L’ombre de Richard III ou la survivance de la Rose blanche
Le 30 juin 2012, les journaux australiens consacrent leurs « headlines » au décès d’un septuagénaire fermier vivant à Jerilderie. Après des débuts scolaires dans le Yorkshire, Michael Edward Abney-Hasting avait décidé d’émigrer en Australie et de s’établir en Nouvelle-Galles du Sud. Elu conseiller municipal de sa ville, il était resté modeste sur ses origines jusqu’en janvier 2004 où un documentaire de la BBC le présente officiellement, à des britanniques abasourdis, comme l’unique héritier légitime de la Rose blanche.
An de grâce 1485. L’Angleterre est alors déchirée par une violente guerre civile dans laquelle s’affrontent deux maisons rivales. Celles des Yorks et celle des Lancastres, toutes deux issues de la Maison des Plantagenêts. A chaque prétendant, sa rose sur son blason. Pour les premiers, la blanche immaculée et pour les seconds, le rouge sang. Richard III, qui règne depuis 1483, est le représentant de ces Yorks que l’ambition a poussé à tuer ses neveux héritiers du trône alors enfermés dans la tour de Londres, les jeunes princes Richard et Edouard de Shrewsbury. Dans ce «games of thrones » où chacun noue des alliances familiales afin de se débarrasser de ses rivaux, c’est le futur Henri VII de Lancastre qui finit par l’emporter, ramasser la couronne à terre sur le champ de bataille de Bosworth et monter sur le trône d’un pays épuisé par 30 ans de guerre fratricides.
De ce qui reste de la branche aînée des Plantagenêts, sera soit exilé soit emprisonné dans cette Tour de Londres que tous ont redouté durant la guerre. Pourtant à l’ombre des Lancastres, bientôt connus sous le nom de Tudors, les partisans de la Rose blanche vont s’activer et reporter leurs espoirs sur les descendants vivants d’Henri II et d’Aliénor d’Aquitaine. Les drapeaux écartelés d’azur semé de lys d’or, de gueules aux 3 léopards d’or restent cachés mais l’espoir demeure. Les complots pour restaurer la monarchie déchue se multiplient tant au sein de la cour royale que dans les couloirs du Vatican. La guerre terminée, les yorkistes se sont réunis autour du jeune comte de Warwick, Édouard Plantagenêt, âgé de 10 ans. Hypothétique héritier au trône, il menace Henri VII qui le fait immédiatement emprisonner. Alors qu’il est condamné à mort pour conspiration, un autre front menace ouvertement les Lancastres. Des rumeurs commencent à se répandre parmi le peuple. Richard (IV) de Shrewsbury aurait survécu et se dirigerait vers Londres avec une armée. Celui qui va faire trembler Henri VII durant 6 ans (1491-1497), et rallier les écossais derrière lui, se révélera être un véritable imposteur sous le nom de Perkin Warbeck. Enfermé avec le jeune Édouard Plantagenêt, ils seront tous deux pendus en novembre 1499. Il ne sera pas le seul. Allégrement manipulé, Lambert Simmel (1477-1525) affirmera également être le prince Edouard de Shrewsbury et sera couronné VIe du nom en mai 1487, à Dublin. Son armée essentiellement composée de mercenaires et de yorkistes sera battue en juin suivant.
Le Saint-Siège est légitimiste et s’il a accepté de reconnaître le changement de dynastie, c’est qu’Henri VIII (roi de 1509-1547) reste encore le protecteur de la religion catholique. Dès lors que celui-ci décidera de l’abandonner définitivement au profit des courbes généreuses de sa maîtresse, Anne Boleyn, la Papauté va immédiatement reconnaître les prétentions de la Rose blanche sur le trône d’Angleterre et tenter de favoriser son champion, le Cardinal Reginald Pole (1500-1558). Y compris en envisageant de lui faire épouser la fille d’Henry VIII, élevée dans la foi catholique, Marie Tudor. En 1536, le Yorkshire se soulève. Des centaines de milliers de catholiques s’arment face à ce souverain aussi schismatique qu’infidèle et s’opposent à la politique de dissolution des monastères mise en place par le laïc Thomas Cromwell. L’épisode dit du « pèlerinage de Grâce » est autant une volonté de se battre pour le catholicisme que certains y entrevoient enfin une nouvelle guerre qui permettrait la restauration des Yorks. Il faudra un an au roi pour réprimer cette rébellion. Henri VIII, excédé, finira en 1539 par condamner par contumace l’austère cardinal à l’allure patricienne, Reginald Pole, non sans avoir fait arrêter plusieurs membres de sa famille dont sa mère Margaret Pole, nièce des rois Edouard IV (1471-1483) et Richard III ou encore avant elle, le marquis d’Exeter, Henry Courtenay. Le roi s’empressera d’ailleurs de la faire exécuter le 27 mai 1541.
Ce ne sera pas le seul complot qui menace le trône des Tudors. En avril 1521, le duc de Buckingham Edouard Stafford (dont la mère était la sœur de l’épouse d’Edouard IV) sera à son tour embastillé dans la Tour de Londres et comme beaucoup subira, condamné pour trahison, le même sort. Paranoïaque, Henri VIII l’était surement. Mais à raison tant la menace yorkiste est tout aussi réelle qu’il le craignait.
L’avènement au pouvoir de Marie Tudor en 1516 permet à Réginald Pole de revenir en Angleterre (où il y meurt en 1558 à 58 ans) et de prendre position auprès de la nouvelle souveraine qui se lance dans une épuration du protestantisme dans le pays. De dynasties en dynasties, des Tudors aux Hanovres, ce seront les Stuarts qui de 1603 à 1714 pourront certainement se prévaloir d’incarner le mieux l’image et l’esprit de revanche du yorkisme. Les catholiques avaient pardonné au Roi Jacques IV d’Ecosse d’avoir accepté en 1503, ce mariage forcé avec Margaret Tudor, fille d’Henri VII.
Regardée comme une martyre par les yorkistes, c’est le Pape Léon XIII qui décidera de béatifier Margaret Pole, le 29 décembre 1886. Une victoire pour le parti de la Rose blanche qui subsistait secrètement soutenant une survivance cachée et dont les prétentions se mêlaient désormais à celles des Jacobites, ces partisans des Stuarts. Descendante en ligne droite de Margaret Pole, dans ses veines coulait le sang des Plantagenêts. Marie Tudor, tout au long de son règne, s’était méfiée de cette lignée qu’elle voyait comme rivale. Elle n’hésita pas à faire emprisonner brièvement Henry Hastings, comte d’ Huntingdon, potentiel héritier de cette lignée alors que ce dernier était pourtant resté fidèle au fils d’Henri VIII, Edouard VI puis à son successeur la Reine des 9 jours, Lady Jane Grey. Une princesse dont Marie s’était également rapidement débarrassée au détour d’une hache bien placée. Au fil des siècles, ce rameau s’était rapproché singulièrement du trône sans revendiquer pour autant la couronne de Richard III. Hier politique, le yorkisme se voulait férocement romantique à l’aube de ce XXe siècle naissant. Le bruit ardent d’une puissante chevalerie médiévale résonnait encore sur le champ de bataille de Bosworth. Le mythe de la guerre des Deux-Roses fascinait les britanniques alors que les canons commençaient à tonner en Europe. A ces Saxe-Cobourg-Gotha devenus par la magie d’une décision royale, des Windsors, secrètement certains songeaient à remettre un York sur le trône. En 1916, dans cette Irlande en révolte, c’était le Kaiser Guillaume II qui leur avait coupé « l’herbe sous leurs pieds » en plaçant un de ses fils sur cet hypothétique trône négocié en cas de victoire sur les Alliés. Charles Edward Rawdon-Hastings, le dernier des comtes de Loudoun (1855–1920) ne fut jamais averti de ces complots ourdis par ces quelques tenants romantiques du yorkisme. D’ailleurs, lui-même ne prétendait à rien et menait la vie des Lords écossais de l’époque. A sa mort, sans enfants, le titre est recueilli par sa nièce, Edith Maud Abney-Hastings, non sans difficultés. Au sein de Loudoun Castle, sorte de Dowtown Abbey tudorien, on se dispute la titulature de l’empire des Plantagenets. La nouvelle prétendante Yorkiste affronte au tribunal ses sœurs qui exigent l’attribution des titres de comtesse de Warwick et Salisbury. Le château brûlera en 1941 mais l’idéal de la Rose blanche continue de vivre dans les cœurs des derniers yorkistes.
En 2004, la Channel 4 de la BBC surprend les britanniques en osant diffuser un documentaire avec ce titre choc : « Le vrai monarque de Grande-Bretagne » (Britain’s Real Monarch) ! Le journaliste Tony Robinson dans un reportage mêlant à la fois enquête historique et généalogie, introduit Lord Michael Edward Abney-Hastings à ses concitoyens par le biais du petit écran. Ce petit-fils d’Edith Maud Abney-Hastings serait, selon le journaliste, le vrai prétendant à la couronne d’Angleterre. Le médiéviste Michael Jones affirmant même que le Roi Edouard IV (1442-1470) ne pouvait monter sur le trône car étant le fruit adultérin des bas amours d’un archer français et d’Elizabeth Woodville, sa mère. Selon ce même médiéviste, les droits au trône auraient dû donc passer à son frère Georges dont descendait le prétendant yorkiste. Etrange destin d’un homme qui, adolescent, décida de tout quitter pour voguer vers l’Australie et exercera différents métiers loin de ce milieu aisé qui lui aurait conféré des privilèges. D’ailleurs, de son ascendance, Michael Edward Abney-Hastings faisait peu de cas et se voulait plus républicain que royaliste. A tous ces gens qui le pressaient de faire officiellement acte de prétention et qui lui donnaient du « Votre altesse à tout va », il leur répondait : «mais je n’en veux pas. Je ne vais pas écrire une lettre à la reine disant : vous avez trois semaines pour partir et vous me devez 500 ans de pension ». Avec des airs vagues de « crocodile dundee », la rose yorkiste était désormais teintée de cette latérite ocre que l’on trouvait dans le bush Australien et que le prétendant balayait avec son chariot élévateur. Ironie de l’histoire, un mois après la mort de Lord Michael Edward Abney-Hastings, des archéologues de l’université de Leicester retrouvent les restes du roi Richard III sous un parc de stationnement de la ville (août 2012). Après des analyses ADN auprès de descendants (dont l’acteur Benedict Cumberbatch ou le duc Richard de Gloucester), réunis au sein de la Plantagenet Alliance et une bataille juridique qui tint le pays en haleine deux ans durant, le dernier des rois Plantagenêts a finalement été enterré le 26 mai 2015 en présence de membres de la famille royale suivis par plusieurs milliers de partisans des yorkistes et autres passionnés de la guerre des deux roses.
Lorsque le Wagga Wagga Daily Advertiser demanda au fils quadragénaire du précédent prétendant, Siméon Abney-Hastings, s’il souhaitait relever les prétentions de la Rose blanche, ce dernier balaya la question en répondant laconiquement : «J’y réfléchirai plus tard ». Ultime chapitre de la guerre des Deux-Roses ? Ce serait oublier bien vite les autres possibles prétendants yorkistes parmi lesquels on trouve aujourd’hui l’actuel marquis de Worcester, Henry (XVII) John FitzRoy Somerset, le duc de Bavière Franz de Wittelsbach ou encore la princesse Alice de Bourbon-Parme.
Mais alors qui est donc le vrai légitime Roi d’Angleterre aujourd’hui ? « Il y a là l’ombre d’un doute ! » nous aurait certainement dit l’historien Franck Ferrand, en guise de conclusion.
Frédéric de Natal