Le positionnement politique de Tintin ? Du royalisme décomplexé !
On a souvent reproché à Hergé ses ambiguïtés idéologiques, ses errements et ses flottements, ses liaisons dangereuses avec le rexisme, ou les traces d’antisémitisme que l’on retrouve jusque dans les versions corrigées de ses albums. Comme si Hergé ne savait pas très bien où il en était. Tintin, en revanche, serait plutôt, dans l’ordre politique, un adepte de la ligne claire. Pour lui, le monde se divise en deux camps opposés, celui du bien et celui du mal — lesquels ne coïncident d’ailleurs que partiellement avec les grands principes du politiquement correct contemporain.
Si l’on voulait résumer, on pourrait dire que Tintin est un jeune royaliste décomplexé.
Même s’il ne le proclame pas, il le montre, en particulier dans un album entièrement organisé autour d’une problématique constitutionnelle, Le Sceptre d’Ottokar — où le roi de Syldavie, Muskar XII, doit impérativement récupérer le sceptre qui lui a été dérobé sous peine d’être contraint à l’abdication. « Le roi est notre roi, son sceptre en fait foi », chantent les Syldaves dans leur hymne national. Or, derrière ce vol, il y a un sombre complot politico-militaire mené par un certain Müsstler (le nom a été forgé par Hergé à partir de ceux de Mussolini et de Hitler), chef du parti de « La Garde d’acier », qui a pour objectif « la chute de la monarchie » et le rattachement du pays à la Bordurie voisine. En s’adressant au roi « en personne », et en parvenant à gagner sa confiance, Tintin va réussir à déjouer le complot : « Sire, je ne suis pas un anarchiste ! Je voudrais vous mettre en garde ! ». En garde contre les traitres qui l’entourent, et notamment, son aide de camp, le colonel Boris.
C’est ce que ce que Tintin avait déjà fait, dans Les Cigares du pharaon, pour le maharadjah de Rawhajpoutalah menacé par un gang de trafiquants d’opium, c’est ce qu’il fera à nouveau dans Le Pays de l’or noir pour Mohamed Ben Kalish Ezab, en butte à une rébellion financée en sous main par un trust pétrolier. En somme, ses interventions se répètent, au profit de princes qui, souvent, se ressemblent physiquement (Muskar XII, le maharadjah, l’Inca du Temple du soleil), et qui, en tout cas, ne songent et ne travaillent, en bons monarques, qu’au bonheur de leurs peuples.
Ce faisant, Tintin combat des personnages qui se sont rendus coupables de ce qui constitue pour lui la faute majeure, la trahison : souillure ineffaçable qui conduit les traitres d’une ignominie à une autre, comme c’est le cas du colonel Boris, l’ex-aide de camp de Muskar XII, que Tintin retrouvera à bord de la fusée d’On a marché sur la Lune, toujours aussi fourbe, aussi vil et aussi cruel.
Mais derrière la personne du traître se profilent, de façon récurrente, les puissances mauvaises auxquels il s’est vendu : la Bordurie fascisante du Maréchal Plekszy-Gladz, le Japon impérialiste que Tintin affronte dans le Lotus bleu, le San-Théodoros corrompu et tyrannique du général Tapioca, et bien sûr, Le pays des Soviets, où l’on met tout en œuvre pour empêcher le reporter du Petit XXe de « raconter ce qui s’y passe ».
Tintin dit la vérité, il combat les traîtres et les États voyous, met en garde des princes menacés, tout en s’attachant au triomphe de la justice. Lui-même, à vrai dire, ne parle pas de « droits de l’homme », il laisse ce soin au professeur Tournesol qui, dans Tintin et les Picaros, refuse de serrer la main au représentant d’une puissance qui ne les respecte pas.
En revanche, Tintin parle de justice : il parle, et il agit, lorsqu’il refuse de spolier une tribu indienne en vendant un territoire gorgé de pétrole qui appartient à celle-ci, lorsqu’il promet au docteur Müller, kidnappeur du prince Abdallah, qu’il sera jugé en bonne et due forme, ou lorsqu’il exige du général Alcazar que le coup d’état contre Tapioca se fasse sans effusion de sang.
En somme, même si les principes et les valeurs qu’il prône, même si les idéaux qui sont les siens peuvent paraître un brin désuets à certains de nos contemporains, Tintin n’en demeure pas moins, et plus que jamais, y compris dans l’ordre politique, un héros pour notre temps.
Frédéric Rouvillois
Hergé avait rencontré, je crois, le roi Léopold III… Je pense qu’il a dû voter en faveur de son retour lors du référendum (j’ignore si ce terme convient pour la Belgique) après la Seconde Guerre mondiale ? En tout cas, après avoir lu et relu mes Tintin, je me dis que notre jeune héros serait plutôt partisan d’un royalisme… discret ?