décourage, ils se retrouvera embrigadé dans les légions des médiocres et des pleutres. S’il résiste, il sera de l’étoffe des héros et des saints. Lorsque nous regardons par-dessus notre épaule, pourrait nous guetter parfois de céder à cette tentation qui consiste à nous dire que le sacrifice de nos pères, durant les années noires des guerres gagnées ou perdues du XXe siècle, n’aura servi à rien puisque toutes leurs souffrances, tous leurs actes de courage ont été méprisés et oubliés par les générations suivantes, par une république peu soucieuse du sang des enfants de France et plus occupée à lustrer ses armoiries de pacotille. Pourquoi les morts de la Grande Guerre, ceux de la Seconde, tous camps confondus, ceux de l’Indochine et ceux de l’Algérie ? Lorsqu’ils tombèrent, la plupart, hommes ordinaires à leur naissance, rendirent leur âme sans découragement, même encerclés par l’ennemi car ils avaient accepté la divine volonté et qu’ils avaient fait le sacrifice de leur volonté propre avant d’offrir leur vie. Point ou peu d’hommages pour ces hommes inconnus, pas de distribution à poignées de décorations, pas de louanges larmoyantes, mais l’immense silence du cœur des justes et l’embrassement de Dieu. Tous nous invitent à ne pas céder au découragement mais à ramasser la charrue et à poursuivre le sillon qui recevra les semailles et qui verra, en un jour qu’il n’appartient à personne de connaître, les moissons éternelles.
P. Jean-François Thomas, s.j.
Octave de la Toussaint
7 novembre 2020
Merci Monsieur L’Abbé.
Ce pauvre pape François est bien loin d’une telle élévation d’esprit… Les migrants qui occasionnent tant de problèmes et commettant moult délits (sans parler des crimes) sont tellement plus importants !