La finalité du procès inquisitorial, par Paul de Lacvivier
L’Inquisition : le tribunal le plus juste de l’histoire
Première citation : « La finalité des procès et de la condamnation à mort n’est pas de sauver l’âme de l’accusé, mais de maintenir le bien public et de terroriser le peuple. »
La citation provient de la page 169 de l’ouvrage. Le paragraphe est un commentaire de Peña (XVIe siècle) qui vient après une énumération des 10 stratagèmes courants de l’hérétique pour tromper le juge (répondre équivoquement, ou avec une condition, répondre par des questions, tergiverser sur le sens des mots, feindre la surprise, détourner le sens des mots, feindre un malaise corporelle, simuler la stupidité ou la folie, se donner des airs de sainteté, etc.) :
« XVI. Le thème de la folie feinte mérite une attention particulière. Et s’il s’agissait, une fois, d’un vrai fou ? Pour avoir le cœur net, on torturera le fou, vrai ou faux. S’il n’est pas fou, il continuera difficilement sa comédie sous la douleur. S’il y a des doutes et qu’on l’on ne puisse croire qu’il s’agit bien d’un vrai ou, qu’on le torture quand même, car il n’y a pas lieu de craindre que l’accusé meure sous la torture (cum nullum hic mortis periculum timeatur). »
Faisons une pause. Ne vous laissez pas effrayer par le mot « torture », qui traduit en fait le mot questio (« question »), loin des images d’Épinal. L’Église n’autorisait en fait la torture que dans des cas bien précis et limités, sous conditions : dans les années 1260-1270, plus de 30 ans après la fondation de l’Inquisition, l’Église fut obligée d’introduire la questio dans la procédure inquisitoriale sous la pression du temporel, qui la promut et la privilégia après la redécouverte du droit romain de l’Antiquité païenne.
L’Église, néanmoins, refusa et prohiba toute torture susceptible de laisser à l’accusé des traces ou des blessures pérennes. Elle imposa par ailleurs la présence d’huissiers et, surtout, tout aveu obtenu sous la torture n’avait aucune valeur, tout aveu devant donc être réitéré, sans la torture, devant le tribunal de la Sainte Inquisition. Enfin, on ne soumettait les accusés à la questio que quand il n’y avait pas suffisamment de preuves pour le condamner, mais trop pour le renvoyer lâchement dans la nature. La preuve est ici une notion juridique précisément définie et ne dépend pas du bon vouloir du juge.
L’incise « car il n’y a pas lieu de craindre que l’accusé meure sous la torture » montre explicitement que ladite « torture », un interrogatoire musclé certes, ne tuait jamais. L’auteur était tellement tranquille de ce côté-là que soumettre un fou à la question ne risquait pas de le mettre en danger.
Continuons d’exploiter notre ouvrage :
« Mais si l’hérétique continue de blasphémer comme un fou sous la torture et pendant qu’on le mène à la mort, n’y a-t-il pas lieu de surseoir pour l’amener à se repentir, de sorte que, perdant la vie, il ne perde pas son âme ? Il le semblerait. Mais il faut rappeler que la finalité première du procès et de la condamnation à mort n’est pas de sauver l’âme de l’accusé, mais de procurer le bien public et de terroriser le peuple (ut alii terreantur).
Et que faire enfin si l’accusé est véritablement fou ? On le gardera en prison en attendant qu’il retrouve la raison : on ne peut pas livrer à la mort un fou, mais on ne peut pas davantage laisser un fou impuni. Quant aux biens du fou, ils seront donnés à un procureur ou aux héritiers : car la folie, après le crime, peut faire retarder le châtiment corporel, mais elle ne libère pas de la perte des biens. »
Reprenons la phrase mis en exergue :
« Mais il faut rappeler que la finalité première du procès et de la condamnation à mort n’est pas de sauver l’âme de l’accusé, mais de procurer le bien public et de terroriser le peuple (ut alii terreantur). »
Je ne suis pas un grand latiniste, mais ut alii terreantur signifie « pour donner la crainte aux autres ». Dans le texte original, en latin, il n’est donc pas question de « peuple », mais des « autres », ni même de « terroriser » (un terme qui a un sens tout à fait particulier, venant de la Terreur révolutionnaire). On se demande où le traducteur va pêcher le mot « peuple », si ce n’est pour donner l’impression d’une Terreur despotique et systémique… Ce qui est intéressant, c’est que la traduction — fausse, donc — peut être vérifiée tout de suite grâce à l’incise entre parenthèse : l’auteur sait qu’en Université sa traduction biaisée ne peut passer, il est donc forcé de mentionner l’expression originale : il pourra toujours se défendre d’avoir trahi le texte, et expliquer l’avoir seulement interprété, tout en laissant la possibilité à ses pairs de se faire leur propre opinion. Le procédé est très pervers, car l’immense majorité des lecteurs de ce livre publié largement n’ont a priori aucune connaissance en latin : même si l’on met du latin entre parenthèses, il n’est pas facile de se faire une opinion, de débusquer le piège… En l’espèce, le sens est tellement différent que cela saute aux yeux !
Ce « alii », « les autres », de qui s’agit-il d’ailleurs ? Tout semble indiquer que cette expression désigne les autres hérétiques… Le texte, sinon, n’aurait aucun sens : les catholiques fidèles n’ont rien à craindre du tribunal de l’Inquisition, or ils sont immensément majoritaire dans la société qui est elle-même catholique. Ce n’est pas à eux que l’Inquisition souhaite faire peur, mais bien aux hérétiques à qui l’on veut faire savoir que, s’ils s’obstinent, ils risquent véritablement quelque chose, et que malgré la grande miséricorde du tribunal, quand tout est clair, ou on quand on abuse, les condamnations sont dites.
Pire, la traduction pour le moins douteuse est mise en valeur, en première page, sans le latin évidemment. Ainsi, l’on fait dire à l’auteur le contraire de ce qu’il a écrit… Belle manipulation !
Ceci dit, quel est le sujet du commentaire ? C’est un conseil aux inquisiteurs, qui sont des clercs et, en général, des prêtres.
Un supposé fou blasphémant publiquement devant tous pouvait passer, à tort ou à raison, pour véritablement fou devant un inquisiteur, et ce, malgré des questions et des enquêtes antérieures. Au contraire, si l’on arrivait à une condamnation à mort, c’est que tout indiquait que l’accusé était un vrai hérétique, c’est que les preuves étaient accablantes, et que de nombreux témoins de l’hérésie existaient. Donc a priori, dans le cas supposé par Peña, l’accusé aurait été convaincu d’hérésie en connaissance de cause, par l’enquête et par les témoins, avec preuves à l’appui. C’est juste avant la toute fin, au moment de l’exécution, que le doute s’installe : la pratique inquisitoriale faisait qu’à la moindre manifestation de repentir, la peine était commuée, l’accusé sauvée.
L’inquisiteur, dans le cas d’une suspicion de folie, avait le réflexe naturel de commuer la peine. Néanmoins, dans le cas précis d’un accusé convaincu d’hérésie et blasphémant publiquement, le doute concernant la folie (dont il faudrait d’ailleurs vérifier le mot latin pour s’assurer du sens, qui doit être plutôt perte de raison, sans rien d’irréversible) ne doit pas conduire à une commutation de la peine. Cela reviendrait à blesser la justice, puisque fou ou pas, l’accusé blasphème bel et bien, et ne montre donc aucun signe de repentir. Lui donner grâce sans fondement à ce moment précis ne représenterait qu’une faiblesse, qui attirerait la colère du bon peuple et encouragerait les hérétiques à prospérer.
En bref, ce commentaire montre, au contraire de ce qu’insinue le traducteur, tout l’attention miséricordieuse des inquisiteurs et les réflexes de la pratique, qui, dans le doute, préfèrent pardonner. Peña ne fait que prévenir, dans ce cas somme toute très particulier, le juge inquisiteur du danger de blesser la justice.
Soit dit en passant, nous avons dans ce paragraphe tout ce que ne comprennent plus les contemporains : l’inquisition est un tribunal jugeant de matières certes religieuses, mais pour des motifs de bien commun et d’ordre public, ce qui ne fut possible que dans des États 100 % catholiques. L’inquisiteur, par exemple, avait interdiction de confesser les accusés ; c’était à d’autres prêtres de le faire. Car l’inquisiteur, juge avant d’être clerc dans cette position précise, ne devait pas confesser afin d’éviter de graves atteintes au sceau du secret de la confession, qui pourraient gêner l’enquête et le souci du bien commun. Ils devaient être clercs aussi, la matière étant de foi, mais l’hérésie était jugée au tribunal car elle mettait en danger le bien public et l’ordre public, pas simplement le salut du particulier (la confession ou les peines canoniques, sinon, auraient suffi).
Simplement, l’inquisition, hautement chrétienne, tempérait au maximum la dureté de la justice requise pour le bien commun via une procédure et une charité immense, qui faisait tout pour le repentir et le salut de l’âme des accusés.
À suivre…
Paul de Lacvivier
L’Inquisition : le tribunal le plus juste de l’histoire :
- Introduction
- Partie 1 : La finalité du procès inquisitorial
- Partie 2 : Le rôle de l’avocat
- Partie 3 : Quand l’hérétique abjure son erreur…
- Partie 4 : Mensonges et vérités sur le bûcher
- Partie 5 : Légendes et réalités de la torture