Sachons user du monde ! Sans se faire utiliser par lui, par Rémi Martin
« Il faut que ceux-mêmes qui ont une épouse, soient comme n’ayant point ; ceux qui achètent, comme ne possédant point ; et ceux qui usent de ce monde, comme n’en usant point. » (I, Cor, VII, 29-31)
Saint Paul nous dit tout dans ces quelques mots : il nous donne la recette du combat catholique si difficile à appliquer parfois en pratique.
Il donne à tous les combattants du Roi Très Chrétien l’esprit du combat.
« Aide-toi et le ciel t’aidera »
Il ne s’agit pas d’œuvrer en se fondant uniquement sur les prières et les sacrifices – qui sont le prérequis à une bonne action.
Il s’agit de savoir user du monde sans en user, posséder sans posséder, avoir une famille sans en avoir.
Le chemin est ardu, car il est si facile de tomber dans l’amour propre, de se battre non plus pour Dieu et pour le Roi, mais pour sa gloire, son confort, la protection de ses acquis.
Nous, royalistes, visons bien plus haut : la sainteté du sacrifice sans témérité, sans imprudence, mais avec détermination, courage et force.
Certes, Saint Paul nous indique la voie de la sainteté, bien ardue, et ce n’est pas pour rien, par exemple, que le célibat des prêtres et la pauvreté des religieux est un fondement de ces états de perfection : il est plus facile de ne pas posséder quand l’on ne possède rien, il est plus facile de ne pas avoir d’épouse quand on n’en a pas.
Que ceux qui profitent de ces états sachent en user avec brio pour le combat !
Que ceux qui ont une épouse, une famille, des biens et qui doivent user du monde : qu’ils écoutent Saint Paul et travaillent à se détacher de tout cela !
Mais à temps exceptionnels, remèdes exceptionnels : notre temps ne nous donne plus le loisir de profiter du confort d’une société constituée, d’états de vie bien définis et d’un ordre protecteur qui nous aide à naviguer.
Beaucoup d’entre nous sont jetés sur le champ de bataille, et nous nous réveillons d’un coup réalisant que nous y sommes, souvent bien perdus au milieu de tant de fracas.
Nous légitimistes, nous royalistes, nous ne sommes pas bien différents des autres militaires en civil sur le champ de bataille : nous avons juste cette grâce insigne de comprendre que nous étions sur un champ de bataille, et de connaître les forces en présence ; après, il suffisait de faire le choix du camp royal.
Et ensuite, il suffit de se battre… avec tout son lot de souffrances, d’amertumes, de monotonie. Mais quelle pratique des vertus ! Le combat nous rappelle sans cesse notre faiblesse (humilité), notre dépendance de Dieu (vertu de religion) et la persévérance en tout.
« Prenez garde que l’amour-propre ne vous trompe, car quelquefois il contrefait si bien l’amour de Dieu qu’on dirait que c’est lui » (Saint François de Sales)
Cette remarque s’applique parfaitement à l’amour du Roi, aussi (car dans nos milieux il est malheureusement un classique de l’esprit de « cour », bien humain certes, d’utiliser le nom royal et le service rendu pour sa gloire ou son intérêt personnel plutôt que pour le roi lui-même).
Alors oui ! Pour la restauration, usons du monde sans vergogne et sans amour propre, dans l’esprit de Saint Paul !
Equilibre difficile, certes, qui exige certainement l’expérience de chutes, de tribulations et de ratés, mais l’essentiel est de faire chaque fois un pas de plus, aussi petit soit-il, dans le chemin de la vertu.
Abandonnons nos scrupules à user du monde ! C’est une tentation du malin qui joue sur la corde « noble » de l’esprit, mais n’est rien d’autre qu’un amour propre bien déguisé.
Prenons un exemple.
J’écoutais tantôt un bon sermon de l’abbé Rampon :
https://www.youtube.com/watch?v=iILB54nPUbA
Et une vérité de notre psychologie que je n’avais pas remarquée jusqu’ici m’a frappé : nous avons tendance à considérer comme de peu de valeur ce qui est « gratuit » – même si cela a plus de valeur à l’occasion.
D’où les épreuves pour faire sentir à notre psychologie humaine que la grâce est un grand trésor qui vaut le coup, malgré sa gratuité fondamentale…
Cette vérité psychologique peut s’appliquer dans nos œuvres : faut-il tout faire de façon bénévole ? Faut-il refuser une collaboration contre de l’argent ? Faut-il refuser de faire payer quelques services, comme des conférences, par exemple ?
Bref, faut-il tout faire de façon gratuite ? C’est une question prudentielle.
A priori oui : ne présageons pas de nos forces, et il est plus sûr de rester dans la gratuité bénévole, pour éviter de se faire happer par l’appât du gain ou d’autres honneurs corrélatifs.
Cela fait parti encore de l’esprit de charité : on ne monnaye pas la vérité, ni les bonnes œuvres. Nous sommes chrétiens, montrons-le en pratique !
Surtout en terre de vieille chrétienté, cette gratuité sera bien accueillie, normalement, et attirera des conversions.
Mais dans certains cas, la gratuité n’est peut-être pas toujours bonne. Faire payer peut nous aider à produire de meilleures œuvres, en engageant un peu plus concrètement notre responsabilité matérielle (même si normalement, la simple idée de la vérité ou de la charité devrait suffire, mais en pratique, nous sommes faibles, et il faut savoir s’aider du monde pour nous motiver) – on se plaint souvent du manque de professionnalisme des milieux conservateurs et catholiques français !
Ou encore : certains milieux, certains pays, surtout issus de civilisations qui se déchristianisent, peuvent mépriser la gratuité en partant du principe que c’est de basse qualité ; si c’est le cas, il devient quasiment nécessaire de « faire payer » pour ne pas dévaloriser la vérité par exemple.
Il ne faut jamais que cela devienne une fin, et il est nécessaire de suivre Saint Paul : rester détaché et user du monde sans en user.
Il faut juste analyser froidement la situation et décider : employer des gens est plus facile que de gérer du pur bénévolat dans certaines situations, même si c’est toujours moins satisfaisant.
S’adresser à des professionnels devient nécessaire à une certaine échelle et pour certaines tâches.
Bref ! Tant que c’est pour la restauration et la conversion, on peut user du monde sans scrupules…autant que nous arrivons à nous en détacher véritablement – là est toute la difficulté.
A bon entendeur !
Pour Dieu, pour le Roi, pour la France
Rémi Martin