Le mouvement légitimiste dans le Midi
Lorsque Napoléon Ier abdique pour la seconde fois en juin 1815, la haine des royalistes à l’encontre de la révolution française explose. Avec la fuite de l’Aigle, du Vaucluse à Marseille on acclame le duc Louis-Antoine d’Angoulême. C’est le début de la « Terreur blanche » qui va faire 500 morts. Dans le Midi de la France, les Verdets (du nom de la cocarde verte que portent les partisans du Comte d’Artois, futur Charles X) mettent en place une vague de terreur entre Toulouse et la cité phocéenne jusqu’à la fin de l’automne. Des milliers de bonapartistes sont assassinés, des officiers célèbres comme le général Ramel à Toulouse ou le maréchal Brunet à Avignon, dont le corps sera jeté dans le Rhône.
Aux exactions de la révolution française, à l’exécution du duc d’Enghien, à l’usurpation de Bonaparte, les royalistes avaient laissé libre court à leur revanche. Les ultras-royalistes triomphaient à la chambre en obtenant 350 sièges sur 398. Dans les milieux aristocratiques du Midi, on affichait ouvertement son hostilité aux Lumières. Le Midi, le Gard ou les Bouches du Rhône, s’étaient dressés comme un seul homme face à la Convention et avaient même connu quelques petites Vendées locales comme celle des Barbets à Nice. A l’épuration parmi les partisans de l’Empire succédait celle dans l’administration, dont un quart des fonctionnaires fera les frais. Sous la période de la Restauration, il est difficile de parler des royalistes comme des « Blancs ». Il faut attendre la chute de Charles X en août 1830 pour que naisse dans le Midi une opposition au régime de Louis-Philippe Ier. C’est une véritable «Vendée provençale » qui s’organise contre ce roi des français, ce fils de régicide et que le duc de Wellington appelait « un usurpateur de bonne maison». De la citadelle des Papes à Marseille en passant par Toulouse, des cellules légitimistes s’organisent en vue du soulèvement qui doit ramener Charles X sur le trône. On parle alors aussi de carlisme et le gouvernement s’inquiète de ces petites Vendées insurgées qui éclatent dans la Tarnaise, le Lauragais ou encore dans la Catalane.
L’arrestation à Nantes en novembre 1832 de la duchesse de Berry met fin à l’aventure insurrectionnelle. Elle avait débarqué à Marseille 7 mois auparavant, pensant que la France catholique rejoindrait son panache blanc. Un grand nombre de légitimistes se font politiques, comme l’avocat Pierre-Antoine Berryer (inamovible député légitimiste des Bouches du Rhône de 1834 à sa mort en 1868) ou la famille des Blacas d’Aulps, et boycottent les cérémonies officielles du régime quand d’autres rejoignent la cause carliste en Espagne. Deux ans plus tard, ils remportent 29 collèges notamment dans le Midi provençal et languedocien. Et malgré la crise des années 1840 qui voit naître 5 tendances, le légitimisme pluriel reste une force d’opposition à Louis-Philippe Ier, renforcé par l’entrée en politique du comte de Chambord en 1843. C’est l’apogée du légitimisme dans la France du XIXème siècle.
La révolution de 1848 qui met bas la monarchie de juillet et l’instauration de la seconde république fragiliseront le mouvement légitimiste. Lors de l’élection du 4 juin dans l’Hérault, l’abbé de Genoude s’oppose au républicain Gustave Laissac. Avec seulement 38% des voix, le candidat de la légitimité est battu mais plus de 60% de l’électorat catholique, principal vivier légitimiste, s’est reporté sur lui. Le socle ouvrier, auquel sera toujours sensible Henri V de Bourbon, s’incarne à travers le légitimisme de la « Montagne blanche » (dont le marquis de Villeneuve se fera le porte-parole au début du XXème siècle et marquera les esprits du monde agricole et syndical), particulièrement actif dans le Roussillon. Berryer conduit le légitimisme blanc dans le Midi, prône l’unité des royalistes légitimistes alors que celui-ci commence à se fissurer. Le comte de Chambord annonce sa volonté d’assurer « la direction de la politique générale du légitimisme ». En effet, deux factions ont vu le jour avec cette révolution suivie de l’élection au poste de président de la République du prince Louis-Napoléon Bonaparte. Une partie des légitimistes apporte son soutien au prince mais ne fait pas allégeance pour autant. On parle alors de coalition carlo-républicaine incarnant l’idée d’un royalisme plébéien face à la faction minoritaire réunie autour du marquis de la Rochejaquelein qui pense faire revenir le souverain par la volonté du peuple, quitte à reprendre l’idée principale référendaire si chère au bonapartisme. Cette dernière n’avait guère les faveurs du comte de Chambord qui n’y voyait qu’« une négation de l’hérédité monarchique ». Le marquis, pourtant un des piliers du légitimisme, décidera de rompre avec le prétendant au trône et deviendra un des sénateurs zélés du Second Empire, créant un certain malaise au sein de ma légitimité et dont les actions inquièteront Berryer.
Actif, Berryer s’oppose farouchement au prince Bonaparte lors de son coup d’état en 1851, ce qui lui vaut quelques jours d’emprisonnement. A sa sortie, il prône (déjà) la fusion de tout ce qui est monarchiste en France. Autres contestataires, les Blacas d’Aulps qui vont alors incarner l’attachement à la fidélité monarchique et la tradition contre-révolutionnaire jusqu’aux portes du Pape. En effet un de ses membres, Casimir, portera l’uniforme de zouave pontifical. Le Second empire s’inquiète même de possibles insurrections royalistes et met sous surveillance la région varoise.
Indéfectible soutien au comte de Chambord, le duc de Blacas lui adressera ce message ultime quelques jours avant sa mort, à l’âge de 78 ans : « Ô Monseigneur, Ô mon Roi, on me dit que je touche à ma dernière heure. Je meurs avec la douleur de n’avoir pas vu le triomphe de vos droits héréditaires, consacrant le développement des libertés dont la France a besoin. Je porte ce vœu au Ciel pour Votre Majesté, pour Sa Majesté la Reine, pour notre chère France. Pour qu’il soit moins indigne d’être exaucé par Dieu, je quitte la vie armé de tous les secours de notre Sainte Religion. Adieu Sire, que Dieu vous protège et sauve la France ».
Mais tous ne restent pas légitimistes à la mort d’Henri V d’Artois. Le baron Fernand de Boyer de Fonscolombe, zouave pontifical, décidera de se mettre au service du comte de Paris. La question dynastique divise les royalistes en l’absence d’un héritier désigné.
La IIIème République va opposer aux légitimistes son Midi rouge (du Gard à l’Hérault en passant par l’Aude et la Haute-Garonne) et tenter d’imposer dans le subconscient des royalistes que le monarchisme est bel et bien mort avec le décès du comte de Chambord en 1883. Une grande vague de républicanisation est alors imposée après 1877. Les monarchistes n’ont plus de majorité parlementaire. Ainsi dans le petit village d’Aups dans le Haut Var, les républicains qui en obtiennent la mairie feront voter la construction d’un obélisque en mémoire des victimes de la répression de la terreur blanche.
Avec l’appel au ralliement à la république aux monarchistes par le Pape Léon XIII, le légitimisme va s’étioler progressivement malgré le soutien de Monseigneur de Cabrières, évêque à Montpellier, puis péricliter dans la première décennie du XXème siècle. Le comte Albert de Mun, un des leaders du légitimisme en France, lâchera prophétiquement : « nous étions royalistes de cœur, nous tacherons de le rester de raison ». Une pensée qui est largement partagée par le comité légitimiste des Bouches du Rhône du marquis Maxence de Foresta (1817-1888 dont une descendante épousera un… descendant des Napoléon) et qui sera membre du service d’honneur qui se relayera auprès du décès du comte de Chambord à son décès.
La Jeunesse royaliste d’Eugène Godefroy restera toutefois très active dans le Midi notamment en Hérault qui compte 800 adhérents dont André Vincent qui deviendra le secrétaire du comte de Paris. Légitimistes et orléanistes s’y retrouvent, marchent ensemble lors du 21 janvier et complotent. Le procureur de la république de Montpellier s’en inquiète et la désigne comme une « association illicite », ordonne en 1900 des perquisitions comme arrestations dans le milieu monarchiste notamment dans cette Vendée provençale. La très légitimiste « Gazette du midi », fondée en 1831 a été remplacée par le « Soleil du midi » en 1886, et va jusqu’à soutenir deux ans plus tard, en dépit de ses lignes conservatrices, la candidature du royaliste libéral Edouard Hervé lors d’une élection départementale partielle (il obtiendra 23719 voix soit à peine la moitié des voix gagnées par le candidat républicain qui sera élu). Dans le Brignolais, le légitimisme est défendu par le « Courrier du var » financé par le maire monarchiste de Vérignon, Joseph Bagarry (1882-1887), et rayonnera jusqu’en 1897.
C’est l’Action française (dirigée entre 1919 et 1945 par le Commandant Louis Dromard) qui va reprendre et revivifier le flambeau du royalisme dans ce midi alors considéré comme chasse gardée des légitimistes et dont la plupart a rallié par défaut les idées de Charles Maurras, natif de Martigues. En 1937, ce qui restait du légitimisme blanc, faute de prétendants, avait quasiment disparu du paysage politique du midi – incarné alors par le député de Brignoles Raymond Gavoty qui bien qu’élu sous étiquette du Bloc républicain (1919-1924) n’en demeurait pas moins un légitimiste traditionnaliste – et réparti désormais au sein des associations chrétiennes ou des groupes comme « l’Œillet blanc » ou celui du « Panache blanc ».
Frédéric de Natal