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Rites d’initiation, possession diabolique et sectes au Japon, par Paul de Lacvivier

Autour du chamanisme japonais à partir des deux sources suivantes :

Taro Wakamori, Yamabushi, rites d’entrée dans la montagne, mortifications et savoirs maléfiques (山伏 入峰・修行・呪法), Chuko Shinsho, 1999 (1964)

et Hitoshi Miyake, Shukendô – histoire et pratiques (修験道), Koudansha Gakujutsu bunko, 2018 (2001)1

 

Pourquoi parler de ce thème ? Car il nous permet :

– de faire le point sur ces sectes qui existent encore aujourd’hui, et se font passer pour des religions folkloriques, dont les « fidèles » passent surtout leur temps à se promener en montagne : il s’agira d’en dresser un rapide tour d’horizon historique.

– de remarquer l’aspect diabolique, souvent inconscient et en tout cas profondément ancré, des fausses religions païennes, en particulier chamaniques.

– de souligner ce qui est commun mais surtout fondamentalement différent des pratiques érémitiques chrétiennes.

– et enfin de confirmer la hauteur de vue des missionnaires sur le sujet qui, malgré quelques erreurs factuelles ou quelques confusions ont compris l’essence de ces pratiques, à la lumière des recherches les plus récentes.

Sources

Nous nous fondons sur deux ouvrages de références sur le sujet, qui se complètent bien, se confirment l’un l’autre, et comblent certaines lacunes que l’un ou l’autre peut avoir.

Le premier ouvrage de Wakamori de 1964 apporte un éclairage ethnologique et anthropologique appréciable, et il ne cache pas les parties des rituels quelque peu gênants pour la secte. Son défaut est de manquer d’ossature historique, et il a tendance à sauter d’un sujet à l’autre et d’une époque à l’autre, compliquant la lecture.

Le second ouvrage, plus méthodique, comble cette lacune et permet de bien clarifier l’histoire de la formation des sectes du Shugendô, toujours existantes aujourd’hui. Il s’attache aussi à décrire le rituel actuel (l’auteur est pratiquant), mais en édulcorant presque systématiquement l’aspect initiatique dur et les rituels de possession – du fait que la sécularisation semble avoir supprimer ces aspects après la modernisation, mais aussi par « réserve », étant lui-même pratiquant).

Rapide tour d’horizon de l’histoire de ces sectes de chamanes.

Le phénomène insulaire au Japon est d’autant plus intéressant qu’il reflète d’une part un chamanisme primitif ancien, et qui se retrouve ailleurs, puis qui va illustrer l’ajout dans l’histoire au gré des maléfices et des besoins des aspects bouddhiques, taoïstes et autres superstitions pour en faire un syncrétisme bizarre sans queue ni tête.

On ne connaît évidemment pas l’origine de cette religiosité, mais les ethnologues et anthropologues pensent que les chamanes de montagne ont toujours existé au Japon. Ils apparaissent toujours dans les sources historiques comme des praticiens érémitiques allant dans les montagnes, lieux sacrés et interdits au tout venant, où ils acquièrent des pouvoirs surnaturels et reviennent ensuite chez le commun des mortels. On leur demande de l’aide magique pour tous les besoins : faire la pluie, le beau temps, soigner, maudire, deviner l’avenir, parler aux esprits, etc.

Cette sacralité de la montagne explique aussi les coutumes d’abandon des vieux dans les montagnes, dont on trouve les traces dans de nombreux contes : c’était une sorte d’euthanasie douce pour le confort des vivants, mais rassurantes, car il est cru que le vieux va rejoindre les dieux dans la montagne : on envoyait le vieux dans le monde des esprits.

Wakamori explique que la religion originelle du Japon, si tant est qu’elle existe, était très chamanique, et a donné naissance au shinto actuel.

Précisons tout de suite un aspect important de la question : ces yamabushi (habitants de la montagne), encore appelés shugensha (ermites de la montagne) sont de ces personnages interlopes, indépendants, et donc souvent mal vu par les autorités car difficilement contrôlables. L’histoire de ces sectes, ou des ces magiciens, se résume en grande partie par les tentatives par l’État de les organiser et des les inclure dans les structures religieuses du pays. En même temps, les gouvernants les utilisent pour leurs besoins personnels, et les autorités religieuses, bouddhistes et ésotériques, sont au fond très proches dans le mode d’initiation et de conception magique de ces chamanes.

Les chamanes se considérèrent par exemple comme des vrais moines bouddhistes qui opèrent une vraie pratique magique et qui sont puissants, là où les moines des couvents, relâchés et intellectuels, n’ont plus de pouvoirs surnaturels. Inversement les moines des couvents officiels méprisaient ces chamanes, tout en en ayant peur, et se targuaient d’avoir la connaissance ésotérique, la gnose qui permet l’éveil, là où ces chamanes sont des ignares possédés.

C’est pourquoi ces magiciens érémitiques, mais aussi les moines bouddhiques, sont l’exemple parfait du syncrétisme qui garde des aspects de shintoïsme primitif et chamanique, en adoptant ensuite le vêtement doctrinal bouddhique, les titres et une certaine organisation bouddhique, ce qui donnera les sectes actuelles.

Mais revenons à nos ermites magiciens. Comment les définir, s’ils sont si fluctuant en fonction des époques, avec, pourrait-on dire, autant de chamanismes différents que de chamanes ?

Voici ce qui les rassemble : ils tirent leur puissance de la montagne et des exercices mortifiants qu’ils y font.

Le but de ces exercices est de se faire posséder par des esprits, pour utiliser leur pouvoir : tout est tourné pour que l’initié soit possédé par des esprits qui leur donne leurs pouvoirs.

Et ensuite user de ces pouvoirs, maléfices, prophéties au profit du mieux offrants. (W chap I et II)

Avant l’an mil, on ne sait pas trop leur mode de fonctionnement. On sait qu’ils étaient liés souvent à des prêtresses « shintôs », sortes de pythies japonaises, qui se faisaient posséder sous la direction du chamane pour permettre de converser avec les morts, les esprits, ou avoir des divinations (巫女、口寄せ). Nous touchons ici au rôle féminin dans la religion primitive et les sociétés matriarcales, qui produisent une violence importante (cf. Michel Rouche, la violence dans le haut Moyen-âge2). Pour connaître ce chamanisme primitif, les ethnologues en cherchent les traces dans les pratiques érémitiques existants encore aujourd’hui dans des régions reculées moins influencées par le bouddhisme.

Notons que le pouvoir de ces chamanes venaient du fait qu’ils bravaient la montagne sacrée en hiver, pour acquérir des pouvoirs, et étaient réputés pratiquer des mortifications très sévères. Nous retrouvons ce genre de fascination par le tout venant de ces mortifications et une certaine emprise sur les gens que donne cette « pureté » chez certains hérétiques de notre moyen-âge, comme les cathares, qui étaient réputés avoir des mortifications plus que difficiles, et étaient pour cela souvent respectées – que ces mortifications soient réelles ou alléguées.

Les légendes arrivent parfois à des exagérations complètement délirantes. Ainsi le moine Sôô (au 9e siècle) serait parti dans les montagnes à 15 ans. Pendant les 7 premières années qui suivent il aurait offert des fleurs tous les jours dans un oratoire sur la montagne, ce qui lui aurait valu l’octroi du titre de moine bouddhiste par l’institution religieuse officielle. Puis pendant les douze années suivantes il part définitivement comme ermite dans la montagne. Après avoir reçu de son maître l’initiation et le pouvoir d’invoquer quelques divinités bouddhiques, il marcha et marcha encore, pratiqua des mortifications terribles. Puis ensuite il vécu trois ans près d’une chute d’eau sans rien manger, et les pouvoirs acquis lui permirent, dit-on, de guérir les maladies de l’empereur et dune de ses maîtresses. De ses pérégrinations, auraient été inventé une méthode de mortification toute spéciale se présentant de la façon suivante : elle se nomme les 1000 jours de pèlerinage pendant sept ans au mont Hiesan. Les trois premières années, il s’agit de passer 100 jours par an dans la montagne. Il faut marcher de nuit exclusivement, et 30 kilomètres chaque nuit. La quatrième et la cinquième année on passe à 200 jours par an pour la même distance par nuit. La cinquième année, une fois arrivée à 700 jours de marche en tout, on passe 7 jours au sommet de ce mont dans un temple à observer un jeune sévère, sans boire, sans dormir, sans s’allonger, sans se reposer, à réciter en continu des formules magiques, chaque jour 100 mille fois. Ensuite la sixième année il faut marcher seulement 100 nuits, mais 60 kilomètres au lieu de 30 par étape, puis la septième année, 200 nuits 60 kilomètres. Ensuite, il s’agit de faire cette fois-ci 9 jours de jeûne complet, sans rien absorber, puis de brûler 700 bâtons d’encens. On devient alors enfin super grand maître, et on peut aller invoquer les esprits pour la préservation de l’empereur… (M p.37)

Ces chamanes incluent les pratiques magiques taoïstes puis les pratiques ésotériques bouddhiques, très en vogue entre le 8e et le 12e à la Cour.

Ensuite durant le moyen-âge ils vont s’organiser en guildes, et ils seront nominalement intégrés peu à peu à l’époque moderne dans les grandes sectes bouddhiques ésotériques du Tendai et du Mikkyo, après leur implication dans les guerres intestines (ils étaient une force militaire non négligeables, et avaient aussi des missions d’espionnage ou de messagers, car ils étaient gyrovagues et donc tout disposés à ce genre de missions).

Ces guildes seront rivales d’ailleurs, faisant le même pèlerinage à l’envers (本山派、当山派) dans les montagnes de Yoshino, dans le Kansai, vers la péninsule d’Ise. Le dit « shintô » et les sanctuaires du Kumamoto et les temples de cette région sont tous liés peu ou prou à ces pratiques chamaniques et à ces rites dans les montagnes (la séparation ne s’est faite qu’à la fin du 19e siècle de façon tout à fait artificiel pour cette religiosité précise dans cette région du Japon). Il existe d’autres sectes plus mineures, qui s’organisent autour des montagnes sacrées particulières de telle ou telle région. A noter que le mont Fuji n’attira pas les chamanes avant l’ère Edo… dont le gouvernement militaire fit de ce mont « le » mont symbole de son pouvoir, et donc du Japon (et donc parler du Mont Fuji comme emblématique du Japon est récent).

C’est donc entre le 12e et 14e siècle que l’aspect actuel de ce chamanisme « bouddhisé » prend forme. C’est encore à ce moment que sont inventées les légendes autour de la fondation avec le fameux Ennogyosha(役行者), personnage du 7e siècle qui a existé, qui avait des pratiques chamaniques, mais qui n’est pas le fondateur du chamanisme bouddhisé – tous les chercheurs sont d’accord. Ci-dessous sa statue secrete révélée une fois toutes les lustres au publique, qui se trouve au temple phare de ce chamanisme et où se déroule un certain nombre de rites d’initiations, dont certain devant le démon de droite et l’autre le démon de gauche…

L’initiation permettait de contrôlait ces démons, de les envoyer en mission, voire de se transporter dans les airs. (M p.35)

Il ne manquerait plus que le balais et on aurait nos sorciers…

Les délires d’invention vont loin : certaines légendes font de ce fondateur la sixième réincarnation de grands chamanes qui a chaque vie acquiert des nouveaux pouvoirs…(M p.49)

    

Ce chamanisme sera interdit par le gouvernement de Meiji à l’ouverture du pays, car trop magique et trop chamanique pour être moderne : de nombreux chamanes sont devenus soit officiellement moines bouddhiques, soit sacrificateurs shintôs… Les deux grandes guildes historiques se sont fait tolérées comme branche des deux sectes bouddhiques majeures…en continuant la pratique sans trop s’afficher.

Ils reprirent leur indépendance après guerre dans des associations religieuses autonomes.

Le rituel et les pratiques d’initiation

Tous ces rituels sont censés être secrets et transmis directement par les esprits et entre initiés.

Il leur fallut pourtant bien écrire des traités rituels et nous avons donc pas mal de traces, sans compter les écrits des missionnaires corroborés par les pratiques actuelles.

Les chamanes en question sont tout à fait bouddhisés intellectuellement et dans leur univers mental. Après, tout esprit est bon à appeler : pas de limites chez les démons, et on prend les divinités à tous les panthéons disponibles, qu’ils soient indiens, chinois, shintos ou bouddhiques.

L’essentiel de l’initiation se faisait par des longues séances en montagne entre maîtres et initiés. (W chap IV, M chap II et III)

Remarquons tout de suite que les différentes vexations auxquelles sont soumis les néophytes ne sont pas subies par les maîtres : seuls les nouveaux doivent s’entraîner. Ceux qui ont déjà le pouvoir l’ont déjà.

Il s’agit d’abord de se purifier. Pour cela, en montagne, les néophytes doivent aller puiser de l’eau glacée et rassembler du petit bois sous la verge des maîtres et leur insultes répétées et ritualisées.

Ensuite les néophytes inspectent le petit bois branche par branche : pour cela ils s’en fouettent fortement, afin de sentir les douleurs de l’enfer (et que cela le décourage à accumuler du mauvais karma). Ce rituel, adouci à l’époque moderne, avait aussi la fonction de mettre en place le lieu de l’initiation. Il y avait ensuite des jeûnes de nourriture et de d’eau, de longueurs variables, et complets : c’était aussi pour sentir encore les douleurs de l’enfer des démons affamés.

Car l’initiation consistait à « expérimenter » les 10 plans de l’existence bouddhique, dont six sont plus ou moins des enfers. Il y avait une confession publique devant tout le monde, et le confessant posé au bord d’un précipice : si ses réponses ne convenaient pas, il était précipité dans le vide.

Une autre épreuve consistait à être attaché par les mains à une corde, et à attacher une pierre à ses jambes. Les bons maîtres vous envoyaient ensuite dans le vide : si la corde lâchait, cela signifiait que votre karma, bien trop lourd, vous rendait inapte à l’initiation, si la corde tenait, et que vous ne tombiez pas dans le vide, c’est que c’était bon. Ensuite le jeûne d’eau, ensuite l’immersion dans l’eau, ensuite la lutte de sumo (qui primitivement était une sorte d’ordalie : le gagnant indiquait qui les dieux favorisaient, ou donnaient une réponse à une question binaire), des danses de longévité, le rite précédent cité de fouettage, le jeûne de nourriture et enfin le rite d’initiation lui-même, le kanjô (灌頂), rite général d’initiation dans le bouddhisme ésotérique.

Évidemment, le rite d’initiation lui-même, mais aussi tous les rites majeurs se font la nuit. Le jour ne semble pas se prêter au secret et aux possessions.

Il s’agit par ce bizutage consenti, et ces vexations parfois entraînant la mort, de bien introduire le néaophyte dans la secte et qu’il n’en ressorte plus.

Les pressions psychologiques, les menaces physiques (comme lors de la confession, les insultes, etc) sont vérifiés dans des « règlements » d’initiés qui forcent au secret de tout ce qui se fait dans la secte.

Notons ici à quel point la pratique est à l’opposé des pratiques monastiques chrétiennes : chez les chrétiens, les exercices spirituels, s’ils sont menés par des maîtres, sont pratiqués par tous. Il ne s’agit pas d’acquérir des pouvoirs et de devenir spécial mais de mieux s’unir à Dieu. Il ne s’agit pas de subir des mortifications inhumaines – ce que l’Église a toujours condamné fermement d’ailleurs- mais de viser à la modération et la constance dans la sainteté. Et s’il y a des prières la nuit, ce n’est pas le centre des rituels, qui se font le jour, là où règne la lumière et la vérité…

Nous sommes ainsi avec ces chamanes dans une inversion des valeurs chrétiennes dans les symboles et les pratiques… comme si le démon savait inspirer sous tous les horizons des mêmes réflexes, là même où le christianisme n’est pourtant pas connu.

Mais revenons à l’initiation. Nous ne la re décrirons pas spécialement, et nous vous invitons à vous reporter à l’article décrivant l’initiation des enfants3.

La structure est là même : le grand maître donne ses secrets au néophyte.

Précisons qu’ici l’entrée dans la salle du rituel se fait les yeux bandés, et que certains sous-rites se font aussi les yeux bandés…

Mais bon, après de si graves mortifications, il faut savoir savourer les pouvoirs acquis : on descend de la montagne et la visite de la maison de passe, si elle n’est pas liturgique, et tout à fait coutumière et vérifiée… Il s’agit d’être mortifié, mais pas tout le temps…

Tout cela est, normalement, aujourd’hui édulcoré, et ces rites chamaniques survivent en se faisant passer pour de la culture et du folklore : épreuves de forces pour soulever de gros mochis, déguisement en grenouille, danses folklos, promenades en montagne… Mais disons que personne ne va enquêter, donc qui sait…

Le rituel selon un jésuite français.

Le Père Charlevoix, français du 18e siècle, a commis une histoire du Japon en synthétisant ce qui existait à l’époque de publications par les missionnaires étant allé au Japon. Et dans le tome 1, nous trouvons une description de ces yamabushis. Je mets ici la citation in extenso, le lecteur pourra juger que malgré les inexactitudes, c’est grosso modo exact et décrivant la situation au 16e siècle et sous l’ère Edo (les deux étant parfois mélangés). Nous avons gardé la graphie d’origine et son orthographe. Le père Charlevoix aurait tendance à projeter les organisations monastiques chrétiennes, ce qui est beaucoup d’honneurs pour ces sectes chamaniques…

Il tout à fait intéressant de constater certains rites superstitieux, qui sont issus d’une pure observation ethnographique.

Tome I p. 192-198 « Ceux qui amusent ordinairement les Pèlerins de pareils contes, sont les JAMMABUS, qui forme une espèce de Congrégation Laïque, & Militaire de l’ancienne Religion. Leur nom signifie proprement Soldat de Montagne & suivant les règles de leur institution , ils sont obligés en cas de besoin de combattre pour le service des CAMIS, et pour la conservation de leur culte. Ils mènent la vie Erémitique, font Profession de vivre très duremrent,voyageant sans cesse dans les Montagnes consacrées à quelque Divinité, & se baignant souvent dans l’eau froide, même au coeur de l’Hyver. Il y a dit-on, onze à douze cents ans, qu’un certain GIENNO GIOSSA, dont on ignoroit la Famille, institua cet Ordre; et ne fit lui-même autre chose pendant toute sa vie, que parcourir les déserts les plus sauvages ; & par-là il fit des découvertes, qui ont été dans la suite d’une grande utilité.

Les JAMMABUS sont divisez en deux Congrégations , dont la différence la plus marquée consiste en ce qu’ils ne font pas le même pèlerinage, que tous sont obligez de faire une fois l’Année, outre celui d’Ixo (Ise). Le terme de l’un est une Montagne de la Province de BUYGEN, vers les confins. de CHICUGEN, deux provinces du XIMO (Kyushu). Cette Montagne est très haute, fort escarpée & environnée de précipices. Les autres vont en dévotion au Tombeau de leur Fondateur dans la Province de JOTSIINO (Yoshino), au sommet d’une autre Montagne, n’est ni moins difficile , ni moins dangereuse, que la permière ; elle est même beaucoup plus haute, & il y fait en tout tems un froid excessif. Au retour de ces voyages, les uns et les autres vont rendre visite à leur général, qui réside à MEÀÇO (Kyoto). Chaque Congrégation a le sien, auquel chacun de ses Inférieurs doit dans ces occasions faire un présent. Ordinairement ce présent est récompensé d’un nouveau titre, dont on porte la marque sur son habit. A l’extérieur, on les prendroit pour de simples Soldats ; ils ont néanmoins quelques traits distinctifs, parmi lesquels sont des espèces de Chapelets, dont les grains sont raboteux, & dont ils se servent a peu près comme nous faisons des nôtres; mais leurs Statuts n’en parlent point: ainsi il faut qu’ils soient d’une invention plus moderne, que leur institut, qu’ils ont d’ailleurs fort altéré, en y mêlant même des Pratiques de la Religion des Hotoques (bouddhisme). Le P. Louis FROES dit qu’ils ont je ne sçai quelle toupe de couleur blanche, qui leur pend au col, & qu’ils portent de petits Chapeaux, qui ne leur couvrent, que le haut de la Tête; mais il y a de l’apparence qu’ils n’en usent que dans leurs Voyages. Ils font mariez, & il paroît que leurs Enfans embrassent tous le même genre de vie que leurs Pères (NdA C’est vrai).

Mais ce qui les rend plus considérables & ce qui est la principale source des richesses, que plusieurs d’entr’eux amassent ; c’est qu’ils se sont donné la réputation d’être fort versez dans la Science Magique. Le Peuple ne doute point, qu’ils ne puissent conjurer & chasser tous les malins Esprits , pénétrer toutes fortes de secrets, retrouver ce qu’on a perdu, découvrir les Voleurs, prédire l’avenir, expliquer les songes, guérir les maladies désèspérées, faire connoître si les Personnes accusées font criminelles, ou non, &  commander par leurs charmes à tous les Dieux du Japon. On croit encore que leurs prières sont efficaces; soit en bien, soit en mal, & on ces achette fort cher, selon le besoin qu’on a, & l’usage qu’on en veut faire. Ce qui est certain, c’est qu’à les voir, on les prendroit d’abord pour de vrais Sorciers : car ils ont toujours les Cheveux hérissez , comme s’ils sortoient de dessus le Trépied.

On assûre, qu’un des moyens, dont ils se sèrvent le plus ordinairement pour connoître ce qu’ils veulent savoir, c’est de faire entrer un Démon dans le corps d’un Enfant, qu’ils interrogent ensuite sur tous les Points, sur lesquels on les consulte4. Leur maniére d’opérer sur les Malades est assez singuliere ; ils commencent par s’informer fort exactement de l’état ou ils se trouvent & de tout ce qui s’est passé depuis qu’ils ont ressenti les preimières atteintes du mal; ils examinent ensuite leur tempérament; après quoi ils tracent sur un morceau de Papier des caractères, qui ont un rapport particulier avec la nature de la maladie, & la constitution du Malade. Cela fait, ils posent le Papier sur un Autel, devant quelques Idoles, par la puissance desquelles ils font profession d’agir; ils font ensuite plusieurs grimaces, pour communiquer à ce Papier la vertu de rendre la santé au Malade ; puis ils en forment des Pillules, qu’ils lui ordonnent d’avaler tous les matins avec un grand Verre d’eau d’une Riviere , ou d’une fontaine, qu’ils lui nomment, en se tournant vers un des coins du Monde, qu’ils lui marquent aussi.

Les épreuves pour connoître, si les Persornnes accuisés sont innocentes, ou coupables; se font en présence d’une Idole nommée FUDO qui est représentée assise & au milieu des feux & des flammes, mais jamais en public, & toujours dans les Maisons où le crime a été commis, & en présence des Domestiques. D’abord le Magicien n’employe que de simples conjurations, en proférant certaines paroles inintelligibles. Si ce moyen ne suffit pas, il a recours à l’épreuve du feu, qui consiste à faire passer trois fois l’Accusé sur un Feu de Charbon: de la longueur d’une brasse ; s’il passe sans se brûler la plante des pieds, il est renvoyé absous, sinon, il est censé Criminel; mais un secret plus infaillible encore, dit-on , pour obliger le coupable d’avouer son crime, est de lui faire avaler un Papier rempli de caractères, & de representations d’Oiseaux noirs, comme de Corbeaux ; & cacheté avec le cachet du JAMMABUS ; on nomme ce Papier Goas; & comme les plus estimez viennent de KHUMANO, on les nomme Goos KHUMANOS5; l’Accusé doit avaler un morceau de ce Papier dans un verre d’eau & l’on assure que, s’il est coupable, il souffre beaucoup, jusqu’à ce qu’il ait tout confessé. On colle aussi de ces Goos sur les Portes des Maisons , pour les préserver des Esprits malins, & ils fervent encore à plusieurs autres usages superstitieux.

Les JAMMABUS ont une infinité dautres charmes, par le moyen desquels ils font des choses fort surprenantes; maisil y a sans doute en tout cela plus de charlatanerie & d’adresse, que de véritable sorcellerie. Il est constant qu’ils en font beaucoup de mystere & que quand ils y veulent initier leurs Prosélytes, c’est sous les plus effroyables ferments de n’en jamais rien révéler à personne. Cette initiation doit être précédée d’un Noviciat reèsq rude, il commence par une Retraite de deux mois sur le sommet d’une haute Montagne; & pendant cette Retraite, on ne donne à manger aux Candidats, qu’une fois tous les six jours, & jamais que du ris & des herbes ; on les oblige aussi à se baigner tous les jours dans l’eau froide, à se tenir long-tems dans une posture très gênante, à se prosterner sept cents quatre-vingt fois par jour, ce qui les fatigue à un point qu’on ne peut croire. Lorsque par leur constance à soutenir ces épreuves, ils ont mérité que le Diable sa fasse voir à eux, ils font jugez dignes de l’institut, & on les y admet sans difficulté.

On ne manque jamais de rencontrer des JAMMABUS dans le voisinage des plus célèbres MIAS ; & ils demandent ordinairement l’aumône au nom du Dieu qu’on y adore; ils en relèvent la sainteté & les miracles d’une Voix forte & d’un ton assûré, qu’ils accompagnent d’un bruit allez désagréable de je ne sçai quel Instrument qu’ils portent, & d’une Trompette faite en forme de Coquille. Ils élévent leurs Enfans dans cette vie vagabonde, & pour cet effet, ils les menent avec eux, & vêtus comme eux; à cela près, qu’ils leur rasent la tête au lieu qu’eux se laissent croître les cheveux. Ces petits Mandians sont fort importuns & fort incommodes aux Voyageurs , qu’ils vont attendre sur le penchant des collines & dans les Passages étroitset rudes, où il est difficile de se débarrasser d’eux sans donner quelque chose. »

Pour finir en conclusion une r eprésentation de ces chamanes por tant le sabre : chaque élément est réputé avoir un pouvoir magique, et signifier qu’ils sont possédés, en particulier les pompons.

Paul de Lacvivier

Doctorant en histoire, université Kokugakuin

1Nous ferons référence dans le texte à ces deux ouvrages de la façon suivante : (W chap XX) pour Wakamori, et (M chap XX) pour Miyake.

4Cf le rite d’intiation des enfants… On ne peut s’empêcher de penser qu’il existe un lien. Ce serait logique : on invoque un démon pour qu’il possède un enfant et on le fait parler. C’est la même logique de possession pour s’approprier les forces surnaturelles.

5熊野牛王符. Ces sortilèges célèbres existent encore, et on les voit souvent sur les temples et les portes ici et là.

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