Il y a cent-vingt ans : Publication, à New-York, du premier indice boursier
Le 28 mai 1896 : Publication, à New-York, du premier indice boursier
Cela faisait déjà douze ans que le journaliste américain Charles Henry Dow (né en 1851 à Sterling dans le Connecticut) cherchait à modéliser et, surtout, à anticiper l’évolution des valeurs boursières afin de procurer à l’économie une meilleure visibilité, gage d’expansion pour elle-même et de sécurité pour les épargnants. Il ne s’agissait pas d’empêcher ni même de freiner la spéculation, consubstantielle au capitalisme financier, mais de la canaliser afin de favoriser de bénéfiques anticipations. Dow identifia ainsi les tendances majeures caractérisant le parcours des valeurs mobilières qui, traduites en analyse technique, formèrent la « théorie de Dow ».
Comme il ne sert à rien de savoir si on ne fait pas savoir, l’entreprenant journaliste fonda, avec son collègue Charles Bergstresser et le statisticien Edward David Jones, le Wall Street Journal en 1889. Remarquable réussite puisque le quotidien se situe aujourd’hui, et de loin, au premier rang mondial des journaux économiques et financiers et détient le record du nombre de prix Pulitzer, dans la catégorie des reportages d’actualité, depuis la création de celui-ci en 1917.
Pour soutenir efficacement le lancement d’un nouvel organe de presse, il convient d’apporter aux lecteurs une information d’un type nouveau. Dotés d’un remarquable sens de l’opportunité comme du marketing, Jones et ses amis conçurent l’idée de publier, chaque jour, une sorte de thermomètre des valeurs boursières en agglomérant les plus significatives d’entre elles dans un indice. Au départ celui-ci ne comptait que quinze sociétés industrielles, parmi lesquelles les chemins de fer, les aciéries et l’électricité se trouvaient surreprésentés. Ainsi fut créé et composé le Dow Jones Industrial Average (DJIA).
Après une diminution constante de l’indice au cours des dix premières années, son élargissement à un panel plus complet de l’industrie américaine contribua à ce qu’il connût un accroissement spectaculaire jusqu’en 1929, et de près de 500 % depuis la fin de la première guerre mondiale, alors que la production industrielle, bien que très dynamique, n’avait progressé que de 60 %.
La plus importante bulle spéculative de l’histoire, sinon la première car elle n’est pas sans rappeler celle résultant, en 1720, du « système de Law », creva brutalement en octobre 1907. En quelques jours, l’indice perdit plus de 50 % de sa valeur, soit une chute comparable à celle enregistrée entre le 24 et le 29 octobre 1929, mais qui, dans les deux cas, restait tout de même inférieur à son antérieure surévaluation. Mais ce deuxième choc, provoquant une crise de confiance sans précédent et l’enchaînement d’anticipations négatives, déboucha sur la Grande Dépression.
En bonne logique, le considérable décalage entre l’économie réelle et l’économie spéculative aurait dû permettre d’apercevoir le danger. Mais, en économie, comme en politique, les observations les plus simples, comme les expériences les plus marquantes, ne servent que rarement de leçon. En 1987 puis en 2008, les bulles spéculatives formées hors de toute raison éclateraient à leur tour, néanmoins compensées par les mécanismes d’ajustement mis en place après la crise de 1929 et sous l’influence d’économistes comme John-Maynard Keynes.
Depuis l’apparition du Dow Jones, les indices boursiers se sont multipliés, certains dans un ressort national, d’autres à vocation internationale, certains généralistes, d’autres spécialisés par secteurs économiques. Chaque place boursière dispose ainsi d’un ou de plusieurs indices, tous construits sur le modèle du Dow Jones. Celui-ci compte aujourd’hui trente entreprises, comme le DAX allemand, tandis que le CAC 40 français et le FTSE anglais (dit footsie) en comptent quarante, le Nikkei japonais, suivant une autre logique, en recense 225, régulièrement remises en question en fonction de leur poids dans l’économie. Longtemps calculés à la main, heure par heure, tous les indices ont été ensuite informatisés, le Dow Jones le premier en 1963.
La publication généralisée et permanente des indices boursiers a-t-elle permis de mieux réguler l’économie et, sinon d’éviter les crises, du moins d’en freiner ou d’en étaler les à-coups ? Rien ne permet de le dire. Certes, les crises boursières, qui revenaient tous les dix ans avec une régularité de métronome durant le XIXe siècle, se sont considérablement raréfiées après 1929. On ne note guère, au cours du siècle suivant et jusqu’à nos jours, que deux craquements majeurs directement imputables à la bourse : en octobre 1987, en raison d’une remontée brutale et assez inexplicable des taux d’intérêt, et en 2000 avec l’éclatement de la bulle internet. Les autres grandes crises financières, notamment celles de 1971 et celle de 2007 proviennent d’autres facteurs : la suppression de la convertibilité du dollar en or et la dérive du système des subprimes. Mais il est bien difficile, pour expliquer ce phénomène de ralentissement des cycles, de distinguer la part revenant aux mesures correctrices de politique économique et celle incombant aux stabilisateurs automatiques dans laquelle les indices jouent un rôle d’éclaireur, voire de déclencheur.
De même, il s’avère impossible d’affirmer, ou de nier, que la bourse constitue un bon baromètre de l’économie. « La politique de la France ne se fait pas à la corbeille » déclara le général de Gaulle lors de sa conférence de presse du 26 octobre 1966 après avoir constaté que, « exagérément bonne en 1962 », la bourse était devenue « exagérément mauvaise en 1966 » et que ses fluctuations reflétaient donc bien davantage l’intensité de la spéculation que l’évolution de l’économie marchande.
En revanche, la publication régulière, et souvent tapageuse, des indices boursiers – parfois comparable au martèlement des commentaires relatifs aux matches de football – a indubitablement encouragé les épargnants à investir dans les actions et les obligations des grandes entreprises privées. Ceux-ci ne représentaient, il y a cent ans, qu’environ un trentième de la population en France et un neuvième aux Etats-Unis. Ces proportions s’élèvent aujourd’hui respectivement à un huitième et un cinquième.
Il n’empêche que la bourse, par nature sujette aux grands écarts, continue de susciter la méfiance de nombreux ménages. On les comprend. Car pour ne pas perdre sa chemise en bourse, on ne connaît que trois solutions : confier ses intérêts à un cabinet spécialisé qui a fait ses preuves et posséder des nerfs solides, boursicoter soi-même si l’on dispose d’un flair imparable… ou se tenir résolument à l’écart du marché financier. La dernière formule n’étant pas la moins sage.
Daniel de Montplaisir