Constat et espérances
Les bruits des explosions et des rafales d’armes automatiques semblent s’être éloignés. Les Belges, les Français et autres européens se sont replongés dans leurs activités quotidiennes. Parle-t-on d’un règlement de comptes, là-bas, à deux pas d’un commissariat ? Soyons réalistes, il y en a certainement eu d’autres, moins médiatisés, mais à quoi bon toujours vouloir approfondir et trop chercher.
Et puis, il ne faut pas trop leur en mettre à la fois, à ces citoyens français. Les journalistes des chaînes d’information en continue nous en servent juste ce qu’il faut. C’est qu’ils ont été initiés. Le peuple, cet imbécile, ne saurait tout entendre ou trop entendre, et encore moins écouter.
Alors, peut-être que tout ne va pas si mal. Cela ne serait donc qu’un vague sentiment d’insécurité. Bien sûr, dans toute société, il y a toujours une part de violence. Et puis, les mesures prises par le gouvernement, dans toute son autorité, sont de nature à apaiser. Monsieur le ministre de l’Intérieur, avec le sang-froid remarquable qu’on lui connaît et des propos toujours parfaitement ajustés, tient manifestement la situation bien en main. Tout cela va dans le bon sens, soyons confiants et rassurés.
Evidemment, on trouve toujours, quels que soient le lieu et l’époque, de « ces mauvais coucheurs » qui ont tendance à ne voir que la partie négative des choses. Ce sont souvent des personnes qui n’ont pas encore fait d’analyse, ou qui ont des problèmes dans leur vie intime, ou alors de ces individus un peu simples, notamment des campagnards, et qui persistent à vivre comme aux temps épiques de grand-papa, « Travail, Famille, Patrie ».
Nos dirigeants français et européens réfléchissent très sérieusement, je le suppose, à la manière de rendre hommage aux victimes tombées dans ce lieu hautement symbolique qu’est la capitale de la Belgique. C’est certain, ils trouveront une solution, médiatiquement et politiquement acceptable. L’opinion, en effet, est un peu lasse de ces grands rassemblements, hautes personnalités en tête, l’air triste sûrement et même peut-être sincèrement. De toute façon, il est clair qu’ils ne pourront réussir à mobiliser avec autant d’affliction, que pour l’attentat de Charlie Hebdo.
Car à Bruxelles, s’il y a eu de nombreuses victimes et si tout être humain, normalement constitué, ne peut que s’en apitoyer, la liberté d’expression n’a pas été prise à partie. La liberté, c’est une bien belle idée. Me vient immédiatement à l’esprit La Liberté, pour quoi faire ? de l’incontournable Georges Bernanos. D’aucuns préféreront parler d’indépendance, car s’il peut être agréable de crier la liberté et pour la liberté sur les places publiques, convenons que sans un sou en poche, et les dispositions physiques et intellectuelles d’un citoyen ordinaire, on finit en général par retourner assez vite courir après la quinzaine, avec pour seule satisfaction d’avoir empêché un temps le monde de tourner rond.
Quant à la liberté d’expression, c’est autre chose. Pouvons-nous imaginer, vous et moi, qu’il nous soit interdit d’exprimer nos convictions ? Toutefois, dans le cas de Charlie Hebdo, il s’agit d’une forme particulière de liberté d’expression, menée de surcroît par des caricaturistes reconnus comme particulièrement brillants, aux dires de leurs admirateurs. Et pour ces personnes remarquables, le nec plus ultra consistait, et consiste encore, à porter atteinte, avec beaucoup d’humour évidemment, à l’une des deux choses pour lesquelles un homme peut se mettre en colère, en l’occurrence sa famille et sa foi.
J’entends par homme un individu ayant, ce qu’on appelait et qu’on appelle parfois encore, le sens de l’honneur, le sens de la parole donnée. Ces qualités ne sont plus très en vogue, surtout dès que l’individu monte les échelons de la hiérarchie sociale, telle qu’elle est définie de nos jours. C’est d’ailleurs souvent dans le monde laborieux, là où les gens ne sont pas protégés, là où on fait la différence entre ceux sur qui l’on peut compter et les autres, c’est donc parmi les gens du peuple que l’on trouve encore des personnages faisant honneur à la condition d’homme.
Malheureusement, le législateur n’apprécie pas particulièrement ce genre de spécimens attachés à des valeurs passées de mode. Risqueraient-ils de se défendre individuellement ou en groupe, plutôt que de solliciter la seule autorité valable qui est celle du gendarme de la république ? Ou encore, viendraient-ils en aide à un autre quidam mis en difficulté, que cela n’irait pas sans créer des troubles supplémentaires.
Mieux vaut des citoyens ordinaires qui appellent les numéros verts et gardent leur flegme en toute circonstance. Vous savez, de ces gens qui firent partie des troupeaux bêlant le « Je suis Charlie » ; de ceux qui pensent qu’il est normal, que l’on gagne de l’argent en se marrant à caricaturer le Prophète ou en humiliant tous les catholiques, par ce dessin du successeur de saint Pierre en train de sodomiser un enfant. Eh bien, ce sont ces mêmes personnes, extrêmement engagées et convaincues, qui en général ne se précipitent pas aussi vivement, quand il s’agit de défendre, non pas des libertés livresques, mais la liberté pour une femme de ne pas se faire violer dans le métro, ou pour une vieille dame de ne pas se faire détrousser dans la rue.
Vous l’avez bien compris, tout cela n’est qu’un pastiche à gros traits, et ce de manière délibérée, pour matérialiser, et rappeler la réalité de ce que nous vivons, de ce qu’est devenu notre pays, la France.
Mais au-delà de ces événements tragiques, qui se succèdent et qui semblent glisser sur nous, impuissants. Enfin, des dizaines de morts et encore bien plus de blessés, et déjà l’aéroport est de nouveau opérationnel, la vie doit continuer, le business doit surtout ne pas s’arrêter. Les chaines de télévision, je dirais de téléréalité aménagée, distillent chaque jour de nouvelles informations sur ce dernier attentat, pour enivrer, entretenir la peur, monopoliser l’attention et occulter d’autres faits peut-être…
Comment les descendants de ceux qui ont passé quatre années dans les tranchées boueuses de la Grande Guerre, baïonnette au fusil ; comment en sont-ils arrivés à cet état d’hébétude qui n’interpelle plus personne, si ce n’est dans les premières quarante-huit heures après chaque nouveau drame.
À moins justement que ces gens ne constituent plus à présent la majorité des Français. J’entends par là, non qu’il n’y ait plus en quantité de descendants de poilus, mais que la culture de patriotisme, qu’ils nous ont laissée, n’ait pas été transmise par les dernières générations. « Travail, Famille, Patrie », citée plus avant, mais qu’en reste-t-il donc ?
Travail ? Où ? Quand ? Comment ?
Le travail, c’est d’abord la culture du travail, un des fondamentaux de la vie d’un homme, tout au moins du temps où la quasi-totalité des hommes travaillait. L’on ne peut reprocher à des gens de ne pas être enclins à se lever tôt pour gagner leur croûte, quand on a d’une part organisé la promotion du « moins j’en fais et mieux je me porte », et d’autre part mis en place des systèmes d’assistanat, qui permettent à ces mêmes personnes d’être nourries, logées, chauffées sur les deniers publics. Le travail, en trente-cinq heures ou à temps partiel, pressurisé et précarisé, entre deux périodes de loisirs, ou dans l’attente d’une période de laisser-aller, est devenu le plus souvent un mauvais moment à passer, qui n’identifie et n’honore pas celui qui le pratique. Vécu ordinairement comme une contrainte, tout est alors bon pour réduire la pression. La cigarette de la pause se transforme parfois en joint. C’est vrai que les anciens qui travaillaient beaucoup ne se privaient pas de vin et trouvaient le temps pour le boire. Des petits vins du Sud, venant de cépages maintenant arrachés et qui sont remplacés à présent par des mélanges de vins des pays de la Communauté européenne ayant parcouru des milliers de kilomètres en citerne. Et puis, les médecins en conviennent, quelques joints en une journée, c’est bien moins nocif que les traditionnels produits vernaculaires utilisés de longue date. Un des plus célèbres médecins français, il y a peu, mettait en cause les anciens dirigeants, pour n’avoir jamais voulu dénoncer, pour des raisons économiques, les ravages occasionnés par nos productions locales. Genièvre, cognac, armagnac du matin. Tabac gris, gauloises bleues et gitanes maïs, durant la journée. Mais tout cela s’écrit au passé, on ne voit guère plus de cigarettes roulées au coin de la bouche des ouvriers et même le havane ne fait plus l’unanimité. D’ailleurs, pour abonder dans le sens de ce grand médecin et ministre, force est de constater la distribution remarquable dans notre pays de ces substances euphorisantes produites en des terres lointaines. Finalement, cette société de services, entrevue dans les années 80 alors que commençait le déclin industriel de la France, n’atteint-elle pas dans ces domaines son apogée ? Il en va de même du temps libre dont beaucoup de gens disposent maintenant à volonté, souvenons-nous là encore de ce grand ministère dont les travaux ont bien porté leurs fruits. Les services à la personne, l’or gris, prenons tant qu’il y a encore à prendre ! Les autres services à la personne, aux noms américanisés, escort girl, escort boy ; là une fois de plus, pas de problème de pénurie, le territoire est parfaitement couvert. Et pour clore ce chapitre travail, en clouant le bec à tous ces réactionnaires qui voient le mal partout ; convenons que le travail a évolué, fichtre des métiers rudes du passé ! La reprise montre son nez très sérieusement, n’est-ce pas ce que nous a dit Monsieur le Président ?
Famille ? Pour qui, pour quoi ?
Positivons ! Pour ce qui est de la famille, ça va de mieux en mieux. La famille, structure de base de la société, bénéficie d’un regain de popularité assez inespéré. Et en des temps où, à l’image de la vie politique, tout est médias et communication, nous ne pouvons que nous réjouir de ce qui n’est peut-être pour l’instant qu’un effet de mode, mais qui pourrait, sait-on jamais, perdurer et même s’amplifier. En effet, grâce à ceux qui glissèrent en 68 sur le foutre à la Sorbonne, et qui pour certains continuèrent même de glisser plus bas encore jusqu’à avouer des pratiques à présent vertement combattues ; c’est donc grâce à ces précurseurs et à leurs émules, que la famille et le mariage qu’ils avaient conspués et encartés dans une image de conservatisme bourgeois, c’est donc encore une fois grâce à eux que le mariage a été porté très haut par la république, sur l’autel du sacrifice de sa version originelle. Ce qui n’était que contrainte, archaïsme, asservissement de la femme par l’homme, est devenu la panacée, dans le cadre du mariage des personnes de même sexe. L’Église, comme toujours, les gauchistes ne s’en plaindront pas, est en retard par rapport à la république, mis à part les protestants, comme toujours plus en avance. Stop, j’en ai fini avec cette plaisanterie de mauvais goût. Plus sérieusement, les observateurs, y compris certains journalistes « établis », ont finalement dû convenir qu’à l’occasion des manifestations contre le mariage pour tous, il y avait eu une sorte de vague de fond, l’expression « France éternelle » a même été employée pour qualifier ce panel assez large de Français attachés à la famille, version initiale. Le mouvement des « Veilleurs », laissé délibérément dans l’ombre, par les médias officiels, a également contribué à élever le débat, au-delà des querelles partisanes.
Patrie ?
La patrie, c’est d’abord la terre, la terre de longue date défrichée. La sueur qui pendant longtemps sur nos fronts a perlé. La peur pour tout un chacun, de ne plus pouvoir produire, de ne plus pouvoir travailler, d’être une bouche inutile à nourrir. La patrie, c’est évidemment, le sang, le sang versé, pour garder la terre, protéger la famille, le foyer. La patrie, c’est aussi toutes ces églises où nous allions prier, et tous ces prêtres en soutane qui jamais au grand jamais ne seraient passés devant l’autel sans s’agenouiller. Les détracteurs de la patrie nous la dépeignent en vain comme un boucher sanguinaire. C’est là bien peu de ressenti. La patrie est du genre féminin, il y a en elle quelque chose de maternel et de charnel. La patrie, c’est aussi une sorte d’immense aura collective, où sont réunies toutes les âmes de celles et de ceux qui un jour ont cru en elle et qui l’ont servie. Enfin, il s’agit là d’une description telle que les patriotes, ou ce qu’il en reste, voudraient que l’on en parlât. Et la réalité nous oblige à constater que non seulement nos dirigeants sont bien loin de la patrie, mais que depuis la fin du gaullisme peut-être, ils n’ont jamais cessé de l’enfermer aux oubliettes.
Sur ces entrefaites, forts de ce que nous savons, de ce qui nous est caché, et de notre intuition de chrétiens, il est malheureusement bien improbable que la terre de France échappe à un délabrement plus grand encore que celui que nous connaissons. Laissons la république et sa déesse laïcité œuvrer par des lois nouvelles et nombreuses à chaque législature. Laissons leurs serviteurs réciter le « Je vous salue Marianne ». Que grand bien leur fasse.
Demain ou après-demain, les partis politiques « républicains » et ceux en phase de « républicanisation » s’accorderont pour mettre en place ce revenu universel, comme une sorte de fil à la patte ou de perfusion généralisée. Étant donné qu’ils distribuent déjà gracieusement des seringues et des préservatifs, il y a fort à penser qu’ils ne tarderont pas à faire de même avec la drogue. En quelque sorte, cela ne constituerait qu’un supplément de « bien-être » ajouté à la perfusion.
Non ! Non ! Et encore non ! Un individu en bonne santé ne doit accepter en aucune façon cette morphine, ce poison. Un homme, digne de ce nom, ne peut accepter de renoncer à lui-même pour des subsides de pacotille.
« Elle vit sa vie par procuration derrière son poste de télévision. » « Si les Ricains n’étaient pas là nous serions tous en Germanie. » Des extraits de chansons qu’on connaît encore, mais qui commencent à dater. À présent, elles ou ils vivent leur vie par procuration, surtout devant leur écran d’ordinateur. Les Américains, s’ils ont donné leur vie sur les plages de Normandie, quand nous n’y étions que fort peu nombreux, nous ont également fourgué pas mal de leurs saloperies. S’il n’y avait eu que les cigarettes blondes, les Big Mac et le Coca, cela n’aurait été qu’un moindre mal. Et l’on ne saurait reprocher à Elvis Presley d’avoir généré en France, non pas Jean-Philippe Smet, mais Johnny Hallyday.
Mais au-delà, c’est de la Silicon Valley, là où il y aurait, semble-t-il, une sorte de corrélation, entre les évolutions dans le domaine du numérique et la consommation de LSD ; c’est de là qu’ils nous ont envoyé ces technologies destructrices que sont Internet et les réseaux sociaux. Alors, ils ou elles n’en ont pas fini de vivre leur vie par procuration. Une nouvelle came dont nous ne sommes pas las de nous délivrer, et qui permet à nombre de personnes d’avoir le sentiment d’exister, à défaut de vivre vraiment.
Cependant, la France ne saurait mourir et accepter tous ces succédanés de la vie grandeur nature. Depuis ces dernières décennies, nos habitudes de vie nous ont par trop émasculés. Nous nous sommes un peu ramollis. Mais un temps viendra où des hommes et des femmes se décideront de nouveau à prendre la vie à bras-le-corps, la vie avec toutes ses joies mais aussi ses rudesses. Ils et elles seront un nouvel ordre, une nouvelle noblesse. Entre eux, ils se reconnaîtront par leur nom, « les Français », un nom par trop galvaudé à qui nous redonnerons sa signification initiale. Nous marcherons sous le drapeau immaculé et nous chanterons Je suis chrétien auquel nous aurons ajouté un couplet : « Je suis Français, voilà ma gloire, mon espérance et mon soutien. »
Jean de Baulhoo