[Cinéma] Passagers (2016). Miroir de nos maux contemporains.
Le cinéma contemporain de grand public, dans tous les domaines, dépeint en fait souvent très bien et de façon tout à fait inattendu les maux de notre temps.
Ce film, par exemple, en est un parangon : il aurait pu être bien, si la société qui produit ce film était des traditionnels.
Comme d’ailleurs beaucoup de films actuels, la facture graphique, la réalisation technique est assez exceptionnelle… c’est dans le contenu que cela pêche.
Tout part bien pourtant : enfin je veux dire qu’il y aurait pu avoir un véritable sujet philosophique à traiter, et une proposition de sortie par le haut du dilemme posé par le film.
Résumons un peu l’histoire tout en commentant.
Le film se passe sur un vaisseau spatial immense en voyage interstellaire. Tout se fonde sur le jeu de deux (puis trois) acteurs : on retrouve presque les anciens théâtres où le jeu des acteurs reste central, bien plus que les effets spéciaux. C’est déjà un point positif.
Ce vaisseau-complexe transporte plus de 5000 passagers vers une « nouvelle planète » à coloniser : tout le monde est en hibernation.
Passons sur le motif un peu délirant de l’hibernation : c’est à la mode, le cinéaste l’utilise, pourquoi pas.
Cette hibernation se fait car le vaisseau, quoique de haute technologie, met plus de cent ans à atteindre sa nouvelle planète. Et ce vaisseau est affrété par une compagnie privée : les passagers sont des clients avant tout – est-ce une critique voilée de la privatisation de la conquête spatiale illustrée par Musk ? La question se pose.
Bref, le vaisseau, soit disant parfait, traverse une tempête de météorites – tout est en pilote automatique, tout le monde dort.
Et le vaisseau s’en sort, mais visiblement il y a eu un problème : le héros du film se réveille. Son caisson s’active, et la procédure pour lui s’active. Il se rend compte rapidement que personne d’autres ne s’est réveillé, et qu’il s’est réveillé 80 ans trop tôt…
Il ne peut pas communiquer avec la terre (ou il faudrait 50 ans pour avoir une réponse) et les IA du vaisseau lui disent que les caissons d’hibernation parfaits ne peuvent pas avoir ce genre de bug… Le héros affirme qu’il est pourtant là, lui, ce qui prouve qu’il y a eu un problème… Mais la machine évidemment ne veut rien entendre.
Ici aussi on pourrait y voir une critique du tout mécanisé, voire même de la robotisation des hommes dans leur façon d’agir, ce qui est intéressant.
Notons encore combien les conditions du film reflètent une certaine ambiance contemporaine : ces passagers décident de s’endormir cent ans pour aller à l’aventure. Ils vont donc perdre dans l’intervalle toute leur famille et leurs proches, qui seront morts de vieillesse : ces gens-là ont donc payé cher pour partir reconstruire une vie à l’autre bout de l’univers, sans quasi possibilité de retour, et en rompant avec le monde connu. Est-ce une sorte de relent du mythe du far west couplé au mal-être contemporain de la bougeotte qui veut trouver un monde idéal ailleurs – ce qui est une illusion toujours décevante, car on se retrouve toujours avec soi-même…
Notons encore combien cet soif « d’aventure » est en même temps aseptisé : sur la nouvelle terre, on imagine, qu’ils devront créer comme une société idéale et travailler beaucoup, sans donc ni état, ni police, ni familles, ni structure : le délire du phalanstère intergalactique. Mais pourtant, comme le héros le manifeste, ils vivent (ou sont appeler à vivre les quatre derniers mois du voyage) sur le vaisseau comme des touristes en “resort”, dans un environnement super artificiel, à s’amuser, tout en suivant toutes les règles des machines, et les procédures… C’est le monde quasi-opposé à celui du far-west…ou peut-être le monde rêvé (car on ne peut imaginer autre chose) des lumières mondialisés d’un monde parfait, totalitaire, tourné sur son égoïsme, mais écrasé par les autres, dans la satisfaction perpétuelle de ses besoins par le pain et les jeux.
Continuons l’histoire.
Le héros donc seul va essayer de rendormir. Pour l’histoire, on fait en sorte, avec quelques incongruités illogiques, qu’il ne puisse pas se rendormir. Comme ces caissons sont censés être parfaits, rien n’a été prévu pour voir se rendormir. Il n’y a pas de caissons supplémentaires sur le vaisseau (malgré les 5000 passagers…). Et pire, l’équipage du vaisseau, qui pourrait certainement faire quelque chose, hiberne dans une partie isolée et sécurisée du vaisseau, inaccessible au héros… Pourquoi ont-il besoin de se trouver en zone sécurisée pour hiberner, si tout le monde dort, et s’il est impossible que quiconque se réveille ? Puisque tout le film tient sur cet erreur de l’entreprise qui veut se croire infaillible et donc n’a pas prévu ce cas d’urgence quand même assez prévisible… Là aussi, en soi, on peut voir une critique de ces entreprises, mais aussi état, qui veulent tout prévoir, ou ont une confiance excessive en leur technologie ou leur intelligence, et laissent passer des choses énormes…créant des catastrophes.
Que se passe-t-il ensuite ? C’est le thème de Robinson Crusoé sur une île déserte, mais sans avoir besoin de survivre. Là aussi le thème est intéressant : l’homme étant un animal politique il ne peut pas vivre, et encore moins bien vivre, sans d’autres hommes, et sans amitié. Nous voyons ici la détresse absolue de l’homme sans Dieu, qui se retrouve seul avec lui-même, la pire compagnie qui soit quand on n’a pas la Foi. Après quelques temps où il trompe sans ennui en usant de tout le confort et des divertissements du vaisseau, il se retrouve toujours seul, seul, seul.
Il se laisse aller, et survit en discutant avec un robot qui fait le bar. Puis une tentation lui vient : il tombe sur son « âme sœur » en hibernation. Et il se dit « pourquoi pas la réveiller ? », pour avoir de la compagnie et, quitte à vivre toute sa vie sur ce vaisseau, ne pas être seul. Il résiste à la tentation, en se rendant bien compte que c’est terrible… Jusqu’à ce qu’il craque après quelques mois. Cela fait un peu plus d’un an qu’il est réveillé. Un réminiscence de la belle au bois dormant ?
Aussi, on se rend compte que le vaisseau commence à manifester de plus en plus de petits bugs, sans importance apparente : quelque chose cloche pourtant.
La partie suivante du film est terrible, et manifeste encore le désordre substantiel de notre temps : l’amourette, qui se veut sérieuse, se concrétise, pas de façon la plus ordonnée qui soit, mais disons que vue les temps on reste dans un certain idéal quand même de véritable amitié. L’héroïne est un écrivain qui n’a pas l’intention de rester sur la colonie, mais de revenir sur terre, deux cent ans plus tard que son départ : évidemment tout cela est à l’eau.
Et je passe, mais l’héroïne apprend que le héros l’a réveillé, et là l’amour devient haine féroce.
Le héros voulait lui dire, mais il a trop tardé…donc il est puni, c’est presque moral.
La période suivante est donc centrée sur la haine de l’héroïne, et, bizarrement, le héros garde tout son calme et semble comme maîtriser la situation : il préfère pratiquement se faire haïr par quelqu’un que d’être seul – et n’avoir pas le choix de se confronter à son propre néant ?
On sent ici toute la tristesse de notre monde moderne qui s’occupe, se divertit et trompe son ennui dans les passions amoureuses à deux sous, avec des rêves d’amour idéal, qui se transforment en haine, puis se raccommodent… Tout cela occupe et fait oublier la mort, le sérieux, etc. Le héros s’occupe à bricoler et à inventer des choses, pour faire plaisir à la héroïne : l’amour fait vivre…alors quand c’est l’amour de Dieu on imagine à quel point c’est encore plus fort.
Jusque-là, encore, le héros, comme la héroïne, sont auto-centrés sur eux-mêmes, décrivant bien notre monde moderne égoïste : pas une seconde ils ne pensent au bien commun de l’équipage, s’inquiétant peut-être du fait que les bugs se multiplient.
Alors il fallait une sorte de « miracle » pour que le film avance : un énième bug fait qu’un membre de l’équipage se réveille. Il a accès à tout. Et il se rend compte qu’il y a un gros problème. Il se rend compte aussi rapidement de ce qui s’est passé avec le héros et la héroïne, et tel un bon mentor il va permettre de raccommoder les liens brisés, en tout cas de leur permettre de travailler pour le bien commun du vaisseau.
On rentre dans la phase du travail pour le bien commun : on enquête, on avance. On se rend compte très rapidement que la situation est critique, et que les bugs se font en chaîne et se multiplient exponentiellement…le vaisseau « intelligent » compense une avarie, et cela fait tout « surchauffer ». Il ne leur reste plus, tout d’un coup, que quelques heures avant que le vaisseau n’explose.
On cherche. Et là le membre d’équipage qui s’est réveillé meurt d’une sorte de cancer, car sa cabine d’hibernation l’a « endommagé » irrémédiablement en le réveillant.
Et ce membre fait son devoir, se sacrifie sans sourciller, très sûr de lui. Sa sûreté est d’autant plus déconcertante qu’on ne sait pas très bien pour quoi il le fait : pour sauver des vies humaines ? Vie humaines qui deviennent le nouvel absolu…bien bas mais enfin, comparé à la vie divine.
Et là le héros, comme la héroïne se disent qu’il faut bien être héros et héroïne : en particulier le héros, découvrant l’avarie moteur due à un météore qui a tout endommager, va se sacrifier pour sauver le vaisseau. Finalement l’héroïne le sauve in extremis.
Et puis, on se rend compte qu’en fait il y a un caisson d’hibernation possible : le héros propose à la héroïne de se rendormir, elle refuse pour faire sa vie avec…
Et bien sûr, scène final quand tout le monde se réveille : le héros et la héroïne sont déjà morts de vieillesse.
Concession écolo oblige, les deux héros ont passé leur vie à faire du vaisseau une sorte de paradis vert, serre géante style paradis terrestre…le délire moderne de trouver un paradis terrestre dès ici bas ?
Et là, tout tombe à l’eau, et c’est dommage… Pourquoi ? Car le film, au lieu de montrer un amour sublimé par le sacrifice, et qui va fonder une famille, voire une dynastie, lors de ces 80 ans de vie (supposée, comme si d’ailleurs ils ne pouvaient pas mourir brutalement), montre l’égoïsme de deux personnes mise l’une à côté de l’autre, qui ne se posent même pas la question des enfants, et qui se seraient contenter toute la vie à vivre comme en vacance dans un super hôtel de luxe…. Certes c’est typique de l’époque, mais le contraste avec le sacrifice précédent est assez ridicule…et surtout l’angélisme béat du révolutionnaire illuminé fait sourire : comme si deux âmes recroquevillées sur leur égoïsme, sans chercher à accomplir la fin du couple qui est la famille, pourrait vivre une idylle éternelle pour toute la vie…
Dans tous les cas ce film reflète bien nos temps…
Pour Dieu, pour le Roi, pour la France
Antoine Michel