La camaraderie est totalitaire…
Nous avons, dit-il, été encamaradés. Nous avons été laissés libres de nous avachir, de nous abaisser, de nous délier de tous les préceptes de la civilisation (…) et, en même temps, nous avons été soumis sans échappatoire possible à l’implacable autorité de cette autorisation. La camaraderie est totalitaire en ceci qu’elle occupe toutes les instances, tous les bastions de l’appareil psychique : les pulsions sont encamaradées, le moi est encamaradé, le surmoi est encamaradé. On n’a plus honte de rien sauf de la honte qu’on pourrait éprouver à ne pas se laisser aller comme tout le monde et à suivre, quand il vous est ordonné d’être barbare, le droit chemin. On est tout ensemble relâché et sous pression, intempérant et obéissant, libéré du joug de la moralité et enchaîné à une nouvelle norme sociale. Bref, l’instinct grégaire se déchaîne en même temps que la force vitale et c’est, plus encore que l’embrigadement doctrinal, l’amalgame inquiétant de ces deux états qui a embringué la grande majorité de la jeunesse allemande dans l’apocalypse hitlérienne. Tribalité du mal.
Alain Finkielkraut, Un cœur intelligent, 2009
(L’encamaradement des hommes – lecture d’un Allemand, de Sébastien Haffner)