Alexandre Soljénitsyne, L’Archipel du Goulag
C’est désormais un classique, aussi bien de la littérature que de l’histoire politique. Tous en connaissent le titre, beaucoup en parlent ; mais peu ont lu cet ouvrage majeur, qui a valu à son auteur d’obtenir le prix Nobel de littérature.
Une version abrégée de L’Archipel du Goulag[1], préfacée et chapeautée par Natalia Soljénitsyne, vient de paraître. En prenant en main cet épais résumé, au format avoisinant le poche (pas pour la largeur du dos, bien entendu, les mille pages étant tout de même assez conséquentes), nous étions bien imbécilement sceptique, en raison d’un réflexe injustifié mais bien réel de méfiance à l’égard de toute version expurgée ou abrégée.
Pourtant, au cours de la lecture, l’honnêteté et l’évidence reprennent rapidement le dessus. La préface, inédite, n’est en rien extraordinaire mais a le mérite de présenter de manière précise et structurée la vie de l’auteur et la genèse de l’œuvre. Ensuite, quelques pages suffisent pour entrer dans le vif du sujet et goûter à plein la prose du génial écrivain russe, grâce auquel tout un pan de vérité sur les méthodes concentrationnaires et coercitives soviétiques a été mis au jour. L’Archipel du Goulag, dans sa mouture intégrale, est déjà un monument littéraire, où les faiblesses sont rares, en tout cas indécelables à moins d’être particulièrement bougon. Alors imaginez une version abrégée, uniquement constituée du nec plus ultra, assemblage d’un millier de pages de meilleurs morceaux ! Un régal, dont le style éclate à chaque page. Aucun temps mort : pas de répit pour le lecteur, même quand il s’agit de découvrir les pires tortures menées à bien par les suppôts du parti communiste russe…
Le lecteur sait à l’avance le gros de la teneur de L’Archipel du Goulag. Pourtant, il sera sans cesse étonné, quand bien même il en serait à sa deuxième lecture du livre, par de nouveaux détails, et par l’impressionnant degré de sournoiserie dont peuvent faire preuve les magnats soviétiques. De nombreuses anecdotes et une multitude de témoignages individuels forment un socle solide de documentation et de preuves, et mettent souvent en relief la cruauté ou la bêtise du régime honni.
L’URSS s’est officiellement effondrée il y a un peu plus de deux décennies, mais des gouvernements d’un genre identique perdurent çà et là, dans quelques contrées de notre planète. Certains commentateurs voient en l’Union européenne une nouvelle URSS, quand d’autres l’identifie aux États-Unis d’Amérique, ayant fait triompher le système hégélien dans sa variante capitaliste pseudo libérale. Il y a aussi, bien sûr, l’exemple ô combien riche en curiosités pour l’esprit occidental de la Chine. Quoi qu’il en soit, veillons et faisons attention à ce que certaines choses ne se reproduisent pas… La tiédeur des bons fait le bonheur des mauvais.
Jean de Fréville
[1] SOLJÉNITSYNE (Alexandre), L’Archipel du Goulag. 1918-1956. Essai d’investigation littéraire, version abrégée, Paris, Points, 2014, 1000 p., 14,50 €.