[CEH] L’assassinat d’Henri IV, par Jean-Christian Petitfils. Partie 4 : Le duc d’Épernon et la marquise de Verneuil compromis
L’assassinat d’Henri IV
Par Jean-Christian Petitfils
► Partie 1 : L’énigme de la mort du Roi
► Partie 2. La journée du 14 mai
► Partie 3. Le procès de Ravaillac et ses étrangetés
Partie 4. Le duc d’Épernon et la marquise de Verneuil compromis
Quelques mois plus tard, l’affaire rebondit. Le 15 janvier 1511, alors qu’elle fait ses dévotions dans une chapelle de l’église Saint-Victor à Paris, Marguerite de Valois, la première femme du feu roi, est abordée par une petite femme boiteuse, légèrement bossue, qui veut lui parler seule à seule. Elle insiste. La reine Margot finit par accepter et la reçoit en son hôtel particulier. Sortant de prison pour affaire privée, la gemme révèle son identité. Elle s’appelle Jacqueline Le Voyer, épouse d’un soldat aux gardes, Issac d’Escoman. Elle accuse formellement le puissant duc d’Épernon, l’un des proches d’Henri IV, et Henriette d’Entragues, marquise de Verneuil, ancienne favorite du roi, d’avoir guidé le bras de l’assassin. Elle-même, à la demande de cette dernière, dont elle assure avoir été la confidente, l’aurait hébergé durant huit semaines. La femme d’Escoman est aussitôt arrêtée et jugée. Comme elle ne parvient pas à prouver ses propos, elle est condamnée pour diffamation à finir ses jours aux Filles repenties. Naturellement, d’Épernon et Mme de Verneuil se sont acharnés à la perdre. C’étaient elle ou eux !
En 1619, un soldat de fortune, Pierre du Jardin, dit le capitaine de La Garde, raconte à son tour une étrange histoire et la publie dans un manifeste. Alors qu’il se trouvait en 1608 de passage à Naples, il rencontra des Français nostalgiques de la Ligue qui complotaient la mort d’Henri IV. Il gagna si bien leur confiance qu’ils lui firent rencontrer le père jésuite Alagon, parent du duc de Lerma, favori du roi d’Espagne, qui lui proposa de tuer le roi. Un jour, il vit arriver un inconnu, vêtu « d’écarlate violette », qui apportait des lettres du duc d’Épernon au comte de Benavente, vice-roi de Naples. Cet homme, dit La Garde, c’était Ravaillac. Il avait servi comme lui dans la compagnie du maréchal de Biron…
Ces étranges révélations ont troublé plus d’un historien. Jules Michelet, dans son Histoire de France (1857), et Philippe Erlanger, dans son Étrange mort d’Henri IV (1957), arrivent à la conclusion qu’une vaste conspiration contre le roi avait été menée par le duc d’Épernon, connu pour ses sentiments pro-Espagnols, par la marquise de Verneuil, désireuse de se venger d’avoir été abandonnée, par Concino Concini et sa femme Léonara Galigaï, conseillers de la reine Marie de Médicis, avec la complicité passive de celle-ci. Tout ce monde agissait en plein accord avec le cabinet de Madrid, impatient de se débarrasser du roi de France qui s’apprêtait à partir en guerre contre l’empereur, allié des Espagnols. Sans s’en rendre compte, Ravaillac, l’exalte incontrôlable, aurait été influencé par eux.
Que faut-il penser de cette thèse ? SI l’on scrute attentivement le procès de la d’Escoman, on s’aperçoit que ses dépositions comportent bien des zones d’ombre. Quand on lui demande de décrire Ravaillac, qu’elle prétend avoir nourri et hébergé, elle désigne un valet un peu chétif, noir de barbe et de visage, qui se trouve là. Difficile de le comparer à l’Hercule rouquin ! Quand on lui réclame le billet de la marquise de Verneuil la priant de s’occuper du futur assassin, billet dont elle a fait grand cas, elle assure l’avoir confié à une certaine demoiselle demeurant à Paris. Renseignement pris, on s’aperçoit que cette personne, paralysée et très âgée, n’est pas venue dans la capitale depuis sept ans !… Accablante enfin est la déposition de Mathurin Renaudin, aumônier de la marquise de Verneuil, qui affirme avoir vu l’accusée demander à plusieurs reprises « la charité » à sa maîtresse. C’était donc une simple solliciteuse et non l’amie, la confidente de la marquise ! Bref, la d’Escoman, gemme galante, qui avait abandonné son enfant sur le pont Notre-Dame (d’où son emprisonnement en 1610), n’est pas un témoin fiable, mais une mythomane, experte en intrigues.
Quant à la déposition très tardive du capitaine de La Garde, elle est tout aussi suspecte. Outre le fait qu’il paraît difficile d’admettre que l’illuminé ait pu servir comme soldat, sa présence à Angoulême en 1608 est attestée à plusieurs reprises par des actes notariés. La Garde a peut-être entendu à Naples cette année-là des ennemis du roi discourir sur sa disparition, mais il n’a ajouté qu’ultérieurement les noms de Ravaillac et d’Épernon à seule fin de se faire valoir. En tout cas, un premier factum signé de sa main ne les mentionnait pas.
Par ailleurs, il est douteux que Madrid ait été au courant de l’attentat. À cette époque, le duc de Lerma, favori et principal ministre, menait une politique pacifiste, recherchant un accommodement avec la France. Quand on réveilla Philippe III pour lui annoncer le mort d’Henri IV, il tomba des nues et témoigna sincèrement de sa stupeur et de son émotion. Quelque temps auparavant, il s’était indigné des intentions d’un paysan du Rouergue, venu spécialement à Madrid lui proposer d’occire le roi de France.
À suivre…
Jean-Christian Petitfils
Historien et biographe
Docteur d’État en sciences politiques
Jean-Christian Petitfils, « L’assassinat d’Henri IV », dans Collectif, Henri IV : Le Premier Roi Bourbon : Actes de la XVIIIe session du Centre d’Études Historiques, Neuves-Maisons, CEH, 2011, p. 255-268.