Sainte Clotilde, première reine de France
Alors que l’idéologie féministe a considérablement dégradé le statut de la femme dans notre société depuis quelques décennies, tout en prétendant lui accorder plus de liberté et d’influence, il est bon de se tourner vers les racines de notre pays, de notre défunt royaume qui renaîtra un jour. Les images d’Épinal ne manquent pas sur notre passé, souvent forgées par les anticléricaux du XIXe siècle qui s’attachèrent à écrire une Histoire compatible avec la République. Ce n’était d’ailleurs pas si mal, comparé à l’incurie de l’enseignement historique actuel dans les écoles. Chaque élève bon citoyen avait au moins entendu parler de Clovis et du vase de Soissons. De grandes illustrations, assez sulpiciennes mais très pédagogiques, recouvraient les murs des salles de classe selon les leçons en cours. Ainsi pouvait-on nourrir son imagination et plonger dans les pages les plus glorieuses ou les plus tragiques de l’histoire de notre patrie terrestre. En revanche, si le nom de Clovis était connu, celui de Clotilde demeurait dans l’ombre. Il aurait été téméraire, pour un instituteur laïc, de parler du rôle de cette reine dans la conversion de son mari païen, et donc dans la conversion des Francs, dans le baptême de ce qui fut le noyau du royaume de France.
Pourtant, quelle figure étonnante, quelle force de caractère, quel courage apostolique, quel zèle pour le service de Dieu ! Elle se situe dans la lignée de toutes ces femmes qui, durant les premiers siècles, forgèrent un pan important du christianisme en étant à l’origine de la conversion de leurs époux et de leurs familles. Saint Paul avait écrit dans sa Première Épître aux Corinthiens : « La femme fidèle sera le salut de l’homme infidèle. » (VII.14) Femme fidèle à la foi catholique et homme infidèle parce que païen ou hérétique, telle fut la situation de nombreux couples de la première Église. Les épouses patriciennes romaines amenèrent les patriciens à la foi. Nombreuses furent celles qui versèrent leur sang, sans frémir, comme martyres. A l’époque de Clotilde, à la fin du Ve siècle, l’Église était en proie à une des pires hérésies qu’elle connut, à savoir l’arianisme qui s’était imposé presque partout. Quelques femmes qui devinrent reines participèrent activement à éradiquer cette erreur et à restaurer la foi catholique. Clotilde fut une des plus éminentes. Après avoir été les fers de lance de la conversion du monde romain, les femmes furent celles qui maintinrent l’orthodoxie en péril.
La conversion de Clovis a déplacé le centre de gravité de l’histoire de l’Occident car les autres rois barbares vont suivre cet exemple, ceci grâce au chemin que sainte Clotilde avait frayé patiemment. Ce sera une arrière-petite-fille de cette dernière, Berthe, qui conduira son mari, le roi Ethelbert de Kent, à la conversion, ouvrant ainsi la voie à saint Augustin de Cantorbéry et à ses moines évangélisateurs. La fille de ces souverains anglo-saxons, Ethelberge, amena à la foi son époux, le roi Edwin de Northumbrie et fut félicitée par le pape Boniface IV. Ce sera de même en Italie et en Espagne. La petite-fille de Clotilde, Clotsinde, épousa le roi Alboïn de Lombardie et le mena presque au baptême mais mourut prématurément. Plus tard, Théodelinde gagna l’affection des Lombards en épousant Authari, puis, à la mort de celui-ci, Agilulf qui menaçait Rome et qu’elle conduisit au Christ, fondant Monza, capitale des Lombards. Au même moment, Théodosie, femme du roi wisigoth arien Léovigild, éleva ses enfants dans la foi catholique, Herménégilde et Récarède. Le premier de ses fils mourut d’ailleurs martyr sous les coups des Ariens, soutenu par sa femme Ingonde, une autre arrière-petite-fille de sainte Clotilde. Son frère cadet monta sur le trône et embrassa le catholicisme, ce qui fit de l’Espagne une nation catholique.
Extraordinaire épopée de ces deux siècles, souvent regardés avec mépris car mal connus, alors qu’ils furent un temps de foi intense au sein de périls multiples, de basculement de l’empire romain morcelé, d’hérésies chrétiennes qui manquèrent remporter la palme. A la fin du VIe siècle, l’Occident était catholique, ceci grâce, essentiellement, à quelques femmes fidèles, petite troupe à la tête de laquelle marche Clotilde des Francs. Plus tard, au IXe siècle, le reste de l’Europe connaîtra une lumière identique, notamment avec Ludmilla en Bohême qui, au milieu d’un peuple païen et d’une famille hostile, réussit à éduquer chrétiennement celui qui deviendrait saint Wenceslas. Tous deux mourront martyrs, tués par les membres de leur propre famille, et leur sang nourrit la foi de leur royaume, jusqu’à ce jour, malgré toutes les vicissitudes de l’histoire. La Pologne suivit ensuite l’exemple de la Bohême. Dubrawa se convertit en 965 et entraîna son mari Miecislas dans la même foi. Demeuraient les Russes, derniers Barbares. Olga, la veuve du fameux Igor, reçut le baptême à Constantinople que son mari avait menacé. Son fils Sviatoslav demeura païen, malgré les adjurations de sa mère, mais son petit-fils Vladimir arbora enfin la Croix sur ses étendards et plongea son peuple dans les eaux du baptême.
De l’Occident à l’Orient, tout le continent européen est redevable aux reines, plus qu’aux rois, d’avoir accueilli le Christ comme Souverain Roi. Clotilde, fille des Burgondes, renversa l’arianisme et le paganisme en acceptant la main de Clovis attiré par sa beauté et sa réputation de sagesse. Cette simple princesse est à l’origine du monde tel qu’il fut ensuite, intangible, jusqu’à la Révolution, et tel qu’il demeure, en bien des aspects, jusqu’à aujourd’hui. Souvenons-nous du cri d’angoisse de Clovis sur le champ de bataille de Tolbiac en 496, alors qu’il était sur le point d’être écrasé par les germaniques Alamans, rivaux de la nation franque. Il avait toléré et respecté la foi catholique de Clotilde, accepté même le baptême de ses enfants, mais, jusque-là, il n’avait pu faire le pas de la foi. Et soudain, au seuil de la défaite, il s’écrie : « Jésus Christ, toi qui es, selon Clotilde, le Fils du Dieu vivant, secours-moi dans ma détresse, et, si tu me donnes la victoire, je croirai en toi et je me ferai baptiser. » Clovis fait appel au Dieu de Clotilde ! Immense preuve d’amour et de confiance qui se solde alors par un renversement de situation et par la déroute des Alamans et la mort de leur chef. Le triomphe de Clovis est aussi celui de Clotilde, et, par-dessus tout, du Dieu de Clotilde, le vrai Dieu de la Révélation, Père, Fils et Saint-Esprit. Lorsque le 25 décembre 496 Clovis reçoit le baptême à Reims, des mains de saint Remi, en compagnie de trois mille de ses plus fidèles soldats, Clotilde est présente dans le cortège baptismal selon les historiens, car son œuvre d’amour et de patience allait être couronnée.
Comme pour tous nos rois et nos reines, les révolutionnaires ne respectèrent pas la dépouille mortelle de leur première souveraine, de celle qui avait permis à la France d’être et de devenir un phare pour les nations. Morte à Tours, en odeur de sainteté, le corps de Clotilde avait été ramené en grande solennité à Paris. Après la disparition de Clovis, la reine avait dû faire face à des luttes fratricides parmi les siens, ses petits-enfants étant assassinés par leurs oncles. Elle passa ses dernières années dans la douleur, près du tombeau de saint Martin, priant pour ses fils dénaturés. Elle avait été l’amie et la confidente de sainte Geneviève, enterrée par privilège royal dans la crypte de la dynastie à l’église des Douze Apôtres du mont Lutèce. Là reposait déjà Clovis et les princes de sa maison. Les Parisiens commençaient à appeler ce mont et cette église : Sainte-Geneviève. Là va reposer Clothilde, auprès de son époux et de la sainte ermite de Nanterre. Elle va s’effacer au profit de Geneviève. Clovis et les siens deviennent, dans la mort, les hôtes de la sainte parisienne. Clotilde, la fille de rois, la reine, reposa aux côtés de la sainte qui était fille du peuple. Voilà une égalité qui ne pouvait pas plaire aux sans-culottes : ils violèrent les tombes de Clovis et de sa famille, réduisirent en cendres les corps. Heureusement, au IXe siècle, lors des invasions normandes, le corps de sainte Clothilde avait été transporté à Vivières afin de le protéger. A la fin des troubles, il fallut le rendre à Paris, mais les chanoines de Vivières purent conserver sa tête et un bras qui échappèrent miraculeusement à la fureur révolutionnaire. Depuis, ce petit village est le lieu d’un pèlerinage annuel qui continue d’honorer la première reine de France qui fut une sainte et qui est la mère de tous les Français baptisés dans la foi catholique, la mère de tous les Français même s’ils ne sont pas catholiques. La Révolution, malgré toutes ses profanations et son vandalisme n’a pas pu réduire à néant ce geste immortel qui demeure le fondement de notre pays si affaibli depuis plus de deux siècles. Sainte Clotilde continue d’intercéder. Elle n’oublie pas son royaume et les Francs infidèles que nous sommes.
P. Jean-François Thomas, s. j.