Sainte Jeanne de Valois : une âme privilégiée dans la Maison Royale, par Marie-Noëlle De Pasquale

« Il n’était ni beau ni brillant pour attirer les regards, familier de la souffrance et nous l’avons compté pour rien ». Ainsi, la sainte Écriture parle du Messie, serviteur souffrant. Ainsi pourrait-on parler de Jeanne de France1. Elle fut une belle âme, méprisée et humiliée par ceux de sa famille mais favorisée de Dieu et aimée des pauvres.

Une vie donnée et un cœur aimant

Jeanne de Valois naît le 23 avril 1474, au château de Nogent-le-Roi. Fille cadette de Louis XI et Charlotte de Savoie, elle a une sœur aînée, Anne, et aura un frère plus jeune, Charles. Son père, le roi Louis XI, est déjà décidé à la marier à son cousin, le duc Louis d’Orléans. La petite Jeanne grandit à la cour, dans le château d’Amboise, au bord de la Loire. Elle est charmante avec ses boucles blondes et ses yeux verts, mais on s’aperçoit de sa difformité : une jambe plus courte que l’autre, qui la fait boiter, et un dos un peu bossu.

Son père, humilié, ne comprenant pas qu’un handicap appelle à un plus grand amour, l’exile loin de la cour, chez des cousins, le comte et la comtesse de Linières. Elle a seulement cinq ans, et déjà un cœur si aimant, qu’elle est très attristée de se séparer de sa mère et de ses frères et sœurs. Quittant ainsi le clair château d’Amboise, elle rejoint le château plus austère de Bourges. Elle s’habitue vite à sa nouvelle vie. Elle est bien entourée de la tendresse de ce couple âgé, sans enfants, et de la compagnie joyeuse des enfants de Bourges dont elle partage les jeux. Cette première épreuve d’enfance la rapproche de Celui qu’elle aime déjà beaucoup : le bon Dieu.

Quand elle a sept ans, elle a la grâce d’une vision de la Sainte Vierge, qui lui déclare ces paroles décisives : « Un jour, tu fonderas une religion en mon honneur »

Elle ne comprends pas comment cela se fera, et pourtant son cœur est attiré par la vie consacrée. Cependant, le roi n’oublie pas ses projets de mariage pour elle. Les pourparlers avec la branche cousine sont très rudes : Marie de Clèves, duchesse d’Orléans, veuve, et mondaine, consciente de son rang, veut le meilleur parti pour son fils unique. Elle ne veut pas l’unir à cette fille cadette, recluse, dont on ignore si elle pourra un jour donner naissance à un héritier ! C’est sans compter sur le caractère inflexible de Louis XI. 

Le résultat de cette alliance forcée est bien malheureux. Le jeune duc tiendra toujours rancune à sa jeune épouse des souffrances endurées. Ils ont deux caractères trop différents : elle, bonne, contemplative, charitable ; lui, mondain, aimant les plaisirs et les beaux vêtements, égoïste.

Non content de tenir à l’écart cette épouse si mal assortie, il complote contre la Couronne dès la mort de Louis XI, survenue en 1483. Il mènera la « Guerre Folle », soutenu par le duc de Bretagne et les Anglais, contre sa belle-sœur, Anne de Beaujeu, régente du jeune Charles VIII. Jeanne de France souffre de voir son époux devenir félon.

Il sera finalement vaincu et enfermé à la grosse tour de Bourges. Ici se verra la bonté de son épouse, le visitant régulièrement, un panier de douceurs à la main. Lui, dédaigneux au départ, se laissera toucher par cette affection si grande, qui l’étonne. Elle supplie sa sœur Anne et son jeune frère Charles VIII de le libérer, et, le vendredi Saint 1489, après deux ans seulement de captivité, elle obtient la libération du duc.

Les années suivantes sont plus joyeuses, car la bonne duchesse peut enfin retrouver sa famille au clair château d’Amboise. Le roi, Charles VIII, se marie avec Anne de Bretagne, alliant ainsi la Bretagne au royaume de France. Malheureusement, la mort successive des quatre enfants de Charles VIII apporte la tristesse, et enfin celle du roi lui-même vient définitivement marquer le changement qui va s’opérer pour Jeanne de France. Le duc d’Orléans est le successeur. Il décide aussitôt de faire rompre son mariage avec Jeanne de France, afin d’épouser la reine Anne de Bretagne. Il avait, de fait, signé un contrat avec le roi Charles VIII, stipulant qu’il aurait droit à ce mariage si le roi mourait sans héritier. Son cœur n’avait donc pas été touché par le dévouement et la fidélité sans faille de son épouse ?

La nullité de mariage accordée au roi Louis XII est un rude coup porté à la bonne duchesse. Tant d’efforts, de prières, d’amour, en vain ! Non pas, car il est certain que le règne de celui qui deviendra le « père du peuple » sera bon, de par les souffrances de celle qui l’aura accompagné pendant vingt-deux ans. Celle qui avait une âme d’enfant, pure et transparente comme une source. Celle qui avait reçu les paroles de la bienheureuse Vierge : « Un jour tu fonderas un ordre en mon honneur. »

Duchesse, fondatrice et mystique

La bonne reine Jeanne hérite du fief de Bourges et se consacre au soin des pauvres et des malades de son duché. Elle a le don de l’administration, comme son père.

Jeanne de Valois est une âme profondément mystique, elle reçoit des locutions intérieures, et des visions du Seigneur et la Vierge Marie. Cependant, elle reste très secrète sur ce qu’elle reçoit, car elle est très humble. Elle est édifiante de simplicité, de charité. Elle pratique aussi la mortification corporelle, comme son époque en a le goût.

Elle a pour confesseur le père Gilbert Nicolas, provincial de l’Ordre franciscain, connu sous le nom de frère Gabriel Maria. Il l’aidera à fonder l’Ordre de la Vierge Marie2.

Cet ordre est contemplatif et cloîtré, et il est affilié à l’Ordre franciscain, en raison de l’amitié de la sainte fondatrice avec son confesseur. La Règle s’appuie sur la dévotion aux dix vertus ou Plaisirs de la Sainte Vierge. Les religieuses doivent s’imprégner de ces vertus et les imiter. La Sainte Mère a en effet demandé à Sainte Jeanne de rechercher dans l’Évangile ce qui était écrit d’elle. Ainsi, chaque Vertu correspond à un épisode de la Vie de la Vierge Marie. La Pureté, la Prudence et l’Humilité sont dans l’Annonciation. La Louange et la Fidélité dans la Visitation. La Pauvreté à la crèche et l’Obéissance à la Présentation au Temple. La Patience au Temple dans la recherche de l’Enfant Jésus, la Charité aux noces de Cana et enfin la Compassion au pied de la Croix.

L’habit des moniales est composé d’une robe bleue pour l’humilité (qui deviendra ensuite grise), le scapulaire rouge pour le rappel de la Passion de Notre Seigneur et le voile noir pour la pénitence. Elles portent aussi une grosse médaille d’argent gravée d’une vierge à l’Enfant retenue par un ruban bleu.

Le père Gabriel-Maria compose la Règle et fait le voyage jusqu’à Rome pour la faire approuver. C’est chose faite, malgré les dangers du chemin, dont il est protégé grâce à la Règle, déjà porteuse de Grâces. Ainsi, le couvent peut se bâtir. Pendant les travaux, on recense quelques miracles, comme cet ouvrier qui, tombant dans un trou, reçoit une énorme pierre sur la tête, et en sort indemne. Les jeunes filles recrutées par la bonne duchesse sont toutes très pieuses et heureuses de se consacrer au bon Dieu.

Sa postérité

Jeanne de France deviendra elle-même Annonciade, sous le nom de Sœur Marie Gabrielle, en dévotion au mystère de l’Annonciation, très honoré par la famille royale3.

Sa mission est achevée. Jeanne de Valois, prise d’une grande faiblesse, s’alite. Elle reçoit les derniers sacrements, conseille une dernière fois ses filles. Son corps émet alors une vive lumière, pendant quelques instants. Elle rejoint son Époux céleste le 9 février 1505, à 41 ans.

Sur le passage de son cercueil, son jardinier, un brave homme perclus, la prie de le guérir : il est exaucé. La réputation de sainteté de la bonne duchesse grandit encore. Elle sera béatifiée en 1742 et canonisée en 1950 par Pie XII.

Son Ordre fleurit, comptant 50 monastères, jusqu’à la Révolution de 1789, où il disparaît comme la majorité des congrégations. Il revient au XIXe mais se fait chasser de France en 1905. Les Annonciades exilées en Angleterre reviennent en 1920. Aujourd’hui, l’Ordre compte 3 monastères en France, un en Pologne et un au Brésil. Aucun n’a résisté à la tempête conciliaire et ne s’est encore tourné vers la Tradition.

Sainte Jeanne de Valois est donc l’une des saintes majeures de la Maison Royale de France, et elle est la patronne des enfants handicapés.

Marie-Noëlle De Pasquale

 

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Pour aller plus loin :

1. Jeanne de France, amie de la Vierge, excellent livre de Claude Solhac. Auteur de romans jeunesse des années 50, elle écrit cette biographie romancée mais exacte de la sainte reine. Disponible en format PDF sur Google Books, ou au monastère de Thiais, sur commande. 
2. Jeanne de France vous parle de la Vierge Marie, par Mgr Ducaud Bourget, Chiré.

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1 Appelé communément ordre de l’Annonciade