Il y a cent ans, Chaim Weizmann initiait la création d’un État d’Israël
En décembre 1914, Chaim Weizmann initiait la création d’un État d’Israël
On sait que, depuis sa conquête, au VIIIe siècle av. J.C. par les Assyriens, Israël n’était jamais redevenue une nation indépendante et que les juifs, disséminés dans le monde entier, continuaient, à travers les siècles, de formuler le même vœu à l’occasion de leurs fêtes religieuses : « l’an prochain à Jérusalem ». Le rêve d’un État juif implanté sur la Terre promise ne quitta jamais totalement leur esprit. Pendant plus de vingt cinq siècles, des pèlerins pleins de ferveur se rendirent en Palestine, notamment pour prier sur l’emplacement du temple de Salomon. Mais, curieusement, l’apparition d’un mouvement politique structuré afin de transformer le rêve en réalité ne prit corps que très tardivement, dans la deuxième moitié du XIXe siècle.
La première proposition concrète en faveur de la création d’une nation juive fut formulée en 1862 par Moses Hess, dans son livre, Rome et Jérusalem, la dernière question nationale. Philosophe allemand, ami et conseiller de Marx et d’Engels, frappé par le mouvement des nationalités, dit aussi « Printemps des peuples » qui devait déboucher sur les unités italienne et allemande, il rapprocha la problématique européenne de la vieille aspiration juive en essayant de lui tracer une perspective concrète dans le cadre du mouvement socialiste universel, aboutissement à ses yeux de la « lutte des races » autant que de la lutte des classes.
Ses prises de position ne rencontrèrent qu’un très faible écho chez ses coreligionnaires. Toutefois, la première organisation sioniste, les Amants de Sion, fondée en 1881 par Léon Pinsker, un médecin polonais marqué par les premiers pogroms, reprenait en partie les idées de Hess mais envisageait la possibilité de créer une nation juive ailleurs qu’en Palestine, privilégiant les possibilités offertes par les zones encore vides du continent américain.
L’année suivante, le banquier Edmond Rothschild commença à acheter des terres agricoles en Palestine. En 1899, il possèderait ainsi plus de 25000 hectares dont il ferait ensuite don à la Jewish colonization association, créée en 1891 à Londres afin de favoriser l’émigration de juifs de Russie victimes de pogroms.
Dans le même temps, le juriste hongrois Theodor Herzl publiait, en 1896, L’État juif puis organisait, en 1897 à Bâle, le premier congrès sioniste et lançait à Vienne l’hebdomadaire Die Welt, support de presse de la cause nationale juive. Il créait aussi, en 1899, le fonds pour l’implantation juive, initiative comparable à celle de Rothschild mais mutualisée et fonctionnant comme une banque. La Palestine relevait alors de l’empire ottoman, en pleine déliquescence : de nombreux propriétaires turcs se débarrassaient de leurs avoirs, parfois à vil prix. (En 1952, le fonds deviendrait la Banque nationale d’Israël).
Pendant encore une dizaine d’années, Herzl déploya une intense activité pour promouvoir l’idée d’une nation israélienne, dont il devint, par avance, le premier ministre des affaires étrangères et l’ambassadeur itinérant, sollicitant notamment le soutien du pape Pie X, celui des milieux financiers anglais, du roi d’Italie Victor Emmanuel III, de l’empereur d’Allemagne Guillaume II – particulièrement réceptif – et d’autres personnalités influentes dans le monde. En 1901, il parvint enfin à rencontrer le sultan Abdülhamid II mais lui proposa, en vain, d’éponger les dettes de son empire par un consortium bancaire international en échange du retrait des Turcs de Palestine. A la suite de cet échec, Herzl examina avec intérêt l’idée de Joseph Chamberlain, alors secrétaire d’Etat britannique aux colonies, d’installer la nation israélienne en Ouganda. Mais, un an après la mort d’Herzl, le congrès sioniste de 1905 rejeta finalement ce projet, estimant que la place d’Israël ne pouvait se situer qu’en Palestine, et se donna pour nouveau porte-parole Chaim Weizmann.
Adjoint d’Herzl depuis 1897, Russe émigré en Suisse pour suivre des études de chimie à l’université de Fribourg, c’était alors un homme de quarante-et-un ans, partageant, à Londres, sa vie entre recherche scientifique et militantisme sioniste. Ses travaux ayant permis de fabriquer en grande quantité des produits nécessaires à la fabrication d’explosifs pour les armées, il profita de la reconnaissance exprimée par le gouvernement britannique pour relancer l’idée de la création d’un État israélien en Palestine.
Selon lui, la guerre de 1914 provoquerait la dislocation du vieil empire ottoman à bout de souffle et offrirait donc une chance historique au peuple juif. Visionnaire, Weizmann repéra en lord Arthur Balfour, alors simple député, l’homme d’État qui l’aiderait dans son entreprise. C’est ainsi que, en décembre 1914, il le persuada de préparer un manifeste en faveur d’Israël en Palestine. Leurs discussions durèrent plus de deux ans et, en 1917, Lord Balfour devenu ministre des affaires étrangères, signa de son nom la déclaration que lui avait inspirée Weizmann. Publiée le 2 novembre 1917, la « déclaration Balfour » est généralement considérée comme le premier pas décisif ayant conduit, trente plus tard, à la fondation de l’État juif. L’objectif de Balfour n’était pas dénué de préoccupations politiques : il s’agissait alors de montrer à la puissante diaspora juive américaine, naturellement portée du côté des puissances centrales, Allemagne et Autriche, alors peu touchées par l’antisémitisme, plutôt que du côté français – pays de l’affaire Dreyfus – ou russe – pays des pogroms –, que les Alliés étaient pleins de bonnes intentions en faveur de leur cause. La roue tourne …
Après 1918, Weizmann serait inévitablement déçu par les atermoiements britanniques mais continuerait de soutenir son projet, trouvant notamment Mussolini comme soutien momentané, puis en 1945 celui, plus décisif, du président Harry Truman.
En 1949, il devint, logiquement, le premier président de l’État d’Israël, fonction relativement symbolique – la réalité du pouvoir
appartenant au premier ministre David Ben Gourion – mais qu’il occuperait jusqu’à sa mort, le 9 novembre 1952.
Homme de consensus, attaché à sa cause mais aussi à l’entente entre les peuples, Weizmann croyait à la possibilité d’une nation israélienne vivant en bon voisinage avec les pays arabes, comme dans la tolérance religieuse entre juifs, chrétiens et musulmans. A y regarder de près, y compris sur les plans géopolitiques et théologiques, ses convictions n’avaient rien d’irréaliste. Mais c’était sans compter sans les trésors de haine des uns, de bêtise et de lâcheté des autres …
Daniel de Montplaisir