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La Primauté de Pierre. Lettre mensuelle aux membres et amis de la Confrérie Royale

« Et moi, je te dis que tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle. Et je te donnerai les clefs du royaume des cieux : tout ce que tu lieras sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que tu délieras sur la terre sera délié dans les cieux. » (Mt. 16, 17-18)

Chers Amis,

Que nous regardions la société, la politique ou même l’Église, nous pourrions avoir la tentation de penser que notre époque est la plus noire qui puisse être. Il nous faut pourtant savoir apprécier les petites perles d’Espérance que le Seigneur nous accorde. L’une d’elle brille dans le bourbier politique des futures élections législatives : le projet de loi sur l’euthanasie est désormais repoussé aux calendes grecques. Même s’il reviendra probablement sur la table, nous avons gagné quelques temps de répit. De même, en bon péroniste qu’il est, le Souverain Pontife, tout en faisant le contraire avec James Martin, a dénoncé par deux fois les « tarlouzes » (« frociaggine ») et la culture gay qui s’épanouissent dans les séminaires ou dans la Curie Romaine. Le Pape chéri des médias perd en côte de popularité en dénonçant les dérives qu’il n’est pas politiquement correct de dénoncer. Cherchons ces perles rares et sachons les apprécier, même si leur beauté est éphémère. N’oublions pas cette belle vertu théologale de l’Espérance qui est si souvent délaissée aujourd’hui en faveur d’un fatalisme pessimiste.

Notre-Seigneur, dans le passage cité plus haut, nous donne un motif d’espérance : les portes de l’Enfer ne prévaudront jamais sur Son Église. Comment concilier ces paroles du Verbe et la situation actuelle de l’Église et de l’Office Pétrinien ? Quelle attitude adopter quand les actes du Souverain Pontife contredisent la Tradition et le Magistère de l’Église ? Entre ultramontanisme et sédévacantisme, l’adage In medio stat virtus est, encore une fois, gage d’une sainte réflexion.

L’ultramontanisme ou l’omnipotence papale

La captation de nombreux pouvoirs temporels et spirituels par la papauté n’est pas une nouveauté contemporaine qui serait apparue au concile Vatican I [1]. La primauté papale divise déjà les chrétiens depuis avant le Grand Schisme d’Orient [2]. Certains considèrent que le pape n’est qu’un évêque parmi d’autres avec seulement un honneur particulier conféré par le Patriarcat de Rome, siège du Prince des Apôtres, saint Pierre. La position catholique est que le pape, en tant que successeur de saint Pierre, l’est aussi bien sur le siège épiscopal de Rome que comme chef du collège épiscopal. Cela veut dire que le Pontife exerce « un pouvoir ordinaire, suprême, plénier, immédiat et universel que [il] peut exercer librement [3] ». Ce pouvoir est dit ordinaire, car il est exercé habituellement et pas seulement dans des circonstances exceptionnelles ; suprême, car il n’y a pas d’instance au-dessus de l’évêque de Rome à laquelle avoir recours ; plénier, car il touche à tous les aspects de la vie de l’Église ; immédiat, car il le détient directement de Dieu lui-même ; universel car il s’exerce sur l’ensemble de l’Église et de ses membres ainsi que sur toutes les Églises particulières et leurs regroupements ; enfin il est libre dans la mesure où il est indépendant de toute autorité humaine, séculière ou religieuse.

Certains vont interpréter cette définition en présentant le pape comme un « super-évêque » qui peut, tel un potentat séculier, décider de ce qui lui plaît. « Majesté, vos désirs sont des ordres ». Le pape pourrait donc faire ce qui bon lui semble, changer le catéchisme, l’interprétation de la Révélation selon ses propres interprétations subjectives. Une telle ligne de pensée est absurde : le pape, ainsi que les évêques, sont les gardiens de la Tradition, les Traditionis custodes. Malheureusement pour cette ligne de pensée, la Tradition est sa propre autorité : ce que l’Église fait sienne depuis des siècles unanimement et universellement est la vérité. La promulgation d’un nouveau dogme n’est pas une invention du pape mais un développement théologique déjà contenu dans la Révélation. Comme pour le dogme de l’Assomption, proclamé par Pie XII en 1950, se fonde sur une vérité étant présente dans la Sainte Écriture (même de manière obscure) partout, de tout temps et par tous. Le pape n’invente rien. Au contraire il affermi ses frères dans la foi.

Quand un pape parle, ce qui sort de sa bouche n’est pas parole divine. Ce ne sont, souvent, que les paroles d’un homme pécheur comme les autres. Pourtant comment devons-nous prendre des paroles et des actes qui semblent être contraires à la Tradition catholique ? Devons-nous les accepter en invoquant l’obéissance comme justification à ce qui se passe ? La réponse est simple : Non.

En effet l’obéissance n’est pas, contrairement à ce qui est souvent présenté, la vertu par excellence, elle est une fille de la justice à laquelle elle est soumise. Il est juste de se soumettre à la loi divine même si par obéissance on nous dit de faire le contraire. L’obéissance disparaît lorsque ce qui est demandé est contraire à la foi et aux mœurs. En justice il nous faut choisir les commandements de Dieu face aux demandes des hommes.

Si nous poussons cette ligne de questionnement plus loin, nous arrivons à celle, cruciale, de ce qu’est l’autorité. Est-ce que l’autorité invente la réalité et la vérité ou doit-elle être à leur service ? Dit différemment : une loi positive est-elle vraie ontologiquement et doit-on toujours la suivre ? Ou bien est-elle subordonnée à des biens supérieurs ? Quand une l’autorité est abusée et commande des choses contre la loi divine ou naturelle, doit-on lui obéir ?

Doit-on alors rejeter toute autorité si la personne qui l’exerce en abuse ?

Le sédévacantisme : une solution ou un problème en plus ?

Peut-on considérer que la mauvaise utilisation d’une autorité suffit à ce que cette autorité soit automatiquement enlevée à celui qui l’exerce ? Un mauvais pape — voire un pape hérétique — peut-il perdre la papauté si son enseignement contredit la doctrine et la Tradition de l’Église ?

L’histoire nous montre que non. Durant sa longue histoire, l’Église eut de mauvais, et même de très mauvais Pontifes, et pourtant les portes de l’Enfer n’ont pas prévalu contre elle. De même, tous les rois de France ne furent pas des saints et firent parfois des erreurs de gouvernement ou de jugement. Dans ces cas il faut, tel un roseau ou un chêne, attendre que l’orage passe, car il passera. Considérons que Dieu, dans Sa prévoyance éternelle, permet que nous vivions une telle crise politique et religieuse. Pourquoi laisse-t-Il faire ? Que devons-nous faire ?

La réponse encore une fois est simple : poursuivre comme l’Église l’a toujours fait en suivant les pasteurs qui sont sains. Nous avons plusieurs exemples : les cardinaux Sarah, Burke, Müller, Branmüller ou encore Monseigneur Schneider. Certes les voix sont peu nombreuses mais lorsque saint Athanase combattit l’arianisme, il était presque seul face aux hérétiques. Il ne faut pas perdre espoir et rejeter l’Église car sinon nous ne faisons que créer des problèmes encore plus nombreux qu’il serait impossible de régler et qui, finalement, seraient des indications que l’Église n’est plus.

La Tradition est sa propre autorité. Ceux qui la suivent ne font que confirmer leurs frères dans la foi. Ceux qui la contredisent se condamnent eux-mêmes par leurs propres actes et paroles. Il est donc important d’être formé mais également de se lier, au moins moralement pour les fidèles et ecclésiastiquement (autant que cela est possible) pour les clercs, avec une autorité saine.

Les exemples plus récents de Monseigneur Lefebvre ou encore de Dom Gérard Calvet montrent qu’il est parfois nécessaire de faire un pas en arrière afin de survivre avant que l’autorité, assainie au moins pour un temps, reconnaisse le bienfondé des actes de « désobéissance » matérielle.

La media via est donc la communion avec l’autorité, même exercée d’une mauvaise manière, tout en « désobéissant » si elle demande des choses contraires à la foi et aux mœurs. Le plus important est de garder et de cultiver la vertu d’espérance. Nous pouvons, et devons, par charité, prier et faire des sacrifices pour tous les pasteurs ; pour leur courage ou leur conversion. Implorons le Très-Haut qu’Il daigne abréger cette crise et redonner à Son Épouse sa splendeur et sa sainteté visible dans ce monde qui en a tant besoin.

En guise de conclusion, nous pouvons méditer ces mots de Léon XIII :

« À qui veut régénérer une société quelconque en décadence, on prescrit avec raison de la ramener à ses origines. La perfection de toute société consiste, en effet, à poursuivre et à atteindre la fin en vue de laquelle elle a été fondée, en sorte que tous les mouvements et tous les actes de la vie sociale naissent du même principe d’où est née la société. Aussi, s’écarter de la fin, c’est aller à la mort ; y revenir, c’est reprendre vie [4] ».

Voilà ce qui assainira l’Église : le retour à la Tradition, car si nous sommes coupés d’elle :

« Nous voyons cette approche non seulement dans la théologie morale, mais aussi dans la liturgie. Des traditions sacrées qui ont bien servi l’Église pendant des centaines d’années sont maintenant présentées comme dangereuses. L’accent mis sur l’horizontal repousse le vertical, comme si Dieu était une expérience plutôt qu’une réalité ontologique [5] ».

Soyons donc fort et pleins d’espérance pour aller de l’avant : Duc in altum !

+ G.


[1] 1869 – suspendu sine die en 1870.
[2] v. 1054
[3] CDC 1983, LII, I, 1, art. 1.
[4] Léon XIII, Encyclique Rerum novarum.
[5] Conférence de S. E. R. card. Sarah, donnée le 14 juin 2024 au NAPA Institute.

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