Moi, Charles X de Bourbon, Roi de France et Cardinal de Rouen
Lorsque meurt subitement en 1589 à l’âge de 29 ans François d’Alençon, éphémère roi des Pays-bas espagnols, son frère Henri III de Valois se retrouve alors sans héritier. Le Roi de France n’a pas d’enfant et il est fort improbable qu’il en ait un jour. Depuis la mort de son frère Charles IX, le duc d’Anjou est le souverain d’un royaume qui connaît depuis 1562 une violente guerre de religion opposant catholiques et protestants. De cabales en traités de paix signés, de mariages en trèves rompues, rien ne semble alors réconcilier les partisans des deux religions.
La France est divisée depuis que Martin Luther s’est opposé en 1517 à l’indulgence décrétée par le Pape Léon X pour la construction de la Basilique Saint-Pierre. En échange d’argent, les pénitents obtenaient en retour l’absolution de leurs péchés. Ulcéré, le théologien avait édité 95 thèses qui dénonçaient la corruption au sein de l’Eglise romaine et les dogmes en vigueur. L’affaire rendue publique allait enflammer l’Europe. La Réforme vient de naître, c’est un nouveau schisme dans le monde chrétien. Calvinistes, huguenots, protestants, ainsi sont-ils différement appelés par les catholiques. Les tensions vont s’accroître entre les deux communautés et dégénérer en guerre civile. C’est toute l’Europe qui s’embrase !
La mort de l’héritier au trône de France ouvre une voie royale au prince Henri de Navarre, fils de la Reine réformée Jeanne III d’Albret et du prince Antoine de Bourbon. Pour les catholiques, un protestant parjure ne saurait devenir le prochain souverain de France. Réunis au sein de la Sainte Ligue, les ultra catholiques se voulaient les défenseurs de l’Eglise catholique romaine, de la monarchie et des Etats généraux. Mais la prise de contrôle de la Ligue par le Roi Henri III en décembre 1576 et les compromissions faîtes aux protestants, finissent par radicaliser le mouvement qui conduit à sa tête le duc Henri de Guise en 1584.
Issus d’une branche cadette de la Maison de Lorraine, les Guises avaient atteint l’apogée de leur puissance sous le règne d’Henri II (1547-1559). Jamais cadets ne furent aussi proches du trône. Marie de Guise, tante d’Henri, épousera le Roi Jacques V d’Ecosse et leur fille Marie convolera à son tour avec François II de France. Henri de Guise, surnommé le balafré, est auréolé de ses victoires militaires contre les protestants qu’il hait. Son père ayant été la victime d’une de leurs dagues. Lors de la Saint Barthélémy le 24 août 1572, il conduit ses troupes dans Paris et ordonne le massacre des huguenots alors présents dans la capitale pour le mariage de réconciliation entre Henri de Navarre et Margerite de Valois dont le duc de Guise fut un amoureux transi. Il venait alors d’atteindre ses lettres de noblesse parmi les plus ultras des catholiques. A la cour de France, il se fait le porte-parole de la morale et demande l’expulsion du palais de ces mignons qui entourent le duc d’Anjou, Henri de Valois.
Henri III se révèle vite incapable d’assurer la sécurité du pays et d’affirmer son autorité. Pour les ultras, le Roi de France a perdu toute légitimité. Les Guises exigent la fin des édits de tolérance. Sans armée, sans argent, menacé par une ligue dont il ignora longtemps la capacité militaire (tant la police royale était acquise aux Guises), le Roi signe le traité de Nemours qui interdit le protestantisme en France. Dans l’ombre du balafré, le cardinal Charles de Bourbon, neveu d’Henri de Navarre, se posant en protecteur de l’Eglise, affirmait être meilleur défenseur de la foi que le Roi lui-même, désormais prisonnier à Paris des Ligueurs. La province était plus agitée. Lyon tombait aux mains des ultras catholiques, Marseille et Bordeaux résistaient, Nantes et Rennes avaient rejoint la Ligue du duc de Mercoeur qui esperait bien se faire couronner duc souverain de Bretagne, la Navarre s’armait. La guerre civile faisait rage dans tout le royaume de France, celle des 3 Henri.
Ambitieux, Henri de Guise ne cachait pas ses ambitions royales ni sa sœur, la duchesse de Montpensier, la haine que lui inspirait le Roi de France aux mœurs discutables et peu catholiques… Descendants des carolingiens, ils estimaient que les Valois n’étaient que des usurpateurs. Au trône de France, il fallait un souverain habile, Guise ne souhaitait pas abattre ses cartes. Son choix se porte rapidement sur le Cardinal et archevèque de Rouen, Charles de Bourbon, ni plus ni moins que l’oncle d’Henri de Navarre. Ce prince de l’Eglise devient le porte-parole de la Sainte Ligue, un pion sur l’échiquier des Guise tant le personnage a la réputation d’être pataud. C’est lui qui avait mené les négociations entre son neveu et Catherine de Médicis afin de le ramerner dans le giron de la foi catholique espérant s’attirer les faveurs de la Reine qui se méfiait nénamoins de ce Bourbon. Bien qu’elle ne se privât pas de l’utiliser à ses propres fins politiques.
Le duc de Guise approche le Roi Philippe II d’Espagne et signe secrétement le traité de Joinville, le 31 décembre 1584. L’Espagne va désormais financer la Sainte Ligue qui choisit son Roi, Charles de Bourbon, en vertu de la loi salique qui excluait de facto les protestants du trône. Et c’est un cardinal bien penaud qui reçoit ses partisans. Guise en signant ce document restitue la ville de Cambrai aux espagnols. Couvert de dettes, le nouveau champion de la foi catholique accueille écus et armes avec bienveillance. La mort de Marie Stuart (1587) donne aux ligueurs l’occasion de démontrer ce qu’il adviendrait de la France en cas de montée sur le trône d’un protestant. La guerre piétine, Henri de Valois a l’avantage des armes, Henri de Guise celui de la faveur populaire notamment à Paris qui en mai 1588 va se couvrir de barricades et se soulever contre l’autorité royale. On y crie « vive de Guise, vive Charles X ». A défaut d’une couronne de France, le lorrain doit se contenter de celle de Paris. Avec la prise de l’arsenal et de l’hôtel de ville, Henri III doit quitter son palais du Louvres vers Rambouillet abandonnant mère et épouse. Pourtant Henri de Guise n’exploite pas sa victoire. Craignant d’être dépassé par les plus extrêmes de ses partisans, Guise envoie des médiateurs auprès d’Henri III, réfugié à Rouen. Le 15 juillet 1588, c’est l’acte d’Union qui nomme Henri de Guise Lieutenant-général de France, autrement dit régent d’un royaume dont le souverain est toujours en place. Le cardinal de Bourbon est un Roi sans trône, manipulé par les uns et les autres, mais dont les pièces à son effigie ornée d’une couronne circulent dans tout le royaume avec l’inscription « Carolus X Franc Rex ».
En acceptant la convocation des états –généraux, Henri de Valois tente de reprendre l’initiative. Les protestants boycotteront la cérémonie, Henri de Navarre craignant un nouveau massacre, les Ligueurs obtenant la majeure partie des postes-clefs. Cependant l’échec de l’Armada de Philippe II devant les côtes de l’Angleterre fait perdre à Guise un précieux soutien.
Henri III, Roi de France, va reprendre le pouvoir de sa majesté. Après une dispute orageuse avec son rival, le Valois décide de s’en débarrasser. Sous le prétexte de la réunion du conseil, Guise est convoqué au château de Blois le 23 décembre 1588… Quelques heures plus tard, Henri III venait contempler le corps de son rival, lardé de coups de poignards. Dans la journée qui suivit, les membres de la famille de Lorraine furent arrêtés y compris le Roi Charles X dans sa robe cardinale décorée du collier du Saint-Esprit. Le cardinal de Guise, frère du balafré , fut à son tour assassiné le lendemain. Un crime qui provoqua la fureur de Rome et le soulèvement de Paris contre cette « tyrannie ». Charles (II) de Lorraine, frère cadet d’Henri de Guise et duc de Mayenne, qui a échappé à l’arrestation, prend alors la tête de la ligue, se proclame Lieutenant-général de l’état royal et de la couronne de France, signe la déchéance d’Henri III et reconnaît le cardinal de Bourbon comme souverain. Les grandes villes étant acquises à la Ligue catholique, Henri III dut se résoudre à faire la paix avec Henri de Navarre. Dans les églises, on battait le tocsin de la révolte et dans les prêches, le Valois était nommé comme l’antéchrist. Sous la croix, les poignards, les moines exaltés réclamaient le sang du dernier membre de cette famille. Et c’est justement l’un d’entre eux, Jacques Clément, qui plongea à son tour son couteau dans le corps du Roi de France qui meurt dans la nuit du 1er au 2 août 1589. La couronne passa alors dans les mains d’Henri IV de Bourbon, toujours protestant.
La guerre se prolongea avec l’intervention de l’Espagne qui espérait bien faire couronner l’infante Isabelle, petite-fille d’Henri II. Charles de Mayenne finit par déposer les armes fin 1595. Henri IV avait abjuré sa religion, s’était fait baptiser, proclama l’édit de Nantes qui confirmait la liberté de religion avant finalement de tomber quelques années plus tard, en 1610, sous les coups d’un autre ultra-catholique. La Ligue qui avait fait régner la terreur à Paris en arrêtant les royalistes et qui avait armé son clergé, perdra le soutien de la ville après un trop grand nombre d’exécutions. Son esprit ne disparaît pas pour autant et, bien vite sous la monarchie des Bourbon, elle est remplacée par le parti dévot. Arrêté depuis 9 mois et sous bonne garde protestante, Charles X finit par reconnaître Henri IV depuis sa cellule de la prison de Fontenay-Le-Comte, où il meurt le 9 mai 1590, abandonné.
Sur sa dalle funéraire, on peut toujours lire : « Charles de Bourbon, archevêque de Rouen et roi de la Ligue ».
Frédéric de Natal
Sources : Henri III, les Rois qui ont fait la France par Georges Bordonove (1988)
Histoire de France, les Guerres de religion, Edition Larousse, (1988)
Un excellent article. Le cas de “Charles X” pose un problème dynastique : si l’on maintient que le Roi ne meurt jamais et que la couronne ne saurait échoir qu’à un catholique, alors le cardinal de Bourbon était bel et bien roi à la mort de Henri III. Pourtant, l’on passa outre, Henri IV devint roi de France (en imposant le blanc des Huguenots comme couleur royale soit dit en passant) et plus tard, le comte d’Artois prit le nom de Charles X, comme si de rien n’était.