Jean Raspail. A la découverte d’un univers littéraire
C’est au soir d’une longue carrière de romancier et de journaliste que Jean Raspail atteint la consécration. Alors qu’il n’écrit plus d’œuvre nouvelle depuis des années mais réédite des succès anciens, voici que ce Parisien discret, secret sur sa vie, connaît enfin un peu de la gloire qu’il méritait depuis l’origine.
Grâce aux réseaux sociaux sur Internet, la communauté des lecteurs a pu briser l’omerta de la grande presse qui, si elle a toujours reconnu en lui un auteur de talent, s’est aussi bien gardée de trop en parler. La pieuse amitié dont l’honore, depuis quelques années, le dessinateur et scénariste de bande-dessinée Jacques Terpant a permis d’offrir aux œuvres magistrales du maître un bain de jouvence, notamment pour Sept cavaliers et Royaume de Borée. Enfin, la triste actualité migratoire donne un écho amer à l’un de ses premiers et plus connus romans, Le camp des saints. Mais Raspail n’est pas l’homme d’un livre. Il est le chef d’orchestre d’une scène complète, à plusieurs fonds, où s’animent les peuples et où lui, le créateur, a souhaité ne jamais apparaître, laissant entre apercevoir son ombre par un « je » ou un « Jean », aussi vite disparus.
Dans la clique des écrivains contemporains il est l’un des rares à ne s’être jamais passionné pour son nombril et à demeurer le conteur du monde.
Le volume d’événements, de lieux et de généalogies humaines qu’il a animé, et ce décentrement de lui-même servis par un style qui, sans pourtant atteindre le génie, nous plongent dans le bain de son esprit, font de Raspail l’un des plus grands auteurs francophones de la seconde moitié du XXe siècle.
S’il fallait ouvrir, ce jour, un quarante-et-unième fauteuil sous la coupole, inaugurer une nouvelle dynastie d’immortels, il mériterait bien d’en être la graine aux multiples rejetons.
Ensemble, cette année, plongeons-nous à la suite de Jean Raspail. Apprenons à mieux le connaître en débroussaillant pas à pas son œuvre, en soulevant le voile de son univers. C’est notre visage, celui de la vieille Europe, que nous découvrirons partout.
Il y a, dans le travail de la critique littéraire, quelque chose de desséché, propre à tous les cabinets d’entomologiste. Il faut classer, trier, choisir, organiser, thématiser une œuvre touffue, aux aspects de jardin baroque dans lequel l’auteur a laissé, plus ou moins volontairement, des espaces marécageux, un entrelacs de bocage labyrinthique.
Il va pourtant falloir s’atteler à cette mission, pour laquelle, d’emblée, nous demandons l’indulgence du lecteur.
Voici les thèmes qui nous guiderons et que nous avons retenus pour cette année raspaillienne.
– Jean Raspail et les peuples disparus ; mythe du fixisme historique ou récit désolé de la marche du monde vers sa fin ?
– Jean Raspail voyageur ; Découverte du monde ou pèlerinage intérieur ?
– Jean Raspail et le roi ; militance politique ou chant romantique d’une cause perdue ?
– Jean Raspail et la foi ; sens païen du sacré ou errances d’un chrétien agnostique ?
– Jean Raspail et la modernité ; les Pikkendorf sont-ils anti-modernes ?
– Jean Raspail et la décadence de l’Europe ; récit d’une fatalité ou opium mortifère ?
– Jean Raspail et les femmes ; Eloge de la grandeur féminine ou esthétisme viril ?
– Jean Raspail et le rêve ; Base arrière du combattant ou refuge mensonger du désespéré ?
– Jean Raspail et la jeunesse ; espérance du monde ou adolescence perpétuelle ?
– Jean Raspail et son temps ; Témoignage lucide ou miroir inversé de l’âge d’or ?
– Jean Raspail et l’espérance ; La petite espérance luit-elle dans les ténèbres ?
Il y a, dans cette liste et son questionnement binaire, quelque chose d’artificiel, nécessaire pour le bon déroulement de l’exercice. Que le lecteur ne s’affole pas, cependant. L’œuvre de Raspail aura la parole avant tout, et comme il arrive souvent, la vérité se situera dans un mélange entre les différents aspects de la question. Il arrivera même, parfois, que la réponse emprunte de nouveaux chemins ou reste en suspens, faute d’éléments suffisants dans l’œuvre.
Il ne nous reste plus qu’à nous mettre en route, silencieux et bien chaussés.
« D’ordinaire, il évitait les villes, marchant de hameau en village, entre les Causses et les Cévennes, le Lévezou, l’Aubrac, l’Albigeois, se fiant à sa mémoire pour s’arrêter à tel ou tel endroit, des noms de lieu qu’il connaissait par cœur et qu’il avait appris autrefois de celui qui l’avait précédé. Le signe sur une vieille maison, ou une ferme, parfois il le retrouvait, gravé dans la pierre, à l’endroit convenu, rongé par l’usure des siècles. Ses doigts écartaient le lierre et identifiaient le signe aussi sûrement que ceux d’un aveugle, mais le signe, le plus souvent, ignoré des propriétaires de la maison, ne correspondait à rien ni à personne qui en comprît encore le sens. Les temps avaient tellement changé. » (L’Anneau du pêcheur)
A suivre…
Gabriel Privat
Annexe
Bibliographie non-exhaustive de Jean Raspail
NB. Cette bibliographie, très personnelle, recense les ouvrages de Jean Raspail lus par l’auteur de ces articles. Il arrive que certaines nouvelles se retrouvent dans plusieurs ouvrages. Celui noté en référence est le premier recueil dans lequel il nous fut donné de les lire.
Nous n’avons aucune prétention à avoir réalisé là, donc, une lecture exhaustive. Les principaux romans ont tous été lus, ainsi que les principales nouvelles. Mais la plupart des articles de presse et certaines pépites de nouvelles ou de romans nous sont toujours inconnus. Nous les découvrirons, de loin en loin, enrichissant cette liste. Mais en attendant, il nous a semblé important de vous livrer le premier fruit de nos découvertes afin de vous faire aimer, sans plus attendre, ces œuvres qu’il ne faut pas oublier.
Le camp des saints, 1973, Robert Laffont
L’Anneau du pêcheur, 1995, Albin Michel
Sept cavaliers, 1993, Robert Laffont
Les Royaumes de Borée, 2003, Albin Michel
Septentrion, 1979, Robert Laffont
Les yeux d’Irène, 1984, Robert Laffont
Le Président, 1985, Albin Michel
Sire, 1991, Editions de Fallois
Qui se souvient des Hommes… (in Là-bas, au loin, si loin, 2015, Robert Laffont), 1986, Robert Laffont
Moi, Antoine de Tounens, roi de Patagonie (in Là-bas, au loin, 2015, Robert Laffont), 1981, Albin Michel
Le Jeu du roi, 1976, Robert Laffont
Secouons le cocotier, 1966, Robert Laffont, (réédité chez Via Romana en 2012)
Le son des tambours sur la neige (in Le son des tambours sur la neige, 2002, Robert Laffont)
Athaulf le Wisigoth (in Le son des tambours sur la neige, 2002, Robert Laffont)
Une étrange exploration dans la forêt africaine en l’an 2110 (in Le son des tambours sur la neige, 2002, Robert Laffont)
Les hussards de Katlinka (in Les Hussards, 1982, Robert Laffont)
La Clef d’or (in Les Hussards, 1982, Robert Laffont)
In Partibus infidelium (in Les Hussards, 1982, Robert Laffont)
Tombeau d’un garde suisse (in Les Hussards, 1982, Robert Laffont)
La passation de pouvoir (in Les Hussards, 1982, Robert Laffont)
La Domination (in Les Hussards, 1982, Robert Laffont)
Le roi au-delà de la mer, 2000, Albin Michel
Hurrah Zara !, 1998, Albin Michel
La miséricorde (in Là-bas, au loin, si loin, 2015, Robert Laffont)
Merci pour ce bel article. Attention : dans « dessinateur et scénariste de bande-dessinée », bande dessinée ne devrait pas comporter de trait d’union. Le nom et l’adjectif sont pris en leur sens propre, sans la moindre ellipse (contrairement, par exemple, à état-civil, où le trait d’union s’explique par archaïsme ; et contrairement à petit-beurre, où il y a une ellipse).