Le mystère des Bourbons de Bhopal
« Un matin, j’ai reçu un coup de fil d’un copain qui m’a demandé ce que ça faisait d’être roi. Moi, roi de France ? Voilà qui m’a fait plutôt rire quand on m’a appris la nouvelle. J’ai toujours su que j’appartenais à la famille des Bourbon, mais j’ignorais que j’étais le premier de la lignée. ». L’homme qui répond aux questions du journal « Le Figaro » en 2007 et qui semble prétendre au titre de « chef de la maison capétienne » n’est ni le prince Louis-Alphonse de Bourbon ni le prince Henri d’Orléans. C’est un avocat de 58 ans au teint buriné et portant une moustache brune imposante. Autour de lui, l’air est parfumé d’épices en tout genre et chargé d’une lourde histoire coloniale. Quel est donc ce mystère qui enveloppe depuis déjà 13 générations celui qui, aujourd’hui, souhaite obtenir des réparations pour l’injustice faîte à sa famille ?
Le début de cette énigme va nous mener directement en Inde et plus précisément à la cour de l’empereur moghol Akbar Shah.
Colbert a créé la compagnie des indes orientales et la France commence à peine à s’installer en Asie. Quelques comptoirs au début sur les côtes puis enfin en 1673 la prise de la ville de Pondichéry va permettre au royaume de France d’assoir une présence durable qui se terminera tragiquement en 1956. Il est y alors rapporté par les officiers du roi, une anecdote qui les rend perplexes. Le commandant des forces impériales s’appelle étrangement Jean-Philippe de Bourbon. Il en faut peu pour qu’un rapport soit commandé afin de déterminer l’origine de ce qui ressemble fort à une incongruité patronymique. L’enquête est rapide mais empreinte seulement de rumeurs qui laissent cependant sceptique le gouverneur en poste. Il envoie son rapport au roi de France Louis XIV qui aura certainement esquissé un sourire à la lecture des quelques lignes qui lui sont adressées. L’homme, métissé, se dit être le fils, fruit des amours éphémères du connétable de Bourbon avec la princesse Alaique Al Timour.
Le connétable Charles III de Bourbon (1490-1527) fut l’un des derniers grands féodaux de France à s’être opposé à l’autorité du roi. Fidèle de la monarchie des Valois, nommé à ce poste en 1521, la rivalité avec François Ier avait éclaté au grand jour quand la famille de ce dernier avait tenté de lui arracher ses biens. Humilié, il avait alors rallié les troupes de l’empereur Charles Quint, espérant se tailler une principauté en Italie. Un coup d’arquebuse devant Rome devait mettre fin aux espoirs d’un des plus brillants soldats de France mais aussi consacrer sa légende noire de traître à la monarchie. Jean-Philippe de Bourbon affirmait avoir grandi en Navarre et fui la France après un mauvais duel avant de devoir se réfugier en Sicile. Embarqué sur un navire, il aurait été capturé par les barbaresques et envoyé en Egypte. Une aventure digne des meilleurs épisodes de la série des « Angéliques » tant celle-ci ressemble vaguement aux aventures de cette héroïne d’Anne et serge Colon. Vendu au Pacha local, il aura gagné sa confiance, pu être nommé à des postes plus importants avant de partir en Ethiopie puis de débarquer à Gao en 1560. Introduit à la cour du grand Moghol, il avait alors obtenu le titre convoité de «Mansabdar » en épousant une belle-sœur du Shah (la princesse Juliana).
Louis XIV n’accorda pas vraiment d’importance à ce rapport qu’il délaissa assez rapidement. Tout au plus se souvenait-il qu’en effet, d’une vague histoire de famille qui parlait de ce Bourbon-Busset qui avait étrangement disparu en mer ou de ce quatrième enfant du connétable de Bourbon dont la naissance aurait été dissimulée afin d’éviter d’éventuelles représailles de la part de la cour de France. Vraies ou non, ces hypothèses ne semblaient pas aller pourtant dans le sens de celui qui se parait également du titre de comte de Clermont-en-Beauvaisis.
Alors que le destin de cet homme était relégué aux oubliettes de l’histoire, le mystère allait pourtant resurgir avec le livre de Louis Rousselet (« Le fils du Connétable », 1882) qui avait eu l’occasion d’avoir un entretien avec la princesse Isabelle de Bourbon, comtesse de Bourbon-Sirdar. La grâce européenne de cette princesse attisa tellement la curiosité et la flamme de ce photographe qu’il avait entrepris de se faire l’avocat des droits de ces Bourbons. C’est ainsi que l’on apprit que cette famille avait obtenu par la suite un poste de Gouverneur jusqu’à la chute de Delhi en 1739. Le prince François (Farad) II de Bourbon (1718-1778) avait reçu en compensation le titre de Rajah de Shergar avant de mourir sous les coups de son rival de Narwar. Son fils survivant du massacre, Salvator II, ses deux fils et 3 cousins se réfugièrent un temps à Gwalior puis enfin dans la principauté de Bhopal. Converti à la religion musulmane, le fils de Salvator, Balthazar de Bourbon –Shazad Mashis (1772-1829) fut nommé Premier ministre de 1820 à sa mort, victime d’une intrigue orchestrée par des nobles afghans. Son fils, Sébastien (ou Chohar-1830-1878) fut à son tour nommé Premier ministre (1857) dans un pays qui commençait à faiblir sous le joug des assauts anglais, assurant rentes et palais à sa famille. L’histoire des Bourbons de Bhopal devait alors se mélanger à celle d’une Inde impériale et britannique puis indépendante. La perte de tous leurs privilèges princiers en 1971 obligera le père de l’actuel prince, Salvatore III (1917-1978), à trouver un travail. C’est d’ailleurs ce dernier qui allait entreprendre ce long combat pour la reconnaissance des droits de sa famille.
Le prince Balthazar IV Napoléon de Bourbon ne cache pas sa fascination pour la France, convaincu que « du sang français coule dans ses veines », et malgré qu’il ne soit pas en mesure d’avancer la moindre preuve de sa filiation, il assure être le légitime dépositaire du trône de France. « Akbar savait très bien que Jean-Philippe n’était pas un imposteur. Il a toujours accueilli des Français à sa cour, ils pouvaient témoigner de l’exactitude de ce que racontait mon ancêtre », affirme sans complexe ce prince. Dans sa résidence kitsch de Bhopal, tout rappelle d’ailleurs ce pays qu’il n’a jamais visité. Fleurs de Lys, fausses tapisseries du château de Versailles et Tour Eiffel jalonnent les couloirs de sa villa. Même l’école de 1800 élèves, dont s’occupe son épouse d’origine italienne, porte le nom de Bourbon. Pour autant, il ne parle pas un mot de français mais se dit très fier d’être catholique. Il rappelle à juste titre que le nom de Mashis qui a été adjoint à celui de Bourbon est un dérivé du mot messie.
De nombreux livres ont été édités depuis en parallèle à Londres jusqu’aux mémoires de l’actuel chef de cette maison en passant par le livre-soutien du prince Michel de Grèce paru en 2007 (Le Rajah Bourbon) afin de faire découvrir au public, cette branche mystérieuse et tropicale des Bourbons. Une énigme pour laquelle ce prince indien, père de 3 enfants (Frederic, Michelle and Adrien), souhaite désormais un test ADN. Tout en rappelant à ses différents interlocuteurs cependant que son histoire, ses racines seront à jamais indiennes, prétend -il pour autant au trône de France ? « Non » assure celui a reçu les honneurs de l’ambassade de France en mai 2013 lors d’une réception devant un représentant de la République enthousiaste. Ce haut-fonctionnaire de l’Etat n’avait-il pas déclaré : « C’est extraordinaire d’avoir un Bourbon, ici à Bhopal ! ».
Pour le prince Balthazar Napoléon de Bourbon, il s’agit juste d’obtenir une réparation historique pour les souffrances dont son ancêtre fut la victime et pourquoi-pas le titre de « duc de Bourbon ou de France » en guise de compensation ? En février 1987 en plein millénaire capétien, il avait écrit, dit-il, au duc d’Anjou Alphonse de Bourbon. Rien ne transpira de la réponse éventuelle que le chef de la maison capétienne lui fit en retour.
Mais qui était donc au final Jean-Philippe de Bourbon ? Le mystère mérite que l’on s’y penche désormais afin de répondre à cette question et lui donner toute la place que lui doit l’histoire de France.
Frédéric de Natal