« Pèlerin à Tibhirine », par Michael Lonsdale
Tout le monde ou presque connaît Michael Lonsdale, ce comédien de théâtre et de cinéma à la carrière remarquable. L’homme est également l’auteur d’une dizaine d’ouvrages, dont beaucoup traitent de la religion catholique : L’amour sauvera le monde, Jésus lumière de vie : Mon évangile des peintres, Oraisons, Belle et douce Marie.
Pèlerin à Tibhirine est né de l’initiative conjointe prise par l’ambassade de France à Alger et les Editions Salvator d’inviter Lonsdale sur les lieux du drame. En 2010, il avait reçu le César du meilleur second rôle pour son interprétation du Frère Luc dans le film Des hommes et des dieux (1).
Dès les premières lignes le ton se veut clair et solennel : « j’ai eu la grâce de me rendre en Algérie en avril 2018. J’ai pu visiter le monastère de Tibhirine et me recueillir sur les tombes des sept frères tombés au champ d’amour en 1996. J’ai pu fleurir la sépulture de Frère Luc, le moine-médecin que j’ai eu l’autre grâce d’interpréter au cinéma ». Plusieurs fois au cours de son émouvant témoignage, l’auteur revient sur cette interprétation qui semble l’avoir marqué jusqu’à la moelle : « je crois avoir dit que ce film avait été une grâce dans ma vie et que Frère Luc avait été un des plus beaux rôles qu’on m’ait confié au cinéma ». Le terme grâce revient souvent sous la plume de Lonsdale, lui qui semble vivre une foi sincère et profonde.
Il énonce également le contexte de sa venue : « avec le pianiste Patrick Scheyder, j’avais été invité par l’Institut français d’Algérie à donner une série de concerts-lectures dans plusieurs villes algériennes sur le thème : célébration de la nature et de la beauté des jardins. C’est dans ces circonstances que j’ai accompli ce pèlerinage inespéré dans la lumineuse ambiance de la fête de Pâques ». Rappelons brièvement que Pâques est la fête la plus importante du christianisme. Elle commémore la résurrection de Jésus, que le Nouveau Testament situe le surlendemain de la Passion, c’est-à-dire « le troisième jour ».
Lonsdale a réalisé ce périple en tant que pèlerin. Il nous en donne sa définition : « un pèlerin, c’est quelqu’un qui marche, se souvient et rend grâce. Pèlerin à Tibhirine, j’ai marché sur les pas des moines, je me suis souvenu de leur témoignage et j’ai remercié Dieu pour la lumière que ces martyrs diffusent sur nous désormais. Car je crois qu’elle éclaire chacune de nos routes dans le clair-obscur où s’avance notre pèlerinage terrestre ». Un martyr, du grec ancien témoin, est une personne qui se laisse tuer en témoignage de sa foi, plutôt que d’abjurer. Dans le catholicisme, le croyant ne doit pas chercher à être martyr. Il ne le devient pas plus en retirant la vie d’autrui…
Prenons le temps d’indiquer des précisons historiques et géographiques qui s’avèrent utiles pour bien comprendre le contexte. Il faut savoir que leur monastère fut fondé en 1938, près de Médéa, à 90 km au sud d’Alger, dans une zone montagneuse. L’abbaye Notre-Dame de l’Atlas est située dans un domaine agricole. Les moines se livraient à la prière plusieurs fois par jour et vivaient du travail de la terre, selon la doctrine trappiste (2). Vivant au milieu de la population locale, ils ont apporté à cette dernière soutien, réconfort et joie de vivre. De plus, dans leur dispensaire tenu par le Frère Luc, les moines ont soigné la population gratuitement durant plusieurs décennies, sans distinction de nationalité ou de religion, ce qui démontre une authentique charité.
Au cours de son pèlerinage, Lonsdale visite des lieux hautement symboliques : « j’entrai pour la première fois de ma vie dans la basilique Notre-Dame d’Afrique. Elle se dresse sur un promontoire à cent vingt-quatre mètres au-dessus de la mer Méditerranée » (3). C’est ici « que la messe de funérailles des moines de Tibhirine et du cardinal Daval a été dite le 2 juin 1996 ». Pour la petite histoire, l’auteur nous apprend « que les musulmans l’appellent couramment Madame l’Afrique ».
Il poursuit son récit : « le jour J, le jour tant attendu, le jour béni où je devins vraiment Pèlerin à Tibhirine. J’ai pu alors marcher sur les pas de Frère Luc. Je me suis longuement recueilli devant sa tombe. J’ai prié comme on converse avec un ami et j’ai remercié le Seigneur de m’avoir accordé cette grâce de l’avoir rencontré dans ma vie d’homme et de mon métier d’artiste ». Au fil des pages, nous ressentons la délicate tendresse éprouvée par Lonsdale pour ces religieux enlevés et assassinés par des fanatiques.
Nous lisons que les corps des moines reposent « dans le jardin, à même la terre, selon la tradition cistercienne. Sept mottes de terre argileuse recouvrent leurs pauvres restes humains tels des linceuls de couleur terre de Sienne ». Pour Lonsdale, aller à leur rencontre revenait en définitive à poursuivre ce dialogue entamé quelques années plus tôt. A le lire, nous comprenons que l’auteur mène une quête intérieure qui se révèle intense. Il dit de façon touchante : « je suis venu leur rendre visite pour leur dire simplement merci. Car nul autre mot, en tout cas sortant de ma bouche, ne peut exprimer ce qu’un coeur plein de reconnaissance comme le mien peut dire en ces instants précis ».
Il reconnaît aisément qu’il ne connaissait pas les moines de Tibhirine avant la tragédie, mais comme le tout le monde « il avait appris leur destinée tragique dans les journaux ». Il déclare « qu’ils sont entrés dans ma vie lors d’une soirée en leur hommage, à l’église Saint-Sulpice à Paris où je lus des textes de Christian de Chergé, en présence de sa mère ». Pour Lonsdale « les moines se distinguent par leur vocation extraordinaire, les moines sont des personnes ordinaires ». Il résume ainsi sa pensée : « ils sont pétris de la même humanité que la nôtre. Ils ont seulement répondu oui à un amour exclusif : celui de Dieu ». Consacrer sa vie au Seigneur représente pour nous une vie héroïque, encore plus dans notre monde détourné de Son Créateur.
A travers son carnet de voyage, il se confie intimement sur sa vie : « mon père d’origine britannique était protestant non pratiquant et ne parlait jamais de religion. Ma mère était catholique mais avait pris ses distances avec son éducation religieuse. Il faut dire que les soeurs chez qui elle avait été en pension l’avaient grondée un jour en lui lançant : tu finiras en enfer ! Mais elle n’était jamais contre le Christ ». Heureusement !
Il avoue sans détour que « la première personne à lui avoir parlé de Dieu s’appelait Gasbi. Il était antiquaire à Fez et de religion musulmane. Il parlait de Dieu, de la grandeur de Dieu. Je me souviens encore du timbre, du grain de sa voix. La voix est pour moi le témoignage de ce qui se passe réellement en nous. On peut maquiller ses yeux pour cacher ses cernes ou son visage pour masquer ses rides. Mais on ne peut pas maquiller sa voix ». Les chemins qui mènent à Dieu peuvent être parfois très surprenants, mais le plus important reste de Le trouver.
Il confesse que ces passionnantes discussions avec ce « musulman mystique qui fut le premier à lui faire prendre conscience du divin » l’ont amené à se poser la question « de la conversion à l’islam ». Néanmoins, il ne franchit pas le Rubicon car il a « demandé le baptême à 22 ans après avoir fait deux rencontres qui lui ont ouvert les yeux sur la lumière incomparable du Christ : celle du père dominicain Régamey et celle de Denise (future marraine). Cette aveugle m’apprit à regarder les êtres et les choses autrement qu’avec mes yeux ». Effectivement, les choses les plus importantes de la vie ne se voient pas, aussi paradoxal que cela puisse paraître, avec les yeux mais avec le coeur.
Suite à sa conversion, nous apprenons qu’il a eu « le bonheur, la grâce, de faire plusieurs retraites silencieuses dans des monastères à Laval, à Port-Salut, à Solesmes où l’on chante magnifiquement le grégorien, ou à l’abbaye de Lérins, sur l’île Saint-Honorat. Ce sont des havres de repos, de méditation, de beauté ». Dans notre époque où le bruit est partout, la frénésie présente à chaque instant, Lonsdale note que « le silence est d’or dans ce monde moderne bruyant où l’on arrête pas de gesticuler, de parler, de courir, mais après quoi au fond ? J’ai besoin de silence ». Il ajoute : « je connais bien la Règle de saint Benoît que je lis toujours avec joie ». Ce dernier, qui vécut au VIème siècle, est le fondateur de l’ordre des Bénédictins qui a très fortement inspiré le monachisme occidental.
En rentrant chez lui, suite à son voyage en Afrique du Nord, Lonsdale estime que « c’est beau qu’un film de cinéma ait pu montrer des croyants capables de répondre au commandement d’amour du Christ. Les moines de Tibhirine ont été les témoins de sa présence dans un milieu qui ne croyait pas en Lui ». Malheureusement encore aujourd’hui, nombreuses sont les zones géographiques où Jésus est royalement ignoré.
Cette profession de foi écrite par Lonsdale nous remet en mémoire une vérité essentielle : le pardon constitue un des éléments originels de la doctrine catholique. Il écrit une pensée pertinente à laquelle nous adhérons totalement : « je crois que ce que le Seigneur nous demande, c’est de pardonner. C’est un point important de la foi chrétienne. Il y a tellement de gens qui n’aiment pas demander pardon pour leurs erreurs ou pardonner à quelqu’un qui leur a fait du mal… Ce refus de tout pardon entraîne un cancer de l’âme. Le pardon est pourtant une source de guérison intérieure ». Contrairement à ce que beaucoup estiment, le pardon authentique ne signifie pas faiblesse ou niaiserie, mais au contraire il témoigne de la grandeur d’âme de celui qui le pratique.
De fait, le pardon remonte au Christ Lui-même lorsqu’Il enseigne aux Apôtres le Notre Père. Lonsdale développe son propos de fort belle manière : « dans cette prière, il y a un verset qu’on ne peut pas enjamber. Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés ». Trop souvent, hélas, les catholiques ont tendance à l’oublier. Cette évocation salutaire nous met du baume au coeur.
Michael Lonsdale nous livre avec douceur et une très grande simplicité les différentes émotions qui l’ont accompagné tout au long de son pèlerinage. Des belles photos rendent compte des temps forts qu’il a vécus. Elles nous permettent de mieux visualiser les lieux où l’auteur chemina.
Il conclut : « j’ai désiré partager des éclats de mon pèlerinage sous forme de bloc-notes. Avec l’idée que mes lecteurs puissent eux aussi rendre visite aux moines. Par le pouvoir merveilleux des mots et des images. Et bien sûr, par le puissant relais de la prière ». L’évangéliste Matthieu écrit : « Tout ce que vous demanderez avec foi par la prière, vous le recevrez ». Qu’il en soit ainsi…
Franck Abed
(1) Des hommes et des dieux est un film dramatique français de Xavier Beauvois, inspiré librement de l’assassinat des moines de Tibhirine en Algérie en 1996. Il retrace la vie quotidienne des moines et leurs interrogations face à la montée de la violence durant les mois précédant leur enlèvement lors de la guerre civile algérienne.
(2) L’ordre cistercien de la Stricte Observance, dont les membres sont familièrement appelés trappistes, est un ordre monastique catholique contemplatif qui forme avec l’ordre cistercien et les moniales bernardines, la Famille cistercienne ou Familia Cisterciensis, vivant selon la règle de saint Benoît.
(3) Notre-Dame d’Afrique est une basilique catholique située à Bologhine, quartier/commune d’Alger, en Algérie.