Histoire

Ex-libris. « La Révolution française », par Philippe Pichot-Bravard

Philippe Pichot-Bravard, La Révolution française, 2014

Nous vous proposons cette semaine un ouvrage majeur sur la Révolution dite française — car, au fond, cette révolution est tout sauf française, elle est un produit purement antifrançais, anticatholique et contre-nature.

Durant celle-ci, tous les principes révolutionnaires en gestation dans la société depuis le siècle précédent, voire depuis la Révolution protestante, se concrétisèrent dans la société politique française, avant de contaminer l’Europe et la planète. Pour cette raison, elle représente un évènement central de l’histoire du monde moderne. Il est donc important de comprendre cette période, d’un point de vue historique, mais aussi philosophique (l’idéologie de la régénération, par exemple, est la racine de tous les totalitarismes contemporains).

Possesseur d’un talent insigne, Philippe Pichot-Bravard (univ. Brest) parvient à présenter ces deux faces de la Révolution de façon synthétique et complète, en utilisant les fruits des recherches récentes, avec une honnêteté salutaire. Il rappelle aussi synthétiquement et pédagogiquement tout ce qui faisait l’ancienne France : ainsi, l’on peut se faire une bonne idée de l’essence de notre royauté, mais aussi des évènements révolutionnaires, dans leur optique originelle (celle du bouleversement de l’ordre constitutionnel du royaume et de l’usurpation du pouvoir légitime).

Avouons-le, ce livre fut pour nous une révélation, à l’époque où nous étions encore dans le flou — un « flou » suscité et entretenu par l’Éducation « nationale » — et hostile à toute idée de « monarchie », tout bonnement parce que nous ne connaissions rien de la royauté française. Grâce à cette œuvre, tous les mythes révolutionnaires auxquels nous croyions dur comme fer tombèrent un à un dans notre esprit !

C’est pourquoi il faut diffuser ce livre, massivement et largement, le faire lire à vos amis, à vos parents, à vos collègues, l’offrir encore et encore ! C’est un moyen idéal d’apostolat royaliste ! Oui, c’est un ouvrage scientifique, qui s’adresse aux intelligences et aux chercheurs de vérité en leur donnant des faits, des gestes, des sources et des citations. De plus, le style est savoureux !

Le livre est excellent du début à la fin, alors il est difficile d’en sélectionner des extraits. Nous avons néanmoins choisi de partager avec vous ce passage savoureux sur la journée du 14 juillet 1789 :

« Il régnait alors à Paris et à Versailles un désordre préoccupant qui pesait sur les délibérations des députés. Certains députés, comme l’archevêque de Paris ou le conseiller Duval d’Eprémesnil avaient été agressés au sortir de séances de leur ordre. À la fin du mois de juin, la mutinerie des Gardes-françaises aggrava le désordre. Le Roi annonça alors aux députés, le 1er juillet, son intention de prendre « des mesures pour ramener l’ordre dans la capitale »[1].

Louis XVI décida de placer autour de Paris une vingtaine de régiments, dont le commandement fut confié au maréchal de Broglie et l’intendance à Foullon de Doué, Bertier de Sauvigny, Flesselles et d’Aligre. Au sein du Conseil, trois ministres, Necker, Montmorin et Saint-Priest, s’opposèrent à ces mesures. Il avait voulu rendre à son gouvernement la cohésion qui lui manquait. Par son absence, lors de la séance du 23 juin, Necker avait trahi sa confiance. En outre, Necker, Montmorin et Saint-Priest s’opposaient aux mesures prises le Roi pour remédier au désordre qui touchait Paris et Versailles.

Harangués par des tribuns improvisés, notamment Camille Desmoulins, les promeneurs du Palais-Royal manifestèrent leur attachement à Necker et au duc d’Orléans, dont ils promenèrent les bustes. Au cours de l’après-midi, ils firent le tour des théâtres et les fermèrent d’autorité en signe de protestation. Bientôt des manifestants commencèrent à jeter des pierres sur les soldats rassemblés sur la place Louis XV. Le prince de Lambesc, à la tête du Royal-Allemand, tenta de les disperser. Cette tentative de répression ne fit qu’aggraver l’état d’effervescence des esprits. Dans les heures qui suivirent, Paris fut gagné à l’émeute. Le 13 juillet, une milice bourgeoise, renforcée par des gardes-françaises mutinés, se constitua pour faire face à l’armée. Elle compta bientôt quarante-huit mille hommes. L’armée, dirigée depuis Versailles par le maréchal de Broglie, manifestait des signes inquiétants d’insubordination. De nombreux soldats et sous-officiers refusaient d’obéir à leurs officiers ; des officiers eux-mêmes tournaient casaque, à l’imitation des Gardes françaises. Ceux qui demeuraient fidèles à leur devoir étaient directement menacés. Les échevins de Paris furent remplacés par une commune insurrectionnelle dont le député Bailly prit la tête. Le pouvoir avait changé de mains.

Au matin du 14 juillet, les manifestants envahirent les Invalides afin de se procurer des armes. Puis, avec le même dessein, ils marchèrent sur la Bastille. « Au sortir de l’expédition des Invalides, cinq cents gardes-françaises et deux mille bourgeois s’étaient portés de ce côté », écrit le député Jean-Baptiste Salle[2]. La Bastille, vieille et imposante forteresse bâtie sous Charles V, était devenue un arsenal et une prison d’État. Naguère elle accueillait de grands seigneurs frondeurs et des conspirateurs. Au XVIIIe siècle, quelques hommes de lettres faméliques y avaient reçu une hospitalité confortable, séjour qui, par surcroît, contribuait de manière décisive aux succès de leurs œuvres. L’abbé Morellet avait ainsi bénéficié de ce mécénat involontaire. Coûteuse pour le trésor, la forteresse était destinée à la démolition par Louis XVI. Elle n’accueillait que sept prisonniers de droit commun confiés à la garde de vieux soldats invalides. Le gouverneur était le marquis de Launay, beau-frère du secrétaire d’État à la Maison du Roi, Laurent de Villedeuil. Launay opposa aux manifestants une défense hésitante et maladroite. Résistant suffisamment pour les mécontenter sans se donner les moyens de tenir la place. Le maréchal de Broglie voulait lui envoyer des renforts. Il en fut dissuadé par Laurent de Villedeuil qui craignait de froisser son beau-frère en lui donnant à penser que la Cour ne le jugeait pas capable de tenir la place avec les forces dont il disposait. La courtoisie d’Ancien Régime était ici poussée jusqu’à l’absurde. Alors qu’une partie de la garnison faisait défection, refusant de poursuivre le combat, le marquis de Launay capitula. Les vainqueurs de la Bastille commencèrent par massacrer plusieurs invalides. Puis, ils se saisirent du gouverneur qui avait tenté de se cacher. Ils le traînèrent à l’Hôtel de Ville. Tout au long du chemin, malgré le sauf-conduit qui lui avait été remis, le marquis de Launay fut maltraité, grièvement blessé, avant d’être assassiné. Son corps fut dépecé et sa tête promenée au bout d’une pique.

Le détail est d’une importance capitale. L’irréparable venait d’être commis. Cette tête était la première d’une collection pharaonique. Immédiatement, la foule prit goût au sang. Quelques instants plus tard, la tête de Jacques de Flesselles, prévôt des marchands de Paris, vint rejoindre celle du gouverneur de la Bastille. Dans les heures qui suivirent, des tribunaux populaires s’établirent aux quatre coins de Paris, prononçant des sentences expéditives[3]. Quelques jours plus tard, le 22 juillet, l’ancien ministre Foullon de Doué, malgré ses soixante-quatorze ans, fut à son tour pendu à une lanterne, la bouche pleine de foin. Son gendre, Bertier de Sauvigny, intendant de la généralité de Paris, fut massacré quelques instants plus tard. Les cibles n’avaient pas été choisies au hasard. Ces premiers massacres, spectaculaires, jugés nécessaires par certains députés du Tiers comme Duport ou Robespierre, visaient à désorganiser l’administration de la monarchie. Lorsque les intendants apprirent le supplice sauvage subi par le plus éminent d’entre eux, ils s’empressèrent d’émigrer ou de démissionner. La tête de Bertier de Sauvigny, agitée comme la tête de Méduse, suffit à détruire l’édifice de la monarchie administrative. La sauvagerie de ces premiers supplices venait d’inaugurer le règne de la terreur. Ainsi, selon Malouet, député du Tiers-État : « La Terreur, dont les républicains purs ne proclament le règne qu’en 1793, date, pour tout homme impartial, du 14 juillet, et je serais personnellement en droit de la faire remonter plus haut »[4]. À Sainte-Hélène, Napoléon Bonaparte tiendra un discours similaire, en insistant sur la dimension sociale du mouvement : « Comment dire à tous ceux qui remplissent toutes les administrations, possèdent toutes les charges, jouissent de toutes les fortunes : Allez-vous en ! Il est clair qu’ils se défendraient : il faut donc les frapper de terreur, les mettre en fuite, et c’est ce qu’ont fait les lanternes et les exécutions populaires. La Terreur, en France, a commencé le 4 août… »[5].

Les événements de juillet 1789 ont-ils été spontanés ou sont-ils le fruit de manœuvres ? Nous avons, pour répondre à cette délicate question, un témoignage, celui de Camille Desmoulins, l’un de ceux qui haranguèrent les Parisiens le 12 juillet dans les jardins du Palais-Royal. Dans un discours prononcé à la tribune des Jacobins le 21 octobre 1792, Desmoulins devait expliquer : « Oui, Messieurs, pour ceux qui, ainsi que moi, ont consacré, depuis trois ans, toutes leurs pensées à la Révolution, qui ont suivi celle qui s’est faite aux lieux où elle s’est faite, ce n’est point un paradoxe que le peuple ne la demandait point, qu’il n’est point allé au-devant de la liberté, mais qu’on l’y a conduit. L’après-dîner du 12 juillet, et mieux encore toute la nuit suivante, j’ai été à la source de l’insurrection, et je l’ai bien observée. Les véritables patriotes se sont servis des premiers instruments qui leur tombaient sous la main, comme le Ciel se servait d’Attila ». Et d’ajouter : « Le peuple de Paris n’a été qu’un instrument de la Révolution : l’histoire nous dira quels en furent les ingénieurs  […] Ce n’est point faire de notre Révolution une révolution à part, c’est, au contraire, la faire semblable à presque toutes les autres que de dire que ce n’est point le peuple qui l’a voulue, qui l’a faite. Partout, c’est le petit nombre, deux ou trois citoyens, qui ont fait les révolutions »[6].

Louis XVI connut la nouvelle de la chute de la Bastille au cours de la nuit qui suivit. Le lendemain, accompagné de ses frères, le comte de Provence et le comte d’Artois, il se rendit à l’Assemblée pour y annoncer le retrait des troupes rassemblées autour de Paris, troupes que leur fidélité douteuse rendait non seulement inutiles mais dangereuses. Dans l’entourage royal, le désarroi était grand. La Cour envisagea pendant quelques heures de quitter Versailles pour une place forte de l’Est de la France. Ce projet fut abandonné dans la matinée du 16 juillet. Le Maréchal de Broglie ne pouvait pas garantir la sécurité du voyage. Au cours de la matinée du 16 juillet, les ministres démissionnèrent les uns après les autres. Louis XVI se décida à rappeler les ministres qu’il avait congédiés cinq jours plus tôt. La défaite essuyée par le Roi était complète. Il ne s’en relèvera pas. »[7]

Rémi Martin


Sommaire

  • Introduction
  • I – Une crise sans précédents
  • II – Les États-Généraux
  • III – La radicalisation révolutionnaire
  • IV – L’Assemblée nationale constituante
  • V – Une France nouvelle
  • VI – La politique religieuse de la Constituante
  • VII – La Chute du Roi
  • VIII – La Mort du Roi
  • IX – Girondins et Montagnards dans la République menacée
  • X – Vers le gouvernement révolutionnaire
  • XI – La dictature régénératrice
  • XII – La Chute de Robespierre
  • XIII – La réaction thermidorienne
  • Conclusion

[1] Jean de Viguerie, Louis XVI, Paris, Le Rocher, 2003, p. 242.

[2] Lettres inédites de Jean-Baptiste Salle, député de Nancy sous la Révolution, Notre Histoire, hors série n°24, Évreux, 1989, p. 64. La lettre est datée du 18 juillet 1789.

[3] Jean de Viguerie, Louis XVI, p. 249.

[4] Pierre-Antoine Malouet, Mémoires, 2ème édition, Paris, 1874, t. II, p. 9.

[5] Las Cases, Mémorial de Sainte-Hélène, t. II, chapitre IX, Paris, Gallimard, 1956, p. 38.

[6] Cité par F-A. Aulard, La Société des Jacobins, t. III, Paris, 1892, pp. 200-202.

[7] Philippe Pichot-Bravard, La Révolution française, Via Romana, 2014, chapitre 3.

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