Le duc d’Epernon, le demi-roi
Vous n’avez jamais sans doute entendu parler de ce duc d’Epernon, né Jean-Louis de Nogaret, seigneur de La Valette et de Caumont… C’est presque mieux ainsi ! Il y a tant de légendes noires sur lui qu’il vaut mieux l’aborder sans préjugés voire niaiseries, trop souvent issues de la médiocrité de l’enseignement de l’histoire !
Né en 1554 à Loches, ce militaire s’est fait un nom en étant l’un des grands favoris de Henri III et en étant suspecté d’avoir commandité l’assassinat de Henri IV. C’est dire si le terreau était fertile pour la naissance de sa légende noire. Son père et son grand-père ont combattu lors des guerres d’Italie, c’est donc tout naturellement que Jean-Louis embrasse la carrière militaire. Cadet de Gascogne, il participe rapidement aux batailles des guerres de religion, notamment au siège de La Charité-sur-Loire.
En 1573, lors du siège de La Rochelle, il rencontre le duc d’Anjou, futur Henri III. Nogaret s’attache ensuite au roi de Navarre, Henri, et fuit la cour avec lui en 1576. Il n’entre dans le cercle très restreint des proches d’Henri III qu’en décembre 1578. Il devient alors avec le duc de Joyeuse, le plus proche conseiller du roi. Jusqu’en 1587, seul le duc de Joyeuse peut lui contester le titre d’homme de confiance du roi Henri III. Cette année 1587 voit la mort de Joyeuse : l’ascension d’Epernon était déjà spectaculaire, elle devient exceptionnelle. En effet, avant 1587, il peut se targuer d’être déjà maître de camp du régiment de Champagne (1579), gouverneur de La Fère, qu’il a arraché aux soldats de Condé, (1580), colonel général des Bandes françaises (unités fixes voulues par Louis XI) qui devient pour lui un grand office de la Couronne, duc d’Épernon, pair de France et conseiller d’État (1581), premier gentilhomme de la Chambre du Roi (1582), chevalier de l’Ordre du Saint-Esprit, gouverneur du Boulonnais et de Loches, de Metz et du Pays messin, de la citadelle de Lyon (1583), chevalier des Ordres du roi (1584), gouverneur de Provence. A la mort de Joyeuse, il devient en plus Amiral de France et gouverneur de Normandie… Charges qui seront transmises à son frère dès l’année suivante puis à lui rendues en 1589. Cette montée fulgurante doit autant au fait qu’il se situe sur la même ligne de pensée et d’action que le roi qu’à son charisme et à l’affection qu’il porte à son roi, et que son roi lui porte en retour. Le duc d’Epernon est un catholique luttant contre la Ligue : la paix doit triompher, surtout dès lors que la Ligue se lie avec une puissance étrangère, à savoir la très catholique Espagne. C’est par exemple lui qui tente de faire revenir Henri de Navarre au catholicisme en 1584 après la mort du frère cadet du roi pour éviter une future guerre de succession. Pour contrer la ligue, il entreprend de fédérer les catholiques modérés et les protestants autour de l’État royal. Il compte lutter contre la ligue en se basant sur les provinces méridionales. Il a pris le contrôle de la Provence et de la Saintonge. Il est, par sa femme, allié au duc de Montmorency, gouverneur du Languedoc, alors que les protestants sont solidement implantés de la Guyenne au Dauphiné. Il est maître de plusieurs points stratégiques d’accès vers le nord du royaume.
Devant Henri III agonisant, le duc d’Épernon se rallie à Henri de Navarre sur demande du roi. Mais, tenant le futur Henri IV responsable du triste sort d’Henri III, il retire aussitôt ses troupes du siège de Paris, que le nouveau roi de France doit abandonner du fait des défections.
Fidèle à Henri III, il est écarté par Henri IV, avec qui il avait pourtant eu de bons rapports même durant les guerres de religions. Le règne du Vert Galant est une période rude pour le duc d’Épernon : le nouveau souverain ne se gêne pas pour prendre des décisions en ignorant les prérogatives du duc, qui ose cependant lui dire que « pour ce qui est de l’amitié, elle ne peut s’obtenir que par l’amitié. » aimable manière de lui dire qu’il n’apprécie pas son éviction, notamment celle militaire lorsque le Bourbon décide de combattre l’Espagne par les armes. Catholique convaincu, ce qui indique bien que sa position anti-ligueurs est du domaine de la préservation du royaume et non du religieux, le duc intervient auprès du roi pour autoriser le retour des jésuites. Il encourage les établissements de la Compagnie de Jésus dans les villes dont il a le gouvernement et leur confie l’éducation de son troisième fils, Louis.
Henri IV est assassiné par Ravaillac le 14 mai 1610. Le couronnement de Marie de Médicis a eu lieu la veille, ce qui légitime l’attribution de la régence à la reine, dont Epernon est l’un des proches. Épernon qui a demandé à accompagner le roi dans son carrosse assiste au meurtre. En sa qualité de colonel général de l’infanterie, Épernon prend le contrôle de la capitale et assure la transmission de la totalité du pouvoir à Marie de Médicis, au mépris des dispositions d’Henri IV qui instituaient un conseil de régence. Le 23 juin, Épernon fait procéder au transfert à Saint-Denis de la dépouille d’Henri III, son ancien maître : Henri IV avait négligé d’organiser les obsèques de son prédécesseur.
Le duc d’Épernon est inquiété lorsqu’il s’avère qu’il connaissait le meurtrier. Honoré de Balzac, dans son essai Sur Catherine de Médicis, lui reproche de n’avoir : « point paré le coup de Ravaillac alors qu’il connaissait cet homme de longue main ». Ravaillac est en effet originaire d’Angoulême où il s’était fait connaître des services de police dont le duc, gouverneur de la ville, est responsable. Ce dernier l’a rencontré et lui a confié plusieurs missions à Paris. Ravaillac a été hébergé dans la capitale par une amie du duc d’Épernon et de la marquise de Verneuil qui est en outre dame d’honneur de la reine. Compte tenu de la qualité des personnes mentionnées, l’enquête qui a débuté est suspendue. Autrement dit, les suspects sont si importants que l’affaire est close : c’est la monarchie absolue qui triomphe face à la royauté traditionnelle qui aurait sévèrement jugé les coupables d’un tel acte. Parallèlement, les archives diplomatiques des gouvernements de Bruxelles, Madrid et Vienne, contacts habituels des comploteurs contre le roi, sont nettoyées, comme le constatera plus tard l’historien Philippe Erlanger. On peut, sans parler de culpabilité, affirmer que le duc avait intérêt politiquement à ce que Henri IV meurt. Cependant, cela est une autre histoire, il n’est pas le premier bénéficiaire de cet assassinat, et son rôle est minime lors de la Régence de Marie de Médicis… C’est alors l’heure de la montée au pouvoir de Concini. Louis XIII ne lui tient pas rigueur d’avoir été proche de sa mère lorsque celle-ci est exilée : le troisième fils d’Épernon, Louis archevêque de Toulouse, est fait cardinal tandis que son deuxième épouse une fille illégitime de Henri IV.
En 1621, il est blessé lors du siège de Saint-Jean-d’Angély. En 1622, Louis XIII qui vient de perdre son favori Luynes est à la recherche d’hommes d’envergure sur lesquels il peut s’appuyer. Le duc d’Épernon est nommé gouverneur militaire de Guyenne (de 1622 à 1638) et il mène la répression des insurrections huguenotes. Fait une seconde fois duc et pair, de son fief Villebois en 1622 qui devient duché de La Valette, il s’établit alors au château de Cadillac qu’il a fait construire dès 1589. Redouté par le cardinal de Richelieu, il est écarté du pouvoir.
Bien que son nom soit encore mêlé aux conspirations contre le pouvoir, il reste gouverneur jusqu’en 1638. Ses exécrables rapports avec Henri de Sourdis (frère et successeur du cardinal François de Sourdis), qui demande son excommunication après que le duc d’Épernon l’a frappé en public, font de ce vieil militaire et homme d’état un exilé.
Il meurt en disgrâce à Loches le 13 janvier 1642 à l’âge de 87 ans. Selon ses dernières volontés, son corps fut embaumé et rapatrié en Guyenne. Il fut enterré à la collégiale Saint-Blaise en face du château de Cadillac, et son cœur fut déposé à la cathédrale Saint-Pierre d’Angoulême, dont une petite cloche a sonné chaque matin à six heures jusqu’à la Révolution les pleurs d’Épernon pour le repos de son âme.
Fier gascon et fidèle militaire au service du royaume, le duc d’Epernon est un exemple de la noblesse de son siècle : charismatique, valeureux au combat, il souffre d’incompréhension car sa lutte contre les huguenots ne vaut que celle contre les ligueurs. Accusé selon l’auteur de ces lignes assez injustement dans l’assassinat de Henri IV, il est oublié alors qu’il est sans doute le dernier homme d’état à la mentalité médiévale.
Charles d’Antioche
Demi-armure du Duc d'Epernon. Fer gravé et doré, cuir. Haut : 90 cm. Larg : 70 cm. Inv G 108. Photographie : Musée de l'Armée. Paris.