[Cinéma] Tom Cruise, intelligence artificielle et démonologie : autour de « Mission Impossible : Dead Reckoning »
Dans cet article, nous nous proposons d’analyser ce film à succès pour tenter d’éclaircir ce qu’il peut nous enseigner sur le monde contemporain.
La série des films Mission Impossible avec Tom Cruise bénéficie d’un succès qui ne se dément pas, et qui a la particularité d’augmenter à travers le temps : et pour cause, la qualité cinématographique des films s’améliore au fil des épisodes. Les ingrédients qui plaisent sont au fond banals : agence secrète, scène d’action et paysages magnifiques, avec suspens, agents doubles voire triples et une pointe d’humour toujours présente.
Il faut noter aussi qu’en ces temps où le wokisme est omniprésent, cette franchise indépendante — car prise en main par Tom Cruise directement — se démarque des productions Marvel ou autres, en conservant un schéma classique et « patriarcal » : malgré la présence de quelques espionnes, l’essentiel des héros sont des hommes costauds et intelligents, dont la mission consiste à protéger la veuve et l’orphelin. C’est plutôt rafraîchissant.
L’autre aspect expliquant peut-être superficiellement son succès est qu’il nourrit sans aucun problème les « théories du complot » : chaque opus, consciemment ou non, traite d’un complot mondial que les héros vont s’évertuer à déjouer contre la sécurité planétaire : épidémies provoquées, souches de virus, armes nucléaires… Le dernier opus, dont nous parlons aujourd’hui, centre son intrigue sur une IA manipulatrice, envahissante et menaçante pour la stabilité de tout le « cyberespace ». En outre, malgré l’accumulation, dans chaque film, d’une succession invraisemblable de « hasards », chaque technologie ou processus décrit reste vraisemblable.
Mission Impossible est encore l’une des rares séries où l’un des films se passe en partie au Vatican, avec prélats et des soutanes, sans qu’il y ait pour autant de « bashing » anti-catholique (ni quelconque soutien, d’ailleurs, c’est du pur décor).
Jusque là, rien de bien original. Il faudrait d’ailleurs relever le ridicule de la motivation des personnages, qui sauvent toujours le monde malgré lui… mais aussi presque malgré eux, c’est-à-dire qu’ils ne sauvent pas le monde pour lui-même, mais indirectement, pour sauver des « amis » espions — qu’ils ne côtoient que durant les missions, d’ailleurs. C’est l’ingrédient principal du succès de cette franchise : la bande d’espions est une bande d’amis, très professionnels, avec pour manie impulsive de désobéir systématiquement aux ordres de la hiérarchie, et d’agir malgré la hiérarchie pour protéger le bien commun…
Certaines « vertus » naturelles sont ainsi mises en avant : service du bien commun, sacrifice, amitié et probité, obéissance éclairée, etc. — ce que le gaulois réfractaire ne peut qu’apprécier ! — et une sorte d’« imperfection » dans les missions (avec des ratés et des imprévus) permet d’éviter l’écueil du tout parfait, à la James Bond.
D’un point de vue religieux, à première vue, rien de spécial : ni christianisme affiché, ni gnosticisme affiché… Mais revenons sur le dernier opus, qui a un intérêt symbolique fort. La menace vient donc d’une IA développée par des agences secrètes pour s’infiltrer dans les autres agences secrètes, sauf que — veine du transhumanisme robotique oblige — l’IA prend son indépendance, s’échappe, et vaque dans le grand monde. Elle commence à faire savoir son existence à toutes les agences secrètes, montrant qu’elle peut s’introduire partout, et falsifier de façon vraisemblable toute information. Les agences de renseignement se mettent alors à produire le plus possible de documents papier, en prévoyant une future agression informatique et — intuition assez réaliste — la nécessité pour les espions de revenir à de l’analogique pour ne pas être « connecté » et donc traçable par l’IA.
Notons tout de suite une contradiction interne au film : d’un côté l’IA veut faire croire, et on veut nous faire croire, qu’elle prédit si bien les comportements humains que chaque protagoniste serait pris dans un « destin » déterministe, sans liberté possible ; en même temps, l’IA réagit comme si elle avait une « conscience » et ressentait de la « peur », reconnaissant que les hommes — et c’est ce qui permet l’histoire — peuvent tout de même par leur liberté infléchir la défaite programmée par l’IA.
Jusque-là, rien de très étonnant. Les choses deviennent intéressantes par la suite. À la différence de ce qui se passe dans les autres films et romans de science-fiction, l’IA ne peut pas agir par elle-même. Elle peut manipuler les informations, tenter de manipuler les personnes en les poussant d’un côté ou de l’autre, faire disparaître une personne des dossiers, imiter des voix, etc., mais elle ne peut rien faire dans la réalité d’une part — seuls les hommes agissent véritablement — et elle ne peut évidemment pas entrer dans les consciences.
Cette IA est représentée par une sorte d’œil, panoptikon, qui voit tout et sait tout… en théorie — en fait, il ne sait pas tout et ne voit pas tout : une simple conversation physique, sans micro, lui est par exemple inaccessible — et elle est nommée dans le film « entité », comme si elle était un être, certes supérieur, immatériel et très intelligent, mais limité, une sorte d’entité spirituelle qui pourrait s’insinuer partout pour influer, mais sans jamais pouvoir agir si ce n’est en « tentant » les hommes, en les dupant et en les faisant agir selon sa volonté. Bien sûr, cette entité ne pouvant agir d’elle-même dans le monde des humains, elle possède dans le film un suppôt — le grand méchant — qui se voue à elle pour accomplir sa vengeance personnelle et son dessein obscur…
Les plus versés en théologie l’auront compris : cette entité possède toutes les caractéristiques du Prince de ce monde. Un être angélique supérieur, à l’intelligence importante, qui peut agir tout le temps et partout, mais sans jamais pouvoir avoir d’actions décisives ou corporelles, et qui sait beaucoup de choses, mais jamais tout. I ne peut pas entrer dans les consciences et ne peut agir que sur des éléments extérieurs à notre âme : le mensonge, pour manipuler les gens, les tenter et les faire agir selon sa volonté. D’où le besoin d’avoir des serviteurs, qui se vouent à lui, non par amour, mais pour assouvir une de leurs passions — de gloire, de pouvoir, de vengeance ou ce que vous voulez.
Derrière le simple film d’action classique, se reflète donc notre réalité. Si le Prince de ce monde a bien aujourd’hui une emprise complète sur la planète, il est comme cette IA dans le film : ni absolu, ni direct, ni incarné, ni invincible. Les consciences et le libre-arbitre restent de notre côté, notre intelligence reste intacte et nous pouvons toujours résister aux tentations et discerner la vérité, aussi difficile cela soit-il.
Quant aux suppôts du diable, qui ont déjà basculé du mauvais côté, ils sont dangereux mais pas invincibles. De plus, ils demeurent des créatures de Dieu haïes par celui qu’ils servent et sont susceptibles de revenir dans le giron du Créateur à tout moment, si Dieu le veut. Il faut donc prier pour eux et demander leur conversion. Cela aussi est présent dans le film : l’« entité » veut la mort de son auxiliaire, dont elle sait qu’il n’est pas complètement sous son emprise ; le héros au contraire, malgré la haine naturelle qu’il ressent pour ce suppôt du Mal, réussit à surmonter celle-ci et épargner son bourreau, en vue d’un bien supérieur…
Bref, Mission Impossible n’est peut-être pas à voir, mais il est toujours intéressant de relire les grands films à succès à la lumière de la spiritualité et de la religion, car quoique des fictions, ils présentent toujours une certaine conception du monde et de la philosophie ambiante.
Antoine Michel
Pour Dieu, pour le Roi, pour la France !