Ex-libris. « Les vertus morales », par Garrigou-Lagrange
Pour saisir le plan de Dieu, il convient de comprendre la nature profonde de l’être humain. A ce titre, le dominicain écrit : « Par le pouvoir de donner à ses actes une orientation réfléchie et volontaire selon la vraie finalité de sa vie, l’homme transcende en dignité tous les autres êtres de ce monde. » Il ajoute avec raison que « cette moralité, l’homme la concrétise non seulement en des actes singuliers conformes à la règle de la raison, mais aussi grâce à l’adaptation durable de ses facultés d’action par des qualités stables qui s’y enracinent. Ces qualités sont appelées vertus ».
En définitive, cet ouvrage nous introduit dans l’univers de la grâce parfaisant la nature. Aristote écrivait déjà que « la vertu rend bon qui la possède, et bonne son œuvre ». Les explications de l’auteur « sur les vertus morales s’organisent en conséquence selon la considération primordiale de la grâce sanctifiante et de son épanouissement dans nos facultés sous la forme des vertus infuses (surnaturelles) et des sept dons du Saint-Esprit ».
L’organisation du livre est donc clairement exprimée dès les premières pages : « L’auteur consacre chaque chapitre a une vertu particulière, d’abord les quatre vertus morales cardinales, ensuite quelques vertus annexes qui jouent un rôle important dans la vie spirituelles, telles l’humilité, la simplicité et la droiture, et enfin certaines vertus qui se rapportent aux conseils évangéliques : esprit de pauvreté et obéissance. »
En lisant cette passionnante étude, chacun comprendra que l’application des vertus permet à l’homme de mener une vie saine et équilibrée. Cependant, le chemin pour y parvenir reste étroit : « Il y a deux défauts contraires à éviter, d’une part l’imprudence, l’inconsidération, la négligence à considérer ce qu’il faudrait, la précipitation du jugement, et d’autre part, la fausse prudence, ou prudence de la chair, appelée souvent la ruse ou même l’astuce, qui ne poursuit qu’une fin inférieure, toute terrestre ; elle cherche, non pas le bien honnête, objet de la vertu, mais le bien utile comme l’argent, et elle montre beaucoup de rouerie et de fourberie pour se le procurer. »
Garrigou-Lagrange développe des idées essentielles avec un rare talent. Il précise que « les vertus théologales regardent la fin dernière et nous portent à croire en Dieu, à espérer en lui, à l’aimer par-dessus tout… » Concrètement, le catholicisme distingue quatre vertus dites cardinales « parce qu’elles sont comme les quatre gonds (cardines) de la porte qui donne accès au temple de la vie intérieure. Les deux murs principaux de ce temple symbolisent la foi et l’espérance, le dôme est la figure de la charité, et le fondement en est l’humilité ». A contrario, une certaine conduite peut provoquer l’effet contraire : « quant à l’imprudence, à l’inconsidération, elle retarde beaucoup le progrès spirituel et parfois le retarde en voulant le précipiter… » L’apôtre Paul dans ses remarquables épitres estime que la fausse prudence s’apparente à une sottise doublée d’une chimère.
Pour réellement apprécier le vin, il faut avoir goûté de la piquette voire du vinaigre. Ce n’est donc pas un hasard si l’auteur développe la pensée suivante : « On voit mieux le prix de la vertu par les inconvénients des défauts contraires qui sont souvent assez manifestes. » En conséquence, Garrigou-Lagrange rappelle « pourquoi l’Ecriture, pour mieux nous recommander la prudence, nous montre les dangers et les suites de l’inconsidération. Elle nous parle des vierges prudentes par opposition aux vierges folles ».
Le style d’écriture de Garrigou-Lagrange est extrêmement clair, précis et pertinent. Les pensées s’enchaînent logiquement et s’appuient sur des démonstrations circonstanciées. Ainsi, le frère prêcheur « met l’accent sur les fonctions de chaque vertu dans la vie intérieure, ascétique et mystique, car tel est l’objet essentiel de cet ouvrage magistral ».
Nous devons admettre que pour arriver au vrai bonheur sur terre qui ne peut être confondu, par exemple, avec le matérialisme et l’accumulation de richesses, « l’homme a reçu comme deux ailes, celle de l’espérance et de la charité pour tendre effectivement vers ce but surnaturel et y arriver ». Pour l’auteur « la foi est comme une faculté d’audition surnaturelle. Par cette audition supérieure, l’homme est guidé vers l’éternité ; il doit se porter de plus en plus vers le sommet d’où provient cette harmonie ». Pour atteindre cette hauteur spirituelle, il faut, à l’image de ce pieux dominicain, étudier, contempler et pratiquer de manière sincère les vertus morales afin de revêtir cette armature de la vie chrétienne…
Franck Abed