Histoire

Les illégitimes de la Légitimité

Incarnant les principes de la légitimité catholique et traditionnelle et portant fièrement la bannière du Christ-Roi, les différents princes Bourbons s’illustreront tous, dans leur jeunesse, que ce soit en exil ou sur les champs de batailles carlistes. En ces différentes époques troublées, leurs costumes rutilants et chamarrés attiraient nombre de femmes portant mantilles et chapelets. Bien peu d’entre eux alors résistèrent aux charmes locaux. Entre vérités et suspicions, voici 4 différents portraits de ces illégitimes de la légitimité.

Quelques soient les monarchies, les rois, empereurs ou autres princes régnants d’Europe, la légitimité dynastique a toujours  eu des enfants issus de relations cachées, inégales, au détour d’un couloir. Certains furent légitimés, d’autres ignorés par leurs pères présumés mais tous assurément nés de leur main gauche. Louis XIV,  qui comme son grand-père appréciait les courbes du beau sexe et à qui on devra ces quelques rejetons illustres que l’histoire retiendra sous les noms de ducs de Vendôme,  comte de Vermandois, de Toulouse ou encore duc du Maine, tenta de réformer cette incongruité. En vain d’ailleurs ! A sa mort, en septembre 1715,  le parlement de Paris se dépêcha de modifier le testament du Roi-soleil qui légitimait ses bâtards, aptes à devenir Rois de France au cas où le jeune Louis XV, de santé fragile, n‘aurait pas survécu.  Manigances  avérées du duc Philippe  II d’Orléans, courroucé d’avoir été écarté de ce trône qu’il lorgnait et dont il reçut finalement la charge de Régent jusqu’à la majorité du roi.

Si Louis XV ne fut pas sans certains reproches, les trois derniers  frères régnants Bourbons eurent chacun une vision très personnelle de la monogamie. Louis XVI demeura fidèle à son épouse Marie-Antoinette au contraire de Louis XVIII  qui la dédaigna et se vantait de multiplier les aventures féminines. Ce, afin de noyer les rumeurs qui affirmaient qu’il était atteint de ce fameux « vice italien » que l’on trouvait chez ces quelques princes de la maison royale. Charles X fut incontestablement le plus infidèle à son épouse savoyarde mais n’eut pas d’enfants adultérins pour autant.  Du fils de Charles X dont le destin fut tragique, l’histoire dynastique n’a retenu que les naissances  officielles de Louise d’Artois et Henri, futur comte de Chambord. Pourtant d’autres revendiquèrent ouvertement leur filiation avec le duc de Berry, Charles-Ferdinand de Bourbon.

Alors qu’il est en exil à Londres, le jeune duc de Berry rencontre Amy Brown. Elle a 21 ans et la beauté de sa jeunesse. Entre la fille d’un pasteur anglican et un prince de France se noue alors une tendre relation dont on ne saura peu de choses au final. D’autant que la jeune fille fréquente un autre homme, John Freeman, qu’elle finira par épouser en 1809. Mais c’est ici que le mystère de cette filiation trouve ses racines. Des sources affirment que le prince aurait épousé secrètement Amy Brown en 1806 et aurait eu deux filles, Charlotte et Louise. Mais aucun texte ni acte de mariage ne semble valider ces épousailles que seul le père de la mariée aurait célébré. D’autant que miss Brown était déjà mère d’un garçon (et néanmoins déjà 3ème enfant), né en 1804, portant le même prénom que son futur époux. De quoi jeter un autre trouble sur ce qui va suivre.  Revenu en France en 1814, à la chute du Premier empire, Charles–Ferdinand occupe la position d’héritier au trône  qu’un coup de poignard va achever le 14 février 1820. Sur son lit de mort, le duc de Berry exige de voir Amy Brown et ses deux filles, chargeant son épouse (depuis 1816), Marie-Caroline de Bourbon-Siciles de s’occuper de leur éducation. Bigame le duc de Berry ? Non car selon les mêmes sources qui prétendent à la véracité du mariage, un divorce aurait été également prononcé au début de la première restauration. Forte de cette reconnaissance alors que le duc de Berry agonisait, Amy Brown se réfugie au Château de la Contrie  où elle y meurt le 7 mai 1876.

L’histoire est loin de s’arrêter ici. Ainsi légitimées, ses filles feront de grands mariages. Charlotte (1808-1886) épouse Ferdinand de Faucigny-Lucinge et Louise de Bourbon (1809-1891), quant à elle, le baron Charles de Charette de La Contrie. Et de compter dans leurs descendances, pour la première, le prince Jean de Broglie (1921-1976) ou encore Anne-Aymone Giscard d’Estaing et pour la seconde, l’ancien ministre Hervé de Charrette. Mais tous les Freeman ne furent pas concernés par cette reconnaissance. John William Freeman (1902-1968), petit-fils de John Freeman, décide en 1945 de porter l’affaire devant les tribunaux de justice. La seconde guerre mondiale se terminant et peu regardant, le tribunal de Thonon lui accordera le droit de porter le patronyme de Bourbon. Coup de théâtre quand le 1er juillet  1952, la cour d’appel de Chambéry puis la cour de cassation (5 janvier 1956) lui défendirent  conjointement d’employer ce nom prestigieux sous lequel il avait eu des ennuis judiciaires.  Son fils n’eut plus guère de succès. Henri Freeman (1929-1987) fut condamné par le tribunal de la Seine ,le 7 avril 1964, pour usurpation d’identité puis débouté du droit de porter le nom de Bourbon par le Tribunal de grande instance de Paris en 1973. Les Freeman continue pourtant  et encore de revendiquer cette paternité qui n’a jamais été véritablement prouvée.

1839, la première guerre carliste bat son plein en Espagne. Les princes Carlos et Juan de Bourbon se battent pour leurs droits au trône. Ils incarnent cette légitimité bafouée par le Roi Ferdinand VII qui a privé leur père de sa couronne.  Bientôt, la mort du comte de Chambord fera également d’eux les héritiers de la couronne de France dont ils relèveront le flambeau. Mais pour l’heure, à chaque acte de bravoure, les princes sont entourés d’un cortège de femmes qui espèrent partager la couche des héros du carlisme. Cette année-là, la naissance d’un enfant passe inaperçu. Officiellement, il est le fils de Michael-George Mitchell et d’Anaïs-Jeanne Senez. Hors très vite les rumeurs vont bon train. Dom Carlos est le parrain du jeune garçon prénommé Robert et son père, subitement décoré de l’ordre d’Isabelle la Catholique. Toute sa vie, Robert Robert-Mitchell  sera considéré comme le fils adultérin du prétendant au trône. Entouré d’un mystère sur sa réelle paternité comme le fut le général Weygand a son époque, Robert Robert-Mitchell  va être tour à tour journaliste bonapartiste sous le Second empire puis républicain conservateur dès la chute de l’Empire avant de se faire élire successivement député de Gironde  sous une étiquette bonapartiste (1876-1881) puis boulangiste de 1889 à 1893 avant de terminer sa carrière éclectique  comme journaliste pour le très anti-dreyfusard journal « Le Gaulois ».  Il meurt à Bayonne le 1er janvier 1916 sans jamais avoir révélé la vérité sur sa réelle filiation. Le mystère demeure encore aujourd’hui non résolu.

En 1971, les français découvrent sur les étagères des librairies de France, un livre avec un titre évocateur : « Le Roi légitime ! ». Un certain Georges-Charles Comnène  affirmait alors  être le véritable roi de France de jure sous le nom de Charles XII, se parant  pompeusement des titres de duc de Vendée et de Santiago de Compostelle. Peintre faussaire (notamment de Buffet et de Maurice Utrillo), il se voulait le fils de dom Carlos VII, à la fois prétendant au trône d’Espagne et de France, et d’une de ses maîtresses Polyxène Asklepiadis. Né en 1897 à Alexandrie, on sait peu de choses de lui. Sa mère se disait être une descendante de la famille impériale des Comnène mais il est fort probable que ce ne fut pas le cas. En effet, il était coutume pour les empereurs byzantins de donner leur nom de famille à leurs esclaves et en l’absence de généalogie probante, elle ne pouvait guère revendiquer pareille filiation. Encore moins  son fils avec dom Carlos en dépit des documents  douteux qu’il montrait à qui voulait le croire. Il se trouva  pourtant même des partisans pour le soutenir ou des allemands durant la seconde guerre mondiale pour y trouver un certain intérêt comme le Maréchal Keitel qui n’hésita pas à financer ce petit groupe carliste qui vivotait autour de ce prétendant. Mais ses revendications se perdirent dans celles réelles du duc d’Anjou et la justice s’intéressa plus à lui pour son don artistique que la couronne dont il se faisait le légataire. Il meurt en octobre 1986, oublié, laissant deux fils qui ont repris ses prétentions.

Lorsqu’il monte sur le trône en 1886, Alphonse XIII a déjà la réputation d’un prince à femmes. Son mariage avec la gracieuse Victoria Eugénie de Battenberg ne calmera pas pour autant ses ardeurs envers la gente féminine. Et d’engendrer plusieurs enfants issus de ses  nombreuses liaisons extra-conjugales. Bon sang ne saurait mentir, enfant le jeune Alphonse avait dû s’affranchir des quolibets qui remettaient en question la « bourbonité » de son père Alphonse XII, fils d’une Reine mariée à un cousin peu porté les jupons de son épouse autres que les voiles en dentelles de ses favoris masculins. Et si les généalogistes lui en connaissent 4, c’est Leandro de Borbón Ruiz qui va être le plus médiatique d’entre eux.  En effet, de 1916 à la chute de la monarchie, Alphonse XIII va nouer une relation étroite et passionnée avec l’actrice Carmen Ruiz Moragas. De cet amour naîtra en 1929, un fils qui va traverser l’histoire mouvementée de l’Espagne du XXème siècle. La république ne l’inquiétera pas et il poursuivra tranquillement ses études, perdant sa mère à l’aube de la guerre civile, sans savoir réellement qui est son père. A la mort d’Alphonse XIII qui lui a légué une petite partie de son héritage, c’est le généralissime Franco qui va lui révéler ses origines et décider de son éducation. Une petite carrière de pilote au sein de l’armée de l’Air puis divers métiers, Leandro va se battre toute sa vie pour que soit reconnue sa filiation avec l’ancien roi d’Espagne devenu un prétendant au trône de France. La maison royale d’Espagne connaissait son existence (il rencontrera officiellement pour la première fois en 1968 le comte de Barcelone, Juan de Bourbon, au Portugal) comme celle des autres bâtards royaux et entretenait des relations cordiales avec lui. Mais dans les années 1990, les relations s’enveniment ente Leandro et Juan-Carlos Ier. La sortie d’un livre (« Le bâtard royal : souvenirs méconnus du fils d’Alphonse XIII »)  agacera fortement la cour d’Espagne  qui n’apprécie pas de voir étalée au grand jour, la part d’ombre du roi déchu. Il lui faudra attendre mai 2003 puis avril 2004 avant que la cour de justice lui reconnaisse  légitimement le droit de porter le nom de Bourbon après deux ans de bataille juridique, un dossier de 400 pages et de nombreuses obstructions de la part de la maison royale. Aujourd’hui Leandro a retrouvé sa place parmi les membres de la famille des Bourbons d’Espagne, participe à des œuvres caritatives (comme en novembre 2014 où il  a été vu aux côtés de l’infante Pilar de Bourbon ou du duc d’Anjou Louis-Alphonse)  mais ne porte aucun titre préférant vivre à l’écart de cette famille à laquelle il appartient désormais et définitivement.

Frédéric de Natal

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