[Entretien] ” Mes Voyages entre Nuits et Lumière “, le dernier livre de Marieke Aucante à la recherche du Mystère !
” Ne vous donnez pas la peine de chercher la vérité loin du Christ; aucune vérité n’existe hors de lui. Le Christ est la seule Vérité. Lorsque vous connaîtrez le Christ, vous connaîtrez la vérité et vous serez libres. Le Christ veut que vous soyez libres. N’ayez pas peur, prenez courage; sachez que le Christ a vaincu le monde “. Mar Charbel.
Cette affirmation résume à merveille la trame du nouveau livre de Marieke Aucante, grand reporter, qui, avec ses ombres et ses lumières, au-delà du décor brillant d’un journalisme éphémère nous emmène comme un puzzle au centre d’une vie faite de souffrance, un petit frère handicapé meurt, une foi qui vacille pendant de nombreuses années. Un cri d’espérance et des joies éprouvées.
Au bout d’un chemin chaotique qui s’appelle la vie, et malgré ses vicissitudes, Marieke Aucante s’aperçoit qui lui manque quelque chose d’essentiel pour être en accord avec ses émotions. Cet autre, c’est Dieu, qui petit à petit inonde tout son être, ce Dieu de toute bonté qu’elle a choisi pour instrument de conversion. L’auteur nous livre là, avec pudeur, une ascension fulgurante vers l’éternité.
Entretien avec Marieke Aucante
Eric Muth. Vous intitulez ce livre ” Mes Voyages entre Nuits et Lumière “. Votre vie est-elle si mouvementée que cela ?
Marieke Aucante. ” Mes voyages entre nuits et lumière ” est un titre qui me paraît approprié. Ma vie comme celle de tout un chacun fut mouvementée par moments, voire désordonnée, je n’en fais pas mystère. A la veille de mes soixante ans la grâce m’a permis de reconnaître le Christ. Depuis je tente d’être à la hauteur de cette demande qui m’est faite de témoigner.
E.M. A la première page, vous dites que votre frère Denis ” n’a pas la parole mais sa pensée est émotionnelle “. En fait tout votre livre est émotion. C’était un lien très fort ?
M.A. Il me semble que l’on sait les choses après, jamais pendant, et c’est là notre drame humain. Denis, mon petit frère était différent en tout de nous, mais il était christique. Handicapé physique et mental, il n’a pas connu le péché. Il nous regardait avec une bienveillance extrême. Nos vies ne sont que des tentatives et on n’a pas l’occasion d’effacer le brouillon de nos jours vécus. Denis était un Saint mais nous ne le savions pas. Il nous pardonnait jusqu’à notre bonne forme physique et mentale sans s’affliger sur la sienne. Je vivais un peu pour moi et pour lui, notre complicité était totale. Il semblait nous pardonner d’avance. Le lien était tellement fort qu’après sa mort, j’ai écrit un livre ” Petit frère l’orage ” pour ne rien oublier de ce que fut son existence au milieu de nous.
E.M. Malgré son handicap, Denis est le centre du monde pour vous, il capte des choses inimaginables ?
M.A. Denis aimait suivre la messe à la télévision, dans le silence. Sa vie avec et tout contre nous a éclairé nos existences. J’étais son accompagnatrice, son porte-parole, quand il a fallu faire reconnaître ses douleurs auprès des médecins, des institutions, des hôpitaux. A-t-il ressenti ce regard impitoyable sur le handicap posé par des gens ne songeant pas à mal, mais qui souhaitent juste être performants, beaux, et rester jeunes ? La société n’aime guère le rappel de la déficience qui peut survenir à chaque instant et pour chacun d’entre nous. Je pense qu’il a moins ressenti que moi ce regard au fer rouge. Heureusement !
E.M. Est-ce lui qui vous ramené vers Dieu ? l’aurait-il fait en secret pour vous ?
M.A. Denis aurait-il contribué à mon retour vers Dieu ? Sans doute un peu, puisque j’ai pris conscience à sa mort en 2009 de certaines choses de l’ordre du fondamental. Il m’a dessillé les yeux, je crois. J’ai envie désormais de respecter infiniment ceux qui ont vécu avant nous, de ressentit chaque rencontre importante comme un cadeau du ciel. Cela aide à se conduire mieux.
E.M. Nous, nous parlons de handicap, mais, ne sont-ils pas plus heureux que nous, ayant compris avant nous le mystère de la souffrance ?
M.A. Les personnes en situation de handicap, les personnes souffrantes se posent d’emblée la question de leur place dans notre société. Les personnes valides ne se la posent pas, ils n’ont pas le temps de réfléchir aux valeurs profondes. Avant j’étais comme beaucoup dans l’action et peu dans la réflexion. Nos politiques ne se préoccupent guère de leur prise de décision d’aujourd’hui et de ses conséquences dans vingt ans. Ils gèrent l’instant sans songer à plus tard. Tout ce que je sais pour en revenir à Denis c’est qu’il a connu des moments de grande joie avec nous. De sa souffrance, il ne se plaignait jamais. Je pense à lui aussi quand je suis tentée de me plaindre pour des souffrances superficielles. Je ressens alors comme une honte et une indécence.
E.M. Vous avez publié plus d’une vingtaine de romans, essais, nouvelles, pièces de théâtre. Ce dernier livre est-il le plus affirmé ?
M.A. Après une vingtaine de romans, nouvelles, essais, il est certain que ce dernier ” Mes voyages entre nuits et lumière ” est le livre le plus proche de moi. A soixante ans, on a envie de se rapprocher de soi-même. Tout se passe comme si vous aviez dormi des milliers d’années, et que d’un coup vous vous réveillez !!!!! Ce livre a pris une forme jamais expérimentée avant, il ressemble au flot de la vie même. Dans ces dix-sept chapitres, des nouvelles que l’on peut lire dans le désordre, on trouve un récit journalistique quand j’évoque la religion dans la jungle de Calais, un récit historique quand je parle de ce jeune qui a perdu la vie le jour de ses vingt ans sous les balles d’une mitraillette avec ses camarades de résistance, de la prose et de la poésie quand j’évoque le choc émotionnel d’une toile de Munch, ou une rencontre fondatrice. Ce livre est en quelque sorte une méditation sur le passé, une méditation sur la disparition, et puis ces rencontres qui font de moi ce que je suis aujourd’hui : une catholique qui peut dire à voix haute qu’elle l’est.
E.M. Vous écrivez, page trente, d’une curieuse révélation qui vous interpelle encore aujourd’hui, pourriez-vous m’en dire plus ?
M.A. La révélation pour moi eut lieu à l’île d’Aix en 2010. Dans la petite église je fus animée de tremblements de froid quand j’ai lu sous mes pieds ” Ossuaire des prêtres martyrs “. Ensuite j’ai beaucoup fait de recherches sur la religion et la révolution. J’ai compris à quel point les révolutionnaires voulaient en finir avec la chrétienté en général. Ils voulaient abolir tous les signes de religion. Au début je pensais qu’il serait impossible pour moi d’achever ce livre à cause des souffrances éprouvées par les prêtres emprisonnés sur les Pontons de Rochefort, mais finalement j’ai décelé des signes d’espérance, de pardon, de réconciliation, de fraternité de pensée, tandis qu’ils vivaient l’impensable. Pendant que j’écrivais ” Moi Augustin, prêtre martyr de la Révolution Française ” j’ai fait un chemin spirituel avec mon personnage qui m’a tenu la main en quelque sorte. Aujourd’hui je dis que c’est lui qui m’a dicté ce livre.
E.M. Je vous cite, page cent cinquante-six ” J’ai décidé de me consacrer à la recherche d’une paix intérieure qui ne soit ni éphémère, ni superficielle “. L’avez-vous trouvée ?
M.A. Dans cette phrase je convoque ma quête profonde mais qui peut l’atteindre ? Il faut du silence, il faut de la méditation et de la prière pour s’en rapprocher. Beaucoup de personnes je pense sont comme moi en recherche. J’aime bien cette phrase gravée au pied du Saint Sébastien à la Cad’d’Oro de Venise ” Nihili nisi divinum stabile est. Caetera fumus ” Rien n’est permanent si ce n’est divin. Le reste n’est que fumée. Je suis en marche, au tout début du chemin, c’est ce que je ressens en profondeur.
E.M. Pour votre mari dites-vous, Dieu n’existe pas, cela vous trouble-t-il ?
M.A. Que mon mari soit athée, je le comprends, j’ai vécu des années moi aussi sans penser à Jésus dans sa fragilité humaine. J’ai parfois la nostalgie d’une vie de couple où l’on pourrait lui et moi marcher ensemble dans la même direction, faire un pélerinage d’amour avec mon mari, même pieds nus…Mais hélas je n’ai pas la ténacité d’une Sainte Clotilde !
E.M. Votre livre dégage un parfum d’éternité, est-ce l’ivresse Divine?
M.A. Ce livre n’est pas une autobiographie, il est fait aussi de la vie de ces personnes que j’ai croisées, avec qui j’ai parfois partagé du temps et des valeurs. Ce qui compte c’est de reconnaître les personnes qui ont vécu avant nous et qui viendront après, se sentir de passage. La tradition nous aide à maintenir ce lien. Chaque instant est unique, et ne reviendra jamais, mais rien n’empêche de s’arrêter sur ces moments vécus. Toute rencontre qui nous fait grandir en Dieu est un instant d’éternité. Une personne ou la Bible peuvent prendre en y réfléchissant une place majeure dans notre vie terrestre. Je pense que le lecteur est un vrai créateur lui aussi, puisqu’il modèle, à la façon d’un sculpteur, les textes où il s’arrête en méditant.
Eric Muth
Pour son engagement dans la protection de l’environnement et son implication dans la formation des professionnels et des familles accompagnant des personnes en situation de handicap, Marieke Aucante, journaliste à France Télévisions de 1985 à 2016, a reçu en Juin 2008 les insignes de la Légion d’honneur. Elle a publié en 2012, chez Albin Michel, Petit frère l’Orage et en 2015, chez Salvator, un roman historique, Moi Augustin, prêtre martyr de la Révolution française.
Mes voyages entre nuits et lumière – Editions Salvator : 17 euros